Dialogique de la filiation et de la parentalité dans la gestation pour autrui ; création d’un modèle matriciel paradigmatique
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Dialogique de la filiation et de la parentalité dans la gestation pour autrui ; création d’un modèle matriciel paradigmatique

La gestation pour autrui demeure, dans le champ des techniques d’AMP (Assistance Médicale à la Procréation), la pratique la plus controversée (Jadva et al., 2003). Interdite en France, en Italie et en Espagne, elle est autorisée et encadrée en Grèce, en Israël, en Finlande et dans certains états des États-Unis. Son statut légal fluctue entre deux positions extrêmes, la prohibition ou l’approbation. Cette tension permanente semble se cristalliser en Belgique où elle ne fait l’objet d’aucune réglementation ni interdiction formelle. La gestation se déroule sur base d’une convention dont, paradoxalement, la validité est contestée, car le corps humain ne peut faire l’objet d’un contrat et on ne peut, par convention, modifier l’application des lois fixant la filiation (Gallus, 2009).
Un débat considérable entoure la gestation pour autrui qui constitue dès-lors, en matière de recherche, l’archétype du « mauvais objet » (Boltanski, 2004).  Certes, arguent les anthropologues, la circulation des enfants dans les sociétés traditionnelles est courante et témoigne de pratiques dans lesquelles une femme fertile porte un enfant pour une autre femme stérile ainsi que de la possibilité pour un enfant d’avoir plusieurs mères (Lallemand, 1993). Nous devons toutefois nous garder de généraliser ces souplesses parentales qui, pour fonctionner en termes d’institutions, doivent s’inscrire dans une structure collective, être soutenues par la loi du groupe et correspondre à l’imaginaire collectif (Héritier, 1996). Aussi, au-delà de l’exotique et de la polémique, c’est au cœur d’une réalité clinique que se pose la présente recherche. Une ligne de conduite assurée dans un premier temps par l’élaboration théorique et ensuite par l’exploration clinique (Cailleau, 2011-2012).

Elaboration théorique

Nous savons qu’en l’absence de gamètes, les couples ont la possibilité de se tourner vers des traitements palliatifs qui, comme leur nom l’indique, permettent de pallier les stérilités féminines et masculines par l’introduction d’un tiers donneur. Ces traitements ont la particularité d’introduire une dissociation entre la filiation génétique et la filiation sociale. Ils possèdent des caractéristiques communes. En effet, la circulation des gamètes y reste discrète, voire secrète (en Belgique, les couples qui le souhaitent ont la possibilité de se présenter avec un donneur de gamètes connu) . Un principe de vraisemblance est appliqué grâce à l’appariement phénotypique entre donneur et receveur et, pour le droit, la femme qui accouche est la mère légale de l’enfant, qu’elle ait reçu du sperme, un ovocyte ou un embryon (Cadoret & Wilgaux, 2007). La gestation pour autrui se présente de manière antithétique à ces principes : en effet, le partage du processus de conception et de mise au monde suppose une circulation des gamètes, des parents d’intention vers la mère porteuse, et une circulation de l’enfant, à la naissance, de la mère porteuse vers les parents d’intention. En introduisant ainsi une rupture de l’unité « naturelle » de la maternité dans sa part la plus visible, la gestation pour autrui en bouleverse le contenu juridique et social (Delaisi de Parseval, 2008 ; Gallus, 2009). Elle nécessite, pour les couples, un aménagement inédit de l’expérience subjective du devenir parents et amène le chercheur à reformuler les interrogations portant sur la filiation et les processus de parentalité.

Pour aborder la complexité de ces situations, j’ai convoqué deux concepts : la filiation et la parentalité.

En ce qui concerne la filiation, je me suis inscrite dans le courant de réflexion heuristique mené par Jean Guyotat (1980). Pour cet auteur, la filiation se réfère   à trois logiques qui entretiennent entre elles des rapports dynamiques d’interactions réciproques. Ainsi, les données de base de la filiation biologique sont transformées pour aboutir aux usages, rites et lois en vigueur, c’est-à-dire aux règles de la filiation instituée. Entre le biologique et l’institué, se situe la filiation narcissique, imaginaire, au sein de laquelle circulent les représentations liées à l’histoire collective et aux croyances (1980).

