Autisme, une recherche : de la nécessité de repréciser le champ de l’autisme et celui des TED non autistiques
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Autisme, une recherche : de la nécessité de repréciser le champ de l’autisme et celui des TED non autistiques

Dans le cadre d’un intersecteur, celui du XIIIe arrondissement de Paris, nous nous sommes questionnés sur le travail que nous avions pu mener auprès d’enfants qualifiés de TED (Troubles Envahissants du Développement), catégorie nous apparaissant, à bien des égards, un fourre-tout de tableaux très hétérogènes au plan clinique, psychopathologique et étiopathogénique.

Les « TED non spécifiés » (1.09 de la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent – CFTMEA R-2012), les « autres TED » ainsi que les « TED sans précision » (F84.8, F84.9 de la CIM 10) ne pouvaient manquer de poser problème.

La notion de Troubles du Spectre Autistique (TSA), officialisée avec le DSM 5 n’a fait qu’ajouter à la confusion et à l’imprécision.

Quelles que soient les conceptions de l’autisme et de ses origines, les limites du champ des troubles de nature autistique sont à repréciser. Maladie ou handicap, maladie porteuse de handicap, ou figure différente stigmatisée à tort de la « neurodiversité », ce qui exclurait les deux termes précédents, l’autisme conserve selon nous des caractéristiques non assimilables à tous les TED et demeure un trouble grave. L’émergence d’une difficulté à vivre le monde commun, d’un bouleversement des rapports aux autres, vécu par le sujet et ressenti par sa famille, les parents en premier lieu, ne laisse guère place au doute quant à la nécessité d’aide et d’interventions, qui seront le plus souvent prolongées. C’est sur la nature de ces interventions que les débats se poursuivent.

La distinction entre l’autisme et un autre trouble grave dans le développement nous paraît avoir un sens quant à ces mesures, leur déroulement et dans l’appréciation des résultats.

C’est pourquoi, nous décrirons essentiellement notre démarche de différenciation entre fonctionnement autistique et fonctionnement psychotique.

La description détaillée de la recherche qui a été menée ne fait pas l’objet de cet article. Nous n’en présenterons ici que les grands axes.

Il en sera de même quant aux moyens et traitements mis en œuvre que nous résumons suivant les cinq options :

  • actions plus intensives et plus actives ;
  • actions et réflexions pluridimensionnelles et donc pluridisciplinaires ;
  • précocité de mise en œuvre des différentes interventions et traitements ;
  • travail et échanges approfondis avec les familles ;
  • réflexion et élaboration constante entre partenaires impliqués à des places différentes.

La recherche

L’étude s’est concentrée sur la file active « tout venant » 2010, soit environ 1 800 patients suivis par les 8 équipes du centre.

  • Le premier temps a consisté à en recueillir les diagnostics TED (TSA).
  • Puis à opérer une différenciation entre autismes et psychoses (TED non autistiques), cette différenciation portant sur le fonctionnement prévalent de chaque sujet.
  • Certains critères ont ensuite été définis pour apprécier les évolutions et les mettre éventuellement en résonance avec les moyens mis en œuvre. Dans un souci de simplification, la définition des critères retenus ne fait pas appel à des outils ou grilles existants, mais est issue du travail des équipes et de concepts théoriques partagés. Le plus souvent il s’agit d’items correspondant aux préoccupations premières des cliniciens et des divers intervenants d’équipes attentifs à la survenue de changements (langage, contact, angoisses….)

Ces critères ont donné lieu à deux grilles distinctes, l’une pour le groupe « autisme », l’autre pour le groupe « psychose ». Les critères de ces grilles ont été appréciés à deux temps pour chaque patient, un temps portant sur « l’état initial », un second temps dit « état actuel ».

L’état initial est celui du premier contact, du premier diagnostic posé.

L’état actuel est celui évalué à la fin de l’année 2012.

  • A partir de l’interprétation des évolutions, était ouverte la possibilité de dégager certaines orientations quant aux configurations de départ et aux traitements les plus pertinents.

La cohorte étudiée correspondait donc aux patients de la file active 2010 répondant aux critères de diagnostic TED de la CIM 10. Nous avons préféré partir des diagnostics CFTMEA qui nous paraissent plus subtils et proches d’une prise en compte des mécanismes internes, pour aller vers ceux qui seraient sur des critères descriptifs moins différenciés, versés aux TED ou TSA de la CIM 10.