Vaste et complexe, le concept de parentalité a été emprunté et diffusé par différentes disciplines pour rendre compte des nouvelles configurations familiales et des fonctions parentales qui y sont exercées (Sellenet, 2007). On doit à Didier Houzel (1999) de l’avoir modélisé en trois axes permettant de fournir différents angles d’analyse de la parentalité et de l’interrelation existant entre ses phénomènes constitutifs. De manière synthétique, ces trois axes se rapportent à : l’exercice de la parentalité dont la fonction est d’inscrire un enfant dans une filiation reconnue par la société ; la pratique de la parentalité qui concerne les tâches effectives et objectivement observables ; et enfin, l’expérience de la parentalité qui renvoie aux transformations induites par l’état de parent dans la structure psychique de l’individu. Dans cette perspective, la parentalité se définit comme : « L’ensemble des droits et des devoirs, des réaménagements psychiques et des affects, des pratiques de soins et d’éducation, mis en œuvre pour un enfant par un parent (de droit ou électif), indifféremment de la configuration familiale choisie» (Sellenet, 2007, p.60).

En se déployant ainsi dans ses différentes dimensions culturelles, sociales, juridiques, affectives et psychiques, le concept de parentalité rencontre le nouage des trois logiques de la filiation et m’a permis d’élaborer et de proposer un nouveau modèle conceptuel. Celui-ci présente un rapport dialogique entre les concepts de filiation et de parentalité. Il convient de rappeler que la filiation se conçoit depuis la perspective de l’enfant tandis que la parentalité s’envisage depuis la perspective de l’individu qui devient parent. Il subsiste donc entre les deux concepts une dimension irréductible qui nécessitait de faire appel au principe dialogique. Fondée sur la pensée du philosophe Edgar Morin, la dialogique comporte la « possibilité de faire jouer entre eux des concepts à la fois complémentaires, concurrents et antagonistes» (1980, 2008, p.324). Ce modèle théorique s’inscrit également dans l’esprit de la recherche tel que l’entend Daniel Widlöcher (1995) : là où la filiation et la parentalité décrivent un processus complexe, j’ai décomposé les événements qui les constituent en un ensemble de concepts et de processus. Ceux-ci sont agencés en une modélisation matricielle. Le terme matrice, emprunté au latin, est un dérivé de mater qui signifie « mère ». Dans son sens anatomique, la matrice est synonyme de l’utérus. Transposée en modèle conceptuel, la métaphore    matricielle se conçoit tel un tissu au sein duquel des structures plus spécialisées se développent. Cinq matrices me permettent de connecter des savoirs issus de diverses disciplines et de conceptualiser les pratiques parentales.
 
La matrice corporelle se réfère aux parties et produits du corps, vecteurs de la parenté. Elle renvoie à la filiation biologique, de « corps à corps ». Toutefois, nous savons que le lien biologique n’est pas suffisant pour créer un père, une mère, une famille. Encore faut-il l’instituer. Ce cadre de références qui sera transmis à l’enfant par les parents, le groupe social et le langage, est représenté par la matrice symbolique. Elle rappelle que la famille est une institution régulée de l’extérieur par des règles, des normes et des lois. La matrice relationnelle est celle au sein de laquelle s’initient et se développent les échanges sensoriels entre les parents et leur bébé. Lors de ce premier chapitre de la vie du bébé que constitue la grossesse, les moments interactionnels façonnent les représentations que la mère et le père se forgent du bébé et ouvrent à la tiercéité. La matrice psychique se rapporte aux processus de maturation des structures profondes de la personnalité lors du passage à la parentalité, à la réorganisation des axes identitaires et relationnels. Cette dimension mobilise des mécanismes inconscients et archaïques qui contribuent à  la construction d’un espace psychique spécifique pour l’enfant à naître.  Enfin, la parentalité, chemin intime, est également faite de culturel, de social, de politique et d’économique. Elle est un lieu de passage qui doit être pensé et contenu par notre société. La matrice culturelle constitue une enveloppe spécifique de la parentalité.