Ainsi pour l’ensemble des équipes, y compris la consultation « bébés », 138 patients ont été retenus

Le diagnostic TED de la CIM, avec ses éléments symptomatiques globaux, est comparé au diagnostic CFTMEA qui a été posé dans le même temps pour chaque enfant.

Cela permet un premier dégagement de tableaux cliniques très différenciables, dans ce qui ne serait que « TED non spécifiés » ou « autres TED » ; ce sont en particulier des tableaux qui se rapportent aux dysharmonies psychotiques, ou dysharmonies multiples et complexes du développement, dans la version la plus récente de la CFTMEA publiée officiellement en 2012 qui prennent en compte les éléments dynamiques et structurels, ainsi que le mode d’organisation.

La différenciation autisme / psychose, se référant au mode de fonctionnement prévalent (Tableau 1)

Tableau 1
Tableau 1

Actuellement tout est pensé en référence à l’autisme dans une conception fixiste et neurobiologique quasi exclusive des troubles.

La notion de troubles envahissants du développement (TED) inclut pratiquement tous les troubles psychotiques, lesquels deviennent troubles du spectre autistique (TSA) dans les dernières versions de la CIM et du DSM. Ce n’est plus qu’une question de degré dans l’autisme, une question de tableaux typiques ou moins typiques. Pour nombre de psychanalystes ayant eu à traiter des enfants autistes, l’autisme est apparu nettement à différencier des psychoses en tant que modèle de fonctionnement psychique, même s’il peut exister des formes de passage dans les deux sens. Il en va de la compréhension, comme des mesures thérapeutiques.

Il s’agit alors de caractériser deux régimes de fonctionnement. Lorsqu’il existe une organisation psychotique prévalente, certains traits autistiques peuvent ou non être présents ou apparaître en fonction de conjonctures diverses. S’il s’agit d’une organisation autistique prévalente, l’évolution peut comporter l’apparition d’angoisses et de défenses psychotiques, mais le mode d’existence ultérieur restera marqué par l’autisme et donc nettement différenciable de la psychose qui est susceptible d’autres évolutions.

Sur le plan métapsychologique, on peut s’interroger sur l’absence d’angoisse, l’absence de processus défensif que comporterait dans une perfection certes jamais réalisée durablement, la voie autistique d’organisation du psychisme. Angoisses, souffrance, mécanismes défensifs massifs ne seraient que secondaires à la mise en défaut du système, et inhérents à l’évolution psychique elle-même, et aux ruptures d’équilibre qu’elle génère.

Schématiquement on pourrait considérer, en suivant les propositions de René Diatkine1, que l’autisme évite ou ignore le saut particulier de mentalisation que comporte la reconnaissance de la permanence de l’objet, alors même que celui-ci se trouve hors du champ perceptif.

La voie autistique ignorerait la mise en jeu d’une triangulation primitive (l’objet et « l’Autre de l’objet » d’André Green2, « l’Œdipe originaire » de Claude Le Guen3.

Se trouveraient ainsi écartés du champ développemental, les processus de symbolisations, la mise en perspective des événements et des représentations, l’avènement de la temporalité, la projection de l’érogénéité du corps dans l’objet maternel, source d’excitation et de frustration dans le mouvement même de sa constitution, et enfin la projection sur un tiers de la haine pour garder intact l’objet d’amour et maintenir la continuité psychique.

L’émergence d’une capacité de jeu, d’animation, de personnification, de fiction serait étrangère au monde autistique au sens strict. Pas au monde de la psychose.

L’autisme tente de coller au plus près du réel perceptible. Les glissements de sens ne sont pas tolérés. Le régime de la contiguïté remplace celui de l’associativité. Celui de la pure concrétude règne. Il n’y a pas d’interprétation possible par le sujet de ce qui se présente à lui, pas de recherche de sens en dehors de ce que les choses sont. Pas de construction fantasmatique possible relative à une scène primitive, une légende familiale.

L’existence d’un monde extérieur, ou plus exactement d’un monde autre que le monde perceptif, auto sensoriel et proprioceptif immédiat, semble irreprésentable et source d’un risque permanent d’effondrement. Les mécanismes de clivage, projection, identification projective dont on a dit l’importance dans la psychose et les élaborations qu’ils permettent dans les traitements, sont absents dans l’autisme. La notion d’identification adhésive a tenté d’en rendre compte.