Si chaque matrice propose son propre niveau d’analyse, cette subdivision se comprend dans une dynamique interactive qui fonde et définit tant la filiation que la parentalité humaine. Ce modèle matriciel paradigmatique nous permet d’aborder les diverses configurations parentales actuelles dont la gestation pour autrui, dans laquelle s’opère la transition d’une mère à l’autre.

Exploration clinique

À partir de ce trépied théorique, je me suis intéressée aux processus de parentalité chez les couples demandeurs d’une aide médicale à la procréation nécessitant le recours à une mère porteuse. L’exploration clinique a consisté à aller à la rencontre de 9 couples hétérosexuels, nommés « parents d’intention », engagés dans une procédure de gestation pour autrui auprès d’un Centré agréé francophone situé en Belgique. Tous avaient suivi la procédure mise en place par le Centre. Celle-ci comporte différentes étapes dont l’objectif est de veiller à l’application de règles éthiques (dont l’altruisme) grâce au travail d’une équipe pluridisciplinaire (Dubois & Delvigne, 2007). Toutes les mères d’intention répondaient aux critères d’indications médicales : syndrome de Mayer-Rokitansky-Kuster-Hauser (Le MRKH-Syndrome est un défaut congénital de développement de l’utérus caractérisé par une agénésie complète ou partielle du vagin et de l’utérus avec un fonctionnement intact des ovaires) ; utérus non fonctionnel ; état de santé non compatible avec le déroulement d’une grossesse à terme ; hystérectomie et échecs de FIV à répétitions.

Ma démarche s’est appuyée sur des entretiens approfondis avec les parents d’intention que j’ai accompagnés de manière longitudinale et en temps réel. Ils ont été étayés par l’usage d’outils éprouvés en clinique (le génogramme imaginaire), en recherche (le Ca-Mir et le Thematic Aperception Test) ou dans l’évaluation de cadres thérapeutiques (l’Entretien-R adapté à la situation de la Gestation pour Autrui – GPA). Ces outils, élaborés à partir de référents théoriques différents, s’articulent de façon non contradictoire pour peu qu’on les envisage dans une évolutivité dynamique. Tous partagent un noyau commun : l’approche singulière du sujet. À l’issue de l’ensemble de l’étude, 6 enfants sont nés suite à la procédure de gestation pour autrui. Tous les accouchements se sont bien déroulés.

Résultats

L’exploration clinique s’est inscrite dans une perspective qualitative. Les données recueillies ont été traitées afin d’une part, d’approcher la singularité du phénomène pour chaque couple et d’autre part, de dégager certains invariants qui seraient partagés par nos sujets. L’objectif général a été d’extraire la dynamique représentationnelle du processus de parentalisation chez les parents d’intention, au cours de la grossesse de la mère porteuse.

Chaque axe d’analyse s’origine dans une matrice du modèle paradigmatique. Le premier s’intéresse à l’inscription du projet d’enfant par gestation pour autrui dans une culture donnée. Les résultats de la recherche montrent que le projet d’enfant élaboré par les couples se présente comme l’objet d’une décision parentale responsable (Boltanski, 2004). Tous ont souhaité installer les bases affectives et/ou matérielles avant d’accueillir un enfant. Dans certains cas, ils étaient déjà parents (3/18).

La référence à la norme d’engendrement véhiculée par la société transparaît dans le discours des sujets à travers l’idée circonscrite par un sujet d’une « logique de la vie » qui tient compte d’une évolution individuelle, du couple et de la famille. Il apparaît « naturel » aux mères d’intention de recourir aux technologies de la reproduction dans cet idéal normatif. De ce fait, les parents d’intention n’ont pas rencontré de désapprobation morale de la part de leurs proches. Au contraire, ceux-ci confèrent au projet, sinon une légitimité sociale, au moins une légitimité familiale. Toutefois, la gestation pour autrui se heurte aux limites de la filiation instituée, axe représenté par la matrice symbolique. Tous nos couples ont été informés des conséquences de l’absence de cadre légal sur les divers aspects de la filiation : dans le cas le plus simple, le père intentionnel reconnaît l’enfant de manière anté-natale tandis que la mère génétique et intentionnelle de l’enfant recourt à l’adoption de l’enfant de son mari. Lors de l’élaboration du projet, cette asymétrie génère un sentiment d’injustice (2/9) mais surtout d’inquiétude (6/9).

L’approche longitudinale a permis de dégager la fonction sécuritaire de cette matrice symbolique. En effet, l’absence de cadre légal vient percuter le thème de la croissance de vie. Cette première étoile du concept de constellation maternelle développé par Daniel Stern (1997) est relative à la capacité de la mère, en tant qu’animal humain, d’assumer la survie de son enfant. Dès lors qu’aucune filiation définitive ne s’instaure, le père ne peut être investi de sa fonction d’agent protecteur de la mère et l’enfant. Les mères d’intention se sentent impuissantes face à un système qui pourrait leur « prendre » leur enfant avec comme conséquence de priver celui-ci des soins élémentaires physiques et psychiques dont il a besoin. L’enfant risque de naître démuni, sans matrice protectrice ; il s’agirait alors d’une seconde défaillance du corps contenant.

Il semble que l’absence de reconnaissance légale de la mère d’intention s’assortisse d’un investissement accru du lien génétique qui conforte les mères dans leur identité maternelle. La matrice corporelle aborde cet axe de la participation du corps dans la procréation. Ainsi, déclare Chloé : « C’est mon ovule, donc c’est mon enfant ! ». Le vœu exprimé par les parents d’intention, et surtout les pères (4/6), est d’avoir un enfant « à nous », « de nous ». Dès les traitements, ils considèrent les gamètes et les embryons comme les représentants du lien de parenté. Pendant la grossesse et spécifiquement à partir du deuxième trimestre, la majorité des couples établissent des liens entre les caractéristiques de leur enfant et des traits qui leur sont propres grâce aux échographies : « C’est tout moi ! », s’exclame Denis. Bien avant la naissance de l’enfant et son inscription dans la filiation, s’établit une filiation de corps à corps qui sera renforcée lors de la rencontre avec l’enfant de la naissance.
Absent de la gestation, le corps de la mère d’intention peut néanmoins participer aux fonctions de maternage tel que l’allaitement. Une seule des mamans de cette étude allaite (1/6). L’induction de la lactation,  qui s’effectue pendant la grossesse de la mère porteuse, permet à la mère d’intention d’anticiper une fonction nourricière et protectrice et d’en éprouver les sensations corporelles. Le corps absent peut également être présent par substitution symbolique, à travers des phénomènes de couvade. Une maman fait part des troubles somatiques similaires à ceux de la mère porteuse en début de grossesse  (1/6). On peut imaginer que cette maman revive un désir de parturition ou s’identifie à la grossesse débutante de la mère porteuse ; une assimilation symbolique qui la confirme dans son lien de filiation avec l’enfant.
Au fil de la grossesse, un processus interactif avec l’enfant se met en place, médiatisé par le corps de – et la relation à – la mère porteuse. Cet axe est l’objet de la matrice relationnelle.  Dans la majorité des situations (8/9), la mère porteuse est une proche du couple ou d’un de ses membres. Pour la plupart (8/9), elles ont été les témoins privilégiés des drames qui ont affectés les parents d’intention dans la construction de leur parentalité : accouchement traumatique, deuil périnatal, maladie… La topographie horizontale des génogrammes imaginaires les présente dans un lien de sororité réelle et/ou imaginaire. Cette relation n’est pas pour autant dénuée d’ambivalence et de manifestations de rivalité et d’agressivité. En effet, de par la relation privilégiée qu’elle entretient avec le fœtus, la mère porteuse contrôle l’accès des parents d’intention à l’enfant à naître et peut soit taire son ressenti, soit assurer une continuité narrative et corporelle entre elle, le bébé et les parents d’intention.