La limite est toujours l’objet d’une sidération qui donne à penser qu’elle ne peut être véritablement reconnue.

Cette atteinte de la sphère subjective ne paraît pas relever d’une incapacité à éprouver affect et émotions, mais plutôt d’une grande difficulté à les intégrer dans l’ensemble du fonctionnement et de la pensée, et à en limiter l’impact désorganisant. Il est difficile de la réduire à une particularité ou un défaut cognitif, aussi complexes soient-ils. Si nous nous tournons vers les systèmes pare-excitation au sens large, il est insuffisant de raisonner en termes uniquement quantitatifs, en termes de surcharge d’excitation, sans apprécier la nature et la qualité de ces systèmes, à l’intérieur du fonctionnement psychique global et au plus près des liens unissant corps et psyché.

Il y a là aussi des différences considérables dans les moyens dont disposent les deux régimes de fonctionnement, autistique et psychotique. Ces différences se placent sous le signe de la capacité ou non à l’expansion projective, la multiplication des liaisons et les glissements de sens, les constructions imaginaires, l’activité hallucinatoire. La pensée dans l’autisme procède par neutralisation, contigüité, mémorisation importante suivant d’autres modes de hiérarchisation. Cette organisation semble porter la marque d’une défaillance corporelle basale, qui peut être sensorielle, à travers laquelle c’est l’ensemble de l’appréhension du monde et des moyens de le concevoir et l’imaginer qui a emprunté une autre voie.

La psychose vit, elle, la construction objectale sur un mode tragique, infiltré de mécanismes et de défenses archaïques. Le jeu est certes problématique, car la porosité du moi peut le rendre angoissant et dangereux, inopérant quant à la mise à distance, la maîtrise et le plaisir qu’il permet. L’existence d’un monde extérieur, de limites entre soi et l’autre, douloureuses et fluctuantes, est toujours présente dans ce fonctionnement, même si le fantasme est susceptible de devenir une réalité extérieure persécutrice. L’hallucinatoire, la projection, l’identification projective, la réorganisation délirante, pris dans la souffrance psychotique, sont aussi recherche d’une relance de plaisir, de solutions et d’équilibres nouveaux, au prix d’opérations portant sur le sens de la réalité. Au prix aussi d’un emballement de l’associativité sous la dominance des processus primaires. Le sens et ses distorsions exercent un douloureux empire, source de conflits internes et de souffrance souvent intolérables, d’où les défenses massives mises en place.

Certaines conséquences découlent de ces propositions :

  • Les traitements des psychoses de l’enfant, en tenant compte du poids économique des différentes composantes dans l’organisation d’ensemble, peuvent viser de profonds remaniements et une évolutivité favorable (dont le traitement de Sammy par Joyce McDougall est un exemple particulièrement éclairant). Le travail interprétatif est d’une nature très différente de ce qu’il peut être dans l’autisme où la construction corporelle est toujours concernée.
  • Le fonctionnement autistique prévalent relève d’une autre compréhension, d’autres paramètres d’organisation, d’autres théorisations débouchant sur des stratégies thérapeutiques particulières au plan analytique et institutionnel :
    • La psychodramatisation, les aspects corporels, l’expression gestuelle et sonore, sont parties intégrantes du traitement.
    • Les interventions ont un aspect plus actif ; il faut fournir des représentations, mais respecter le mode de fonctionnement d’abord pour que le dialogue puisse s’établir. La méconnaissance des contraintes et des modes de régulation émotionnelle de l’autisme peut déboucher sur des impasses et des violences interprétatives inacceptables.
    • L’explication des règles, l’apprentissage du cadre et de sa régularité favorise ensuite une plus grande liberté d’expression et d’accueil de l’inattendu.
    • L’associativité dans la séance suit un cours différent et passe d’abord par la contiguïté objet/contact/sensation/parole pour aboutir à des séquences permettant un premier travail de symbolisation ou de représentation de ce qui n’est pas directement perçu ou présent.

Pour G. Haag4, l’interprétation doit porter sur ces vécus et ces angoisses très primitives particulières pour jeter les bases de représentations partageables, mettre des mots, mais plus que des mots, sur ces vécus préverbaux, pour aider à l’établissement de ce qui est entravé dans la construction corporéopsychique, en particulier les « identifications intra- corporelles ».

Là encore, l’apparition de défenses psychotiques marque une évolution importante dans le traitement, et laisse supposer l’existence de lignes constructives originelles ayant pu échapper à la logique stabilisatrice autistique.

Il s’agit de pôles de fonctionnement et on peut voir comment dans l’évolution, certaines opérations s’ébauchent, se traduisant par un certain assouplissement des contraintes autistiques et l’apparition de nouvelles modalités de fonctionnement. L’hétérogénéité des modes de fonctionnement, de composantes « autistiques » et psychotiques chez un même sujet, peut s’observer selon les périodes de la vie et les sollicitations de certaines situations. Des changements relevant d’un véritable saut qualitatif, dans les deux sens, sont plus rares.

De plus, force est de reconnaître que dans l’autisme de haut niveau, certaines caractéristiques n’ont plus la même validité. Le jeu et l’imaginaire semblent pouvoir s’exercer, mais avec des aspects certes rigides et marqués de contraintes autistiques, ou faisant appel à des séquences mémorisées mises bout à bout dans un déroulement aléatoire. Le sens de ces mémorisations est à rechercher. Il n’est pas fortuit et tient une place importante dans l’économie du sujet. Apparaissent aussi des capacités et un plaisir de jeu avec les mots, d’invention, de jeu théâtral qui cependant, semblent demeurer codifiés. D’autres aspects jubilatoires sont fréquents dans la reproduction d’une séquence de surprise ou d’« incongruité ». S’agit-il pour le sujet de tenter de maîtriser cette surprise et l’angoisse qui lui est inhérente ? S’agit-il de mécanismes bruts de décharge du fait de l’absence de certains modes de « métabolisation » ou de mécanismes anti-traumatiques faisant appel à l’imaginaire, l’associativité, le déplacement, la transformation, le refoulement ?

Enfin, ces jeux restent très collés au concret ou au « machinique » : les camions, les trains, les voitures, les avions, parfois des appareillages compliqués et bizarres.

On retrouve la notion de grandes mémorisations de données non hiérarchisées, ou hiérarchisées différemment. Elles supposent la levée de fortes motions épistémophiliques, d’un besoin de savoir et d’explorer, associés à un mode particulier d’emprise, à l’origine du développement de domaines de connaissances et de compétences qui spécifient et assurent l’existence du sujet.

En revanche, il n’y a pas d’activité hallucinatoire, et les aspects de surcharge sensorielle et de problématique par rapport à la représentation de l’absence persistent, même chez les sujets de bons niveaux intellectuels. Toutes les situations de confrontation à l’imprévu, d’immersion dans un champs de stimulations multiples, sociales en particulier, sont généralement anxiogènes et peuvent entraîner une réaction d’évitement, ou demander un long travail préparatoire et adaptatif.

On l’aura remarqué, l’éventuelle différenciation des deux modes de fonctionnement dans la sphère sensorimotrice (intégration des afférences sensorielles et du mouvement, structuration de l’espace, de l’action et de son but, tonus, coordination…) ne nous est pas accessible en l’état actuel de la recherche. Cela tient peut être à ce que ces perturbations ont valeur de facteurs de morbidité dans des organisations ultérieures diverses, sans que l’on puisse dégager de spécificité, et cela en fonction du croisement à d’autres facteurs dans le développement. Le travail est donc à poursuivre dans ce sens.

Résultats de la recherche quant à la différenciation autisme/psychose

Sur les 138 diagnostics TED confirmés, de l’ensemble de la file active du Centre :

  • 53 enfants répondent aux critères d’autisme, soit 38 %, et ;
  • 85 aux critères de psychose (TED non autistique), soit 62 %.

Il est important de repréciser qu’il s’agit du mode de fonctionnement prévalent, tel que nous avons tenté de le définir à travers un certain nombre de critères cliniques et psychopathologiques.

Dans cette perspective l’assimilation de tous les tableaux cliniques TED à un trouble de nature autistique procède d’une approximation, qui ne peut être sans conséquences dans la compréhension de chaque patient et donc dans les déroulements thérapeutiques, pédagogiques, éducatifs et autres.