Afin d’entrer en relation avec leur bébé, deux mamans ont eu recours à l’haptonomie comme préparation à la naissance (2/6). Toutes deux déclarent occuper la « place de l’homme » dans ce processus. Avec cette pratique, les mères d’intention ont appris des gestes leur permettant d’accompagner affectivement la femme enceinte et la soulager. Chloé insiste sur cette dimension et se voit rassurée à l’idée que son amie n’ait pas « à subir la grossesse mais à la vivre ». Elle devient une « partenaire » privilégiée de la grossesse assurant à la mère porteuse et au bébé un holding physique et psychique. Si la mère porteuse, tel un filtre, contrôle l’accès des parents d’intention à la grossesse et aux interactions avec le bébé à venir, le franchissement de cette porte dépend des représentations qui sont véhiculées sur l’engagement de chacun des protagonistes ainsi que du rapport au corps d’autrui dans l’expression de sa dimension sexuée. L’établissement de ces relations renvoie à une redéfinition des rôles sociaux et sexués qui se trouve au cœur de la matrice psychique.

Si chaque histoire est unique, la situation de gestation pour autrui nécessite, de la part des parents d’intention, la mise en place de mécanismes adaptatifs leur permettant d’appréhender et d’élaborer les liens qui se constituent. A partir des situations observées, j’ai dégagé quatre dimensions qui se présentent comme autant d’étapes successives mobilisant l’histoire des sujets, leurs ressources et la souplesse de leurs identifications et aboutit à une constellation parentale spécifique : il s’agit de la transgression, la condensation, l’assimilation et la différenciation.
Comme l’exprime une maman, l’absence de cadre légal confère à la démarche « un arrière-goût d’illégal et de choses taboues ». On retrouve dans les récits, différentes manifestations de cette transgression (4/6). Ainsi, l’étude singulière révèle combien, pour un sujet, Ariane, se rejoue sur la scène de la gestation pour autrui la blessure de sa propre histoire filiative et l’impérieuse nécessité pour elle d’agir la transgression.

D’un point de vue dynamique, deux phénomènes de condensation se mettent en place. Celle-ci se comprend telle une force centripète qui intensifie les liens trans-psychiques (Cuynet, 2010). Le premier phénomène repose sur le rôle assuré par les familles d’origine. Lorsque la mère porteuse appartient au cercle familial, les liens du clan se resserrent autour d’elle. Si elle n’est pas membre de la famille, elle y sera incluse. De cette manière, la famille « fait corps » autour des parents d’intention et du couple porteur et incorpore celle qui porte la promesse d’une prolongation narcissique du groupe.

Le second phénomène concerne la relation entre la mère d’intention et la mère porteuse. Cette fois, la force centripète réduit progressivement le cercle relationnel aux échanges entre les deux femmes avec comme conséquence de déplacer progressivement les pères d’intention en position périphérique. Ceux-ci expriment de l’embarras à l’idée d’un rapprochement avec le corps enceint de la mère porteuse, d’autant plus que cette dernière partage sa vie avec un conjoint qui, lui aussi, régule l’accès à la grossesse. L’analyse de contenu révèle la récurrence du
« comme si » dans le discours des mères d’intention : « Comme si ce ventre était le mien » ; « Comme si c’est moi qui le portais ». On peut avancer l’hypothèse d’une assimilation d’un aspect ou d’une propriété de la grossesse par les mères d’intention. Il convient toutefois de ne pas confondre l’assimilation avec la fusion. Il n’y a en effet, pour aucune maman, confusion. Ainsi, me dit Chloé : « Quand je la vois bouger dans le ventre, je me dis : « Je n’arrive pas à imaginer ce que c’est. » Je me dis : « Claire, elle, elle l’a… elle a mon bébé dans son ventre. Moi, je la touche, je peux la bercer et des choses comme ça, mais je ne pense pas que ma fille ait le sens que j’existe vraiment (silence) ». Il semble que l’ambivalence relationnelle entre les deux femmes soit le garant d’un travail psychique d’intégration des attributs de manière à la fois distincte et conjointe.  Après les processus de condensation et d’assimilation, la naissance introduit la différenciation. Celle-ci porte sur la séparation du corps de la mère porteuse et de l’enfant, la confrontation entre l’enfant imaginaire et l’enfant réel, et la réorganisation identitaire de chacun des protagonistes. Le couple conjugal et parental constitué par les parents d’intention émerge comme nouvelle entité différenciée. Les rôles sociaux et sexués qui avaient été déliés par le processus de gestation pour autrui se réorganisent, nécessitant de nouveaux mécanismes adaptatifs.