Par exemple, tenter d’apporter à l’agitation anxieuse d’un patient autiste les réponses qui seraient à même d’apaiser un patient psychotique débouche sur une impasse car le déclenchement anxieux répond à des déterminants très différents.

Si dans la psychose, c’est l’émergence d’une conflictualité insoluble, d’une ambivalence désorganisante, d’une paradoxalité des fondations identitaires et symboliques, qui appelle une intervention au plan fantasmatique et imaginaire, il en va autrement dans le fonctionnement autistique. Là, l’accent porte sur les vécus corporels, la diminution des surcharges désordonnées d’excitation, l’énonciation concrète et fiable, le retour à une stabilité sécurisante à travers des repères simples. Ce n’est qu’à partir de là que peut se faire la verbalisation, l’abandon du repli auto sensoriel, la mise en jeu des compétences mnésiques et exploratoires, permises par ces points d’appui « vitaux » retrouvés, dans lesquels le corporel est concerné au premier chef.

Le réel, désorganisant dans sa dimension inimaginable, « in-animable » (et non pas inanimé) de l’autisme, s’oppose au réel fantasmatiquement menaçant, par projection, de la psychose. Recherche impérieuse des règles immuables de l’ordre du monde dans l’autisme. Tentative sans fin de reconstruction d’un monde soumis au déferlement pulsionnel sans lois ni limites contenantes dans la psychose.

Les attentes pédagogiques sont également différentes et procèdent de méthodes et de motivations difficilement superposables. L’explication des règles permettant l’adaptation à un milieu nouveau qu’il soit scolaire, institutionnel ou culturel, ne répond pas au même type de questionnement, d’intégration, ni de marge d’interprétation de ce qui est dit. Les règles « implicites » ne peuvent être perçues ou déduites quand il s’agit d’autisme. Il faut qu’elles soient explicitement énoncées, comprises et non soumises à des variations d’application. Si c’est le cas, un travail particulier d’aménagement et d’assimilation doit être fait sur ces possibles variations.

Chez les jeunes enfants, l’accès à certaines représentations psychiques et leur expression pouvant être problématiques, l’utilisation de méthodes pédagogiques permettant de soutenir et de palier, dans le réel, ces difficultés d’accès aux représentations, est précieuse. Les supports visuels tels que ceux que l’on trouve dans les outils de communication comme le PECS (Picture Exchange Communication System) peuvent être intéressants puisqu’ils s’inscrivent dans une réalité concrète, et une possibilité de combinaison avec l’échange verbal de part et d’autre.

La stabilité du cadre, au sens large, revêt une importance cruciale dans l’autisme et ses variations ne produisent pas les mêmes effets que chez un sujet disposant de moyens psychotiques. Les réponses à ces effets doivent en tenir compte.

Les stratégies d’apprentissage sont infiniment différentes en tenant compte des engouements propres, des domaines de prédilection et de performance qu’il convient de respecter. Leurs éventuelles étrangetés, leur non conformité avec les stratégies et intérêts habituels, ne sauraient être censurées, « normalisées », car c’est à partir d’elles et en les développant, que le sujet trouvera ses propres solutions et leurs possibles adaptations à des attentes de l’environnement, ainsi que leurs naturelles socialisations.

En scolarité ordinaire, les réactions et les modes de rejet, de la part du milieu, sont aussi à repérer dans les deux cas. Les troubles du comportement de nature autistique déclenchent des réactions massives d’incompréhension, d’impuissance et d’exclusion, ou sont considérés comme des conduites « perverses », un harcèlement (quand ce n’est pas le sujet qui est harcelé et maltraité par ses pairs), si des échanges réguliers avec le milieu scolaire ne sont pas assurés par l’équipe s’occupant de l’enfant.

La psychose ne provoque pas le même rejet. Son « originalité » est au contraire surchargée d’implicite et d’interprétations, d’excès de déchiffrage d’intentionnalités prêtées à l’autre ou à l’objet de connaissance, qui peuvent être orientés parfois vers de riches productions et acquisitions.

La réassurance et l’énoncé des règles recueillent un écho plus aisément repérable et déchiffrable par le milieu enseignant, qui, même mis en difficulté n’est pas paralysé dans sa capacité de penser et de trouver des réponses.

Plusieurs cas atypiques ont cependant attiré notre attention ces dernières années

Ce sont des enfants qui présentent certains traits isolés pouvant rappeler des défaillances retrouvées dans l’autisme de bon niveau, mais qui ne sont pas autistes, ni Asperger.

C’est pourtant avec cette idée que les familles les amènent à la consultation.

Quels sont les points communs de ces enfants ?

Une bonne scolarité, un contact premier facile et souriant, une absence de bizarrerie, des intérêts variés et multiples sans performances exceptionnelles ni préoccupations exclusives, un souci de l’autre et de ses sentiments, des capacités imaginatives et de jeu avec un plaisir du fonctionnement de la pensée…

Les parents sont cependant très inquiets et le fonctionnement familial est profondément perturbé car l’existence de l’autre, de ses pensées, de ses actions confrontent le sujet à d’énormes difficultés. Cela conduit à des crises, des colères dans lesquelles l’enfant ne cède pas et semble en proie à une intense souffrance. Ces crises sont déclenchées par des évènements minimes qui perturbent le cours d’activités multiples dont il est à la fois demandeur et esclave, ayant besoin d’être sans cesse occupé.

D’où une nécessité de le prévenir des changements imprévus, des déplacements, de diminuer les attentes quand il marque des signes de fatigue, qu’on peut assimiler à des « surcharges », et qui précèdent la colère, ou parfois l’effondrement avec une sorte de lâchage corporel. Il a de plus une façon de s’acharner sur les membres de la fratrie en exprimant des idées fixes très blessantes.

Du fait de son caractère difficile et de sa rigidité avec les autres, le partage posant assez rapidement problème, l’enfant est progressivement isolé, perdant un à un ses petits camarades, ce qu’il vit avec tristesse. J’ajoute que dans tous les cas, l’écriture, le graphisme, sont particulièrement perturbés et posent problème dans une scolarité satisfaisante par ailleurs.

On relève une maladresse passée ou présente pour les gestes fins, et le bilan sensorimoteur met en évidence plusieurs dysfonctionnements. L’anamnèse rapporte des difficultés toniques et posturales précoces, des états d’effondrement et d’indifférence, dont on ne peut dire s’ils étaient innés.

On peut se demander si pour ces enfants des conditions premières de défaillances toniques d’origines peut-être neurologiques transitoires, des défauts des afférences sensorielles, ou des défaillances de la régulation émotionnelle ou des tensions corporelles, dépendant de facteurs multiples, n’étaient pas porteuses d’un risque d’organisation autistique qui a pu être déjoué, mais dont il reste quelque chose. L’environnement, attentif et stimulant, aurait là joué un rôle décisif pour diminuer l’impact de ces facteurs de risque.

D’une façon générale, ces enfants réagissent positivement aux traitements proposés, pour peu qu’on tienne compte de l’ensemble de leurs défaillances et qu’on ne se borne pas à appliquer des protocoles ou des schémas pré-établis, qu’ils soient psycho-dynamiques ou cognitivo-comportementaux. Le travail et l’alliance avec les familles sont particulièrement importants dans leur devenir.

Grilles d’analyse évolutive suivant la différenciation Autisme/psychose

Les deux tableaux suivants différencient les évolutions de chaque groupe, « autisme » et « psychose », dans le détail de deux grilles définies précédemment à l’aide des critères évolutifs retenus.

Tableau 2
Tableau 2
Ensemble de l’étude. Evolution des enfants diagnostiqués « autistes »
Tableau 3
Tableau 3
Ensemble de l’étude. Evolution des enfants diagnostiqués « autistes »

Commentaires et discussion

Dans une proportion importante, les enfants suivis de l’étude ont une évolution positive et très positive selon les critères définis. Ces bonnes évolutions représentent plus de la moitié des cas (55,8 % pour l’ensemble ; 60,4 % pour les « autismes » et 52,9 % pour les « psychoses »).

Un enfant sur dix n’a pas bien évolué. C’est assez peu mais doit nous encourager à améliorer ces actions. Les échecs, en effet, ont des répercussions dramatiques sur le devenir du sujet et sur l’ensemble de son environnement, familial en particulier, sans oublier la fratrie à laquelle on se doit d’être attentifs. Nous avons pu remarquer que les enfants ayant le moins bien évolué avaient un âge moyen d’entrée plus élevé (4,4) et une durée de suivi moins longue (2,5).

Les évolutions moyennes ou faibles concernent un tiers des enfants et sont une catégorie intermédiaire plus floue, par excès ou défaut. L’absence d’évolution notable dans certains domaines « clés », par exemple le langage, n’empêche pas des progrès parfois importants qui rejailliront eux-mêmes par la suite sur les capacités de communication et d’expression, mais a un effet péjoratif sur l’appréciation d’ensemble. Cette appréciation ne signifie pas une stagnation des enfants mais un mouvement d’amélioration et une sédation des symptômes négatifs, que la poursuite des traitements diversifiés et soutenus devraient voir se confirmer dans la durée. Tous les facteurs contribuant à maintenir un investissement soutenu des traitements, basés en grande partie sur une appréciation fine des fonctionnements et des évolutions, sont à déployer.

Nous sommes loin des résultats catastrophiques ou nuls qui sont régulièrement dénoncés et relayés sans études véritables. Ce qui ne veut pas dire que nous aurions à nous satisfaire des résultats actuels de l’étude (pour autant qu’ils reflètent une situation plus générale des intersecteurs en France). En effet, d’une part, une mauvaise évolution signifie l’absence ou la pauvreté des moyens de contact, d’échange, d’expression, de réflexion, d’obtention de plaisir immédiat et différé, dans les versants à la fois émotionnels, cognitifs, psychomoteurs et corporels, ce qui expose le sujet à une aggravation ultérieure, potentiellement dramatique, en particulier à l’adolescence. Le tragique de ces situations et de leurs effets sur les proches, retentit alors comme l’échec des différentes interventions qui ont accompagnées le patient, et revêt une intensité qui fait de chaque échec un drame, à juste raison, inacceptable.

La mobilisation doit donc être particulièrement importante pour ces cas, « isolés » et « peu gratifiants », alors que c’est souvent l’inverse, l’intérêt se portant préférentiellement sur les bonnes évolutions.

D’autre part, l’expérience prouve que les actes auto vulnérants, les crises clastiques, les ruptures prolongées de contact (à ne pas confondre avec les temps salutaires de solitude et d’apaisement recherchés par le sujet), peuvent être largement réduits ou disparaître en fonction de la présence, de l’attention et de l’écoute offerte à certains moments difficiles.

Encore faut-il pouvoir le faire en tenant compte de nos propres limites et de celles qui nous sont imposées par les moyens dont nous disposons.

Sans y insister, nous dirons que défauts et insuffisances s’inscrivent selon trois axes principaux : les moyens d’action / les moyens de compréhension / le plaisir du fonctionnement. Tous trois étant dans un rapport étroit d’influence mutuelle. Les moyens supplémentaires qui nous sont nécessaires seraient de peu d’utilité s’ils ne se combinaient pas à un effort de compréhension toujours renouvelé qui laisse de côté les recettes toutes faites et la prétention d’un savoir abouti, quelle que soit l’obédience de ceux qui s’occupent de ces patients. Mais le plaisir ludique, et celui de l’accomplissement de connaissances, de savoir-faire et de techniques propres à chaque discipline, celui de la découverte partagée, en sont les moteurs indispensables.

Nous tenons à souligner l’importance d’un travail de réflexion clinique en équipe pluridisciplinaire et de prise en compte d’une métapsychologie qui permette d’approcher spécifiquement les fonctionnements de chaque enfant, sans prétendre à une vérité, mais au maintien d’un mouvement vivant de la pensée. On peut d’ailleurs considérer que la validité de toute méthode, qu’elle soit psychodynamique, instrumentale, ou cognitivo-comportementale, repose pour une grande part sur tout ce qui, en elle et dans son application, est susceptible de susciter, guider et accompagner ce mouvement de la pensée.

Notes

  1. Diatkine, R. (2012). « Réflexion psychanalytique sur la clinique et sur l’évolution de l’autisme infantile précoce ». Nouveau traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 2, (pp 1255-1285), Paris : PUF.
  2. Green, A. (2011). Du signe au discours. Psychanalyse et théorie du langage, Paris : Ithaque.
  3. Le Guen (1974). L’Œdipe originaire, Paris, Payot.
  4. Haag, G. (1990). « Les phases maniaques au cours du traitement des enfants autistes », Psychose et création, l’école anglaise, (pp. 31-37), Paris, Grapp.

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