Pour conclure

Il n’est pas anodin de constater que pour aborder conceptuellement la déliaison du processus de conception et de mise au monde, je propose un modèle qui, lui-même, délie les concepts en ses différents éléments constitutifs. S’il est communément admis que la médecine puisse segmenter, couper et prélever les éléments du corps, gamètes et organes, la maternité, elle, ne peut que fusionner, unifier. La gestation pour autrui nous invite à repenser la  parentalité dans ses différentes dimensions ainsi que la question du féminin et du maternel dans sa multiplicité. Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’un élément fondamental pour l’enfant dans la construction de sa personnalité est de pouvoir répondre à la question : à qui dois-je le fait d’être né ? Si j’ai pu lever un coin de voile sur la complexité de ces processus, j’aurai atteint mon objectif premier qui était de leur permettre d’exister.

Bibliographie
Boltanski, L. (2004), La condition fœtale. Une sociologie de l’engendrement et de l’avortement, Gallimard.
Cadoret, A. & Wilgaux, J. (2007), « Nécessaires anonymat et secret de soi ». Ethnologie française, 2007/1, Vol. 37.
Cailleau, F. (2011-2012), D’une matrice à l’autre. Dialogique de la filiation et de la parentalité dans la gestation pour autrui. Thèse de doctorat. Université Libre de Bruxelles.
Cuynet, P. (2010). « Lecture psychanalytique du corps familial ». Le Divan familial, 2010/2, n°25, pp.11-30.
Delaisi de Parseval, G. (2008). Famille à tout prix, Seuil.
Dubois, M. & Delvigne, A. (2007). « La gestation pour autrui et les mères porteuses » in Delvigne, A., Delbaere, A. & Dubois, M. (dir.) Comprendre et traiter l’infertilité, Belgique : Cortext, pp.315-323.
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Morin, E. ([1980], 2008), La complexité humaine, Flammarion.
Sellenet, C. (2007), La parentalité décryptée. Pertinence et dérives d’un concept, L’Harmattan.
Stern, D.-N. (1997). La constellation maternelle, Calmann-Lévy.
Widlöcher, D. (1995), « La recherche clinique. Principes généraux ». In : Bourguignon, O. & Bydlowski, M. La recherche clinique en psychopathologie. Perspectives critiques, PUF, pp.9-33.

Mots-clés
Filiation – Parentalité – Gestation pour autrui – Modèle matriciel paradigmatique
Résumé
La pratique de la gestation pour autrui n’entre dans aucun réseau symbolique permettant de comprendre les liens qui se constituent. Afin d’aborder la spécificité et la complexité de ces situations, nous avons élaboré un modèle théorique paradigmatique qui propose un rapport dialogique entre les concepts de filiation et de parentalité. Présenté sous forme matricielle, le modèle nous permet de connecter les savoirs issus de diverses disciplines. Il ouvre également sur la possibilité de repenser nos schémas conceptuels à l’ère des modifications de la reproduction, de la gestation et de la naissance.
Key-words
Filiation – Parenthood – Gestationnal surrogacy – New theorical matrix model

Summary
Gestationnal surrogacy is de most controversial procedures in the field of assisted reproduction. To understand these complex experiences, we did develop a new theorical paradigm articulating the concept of filiation and parenthood. Different discipline are connected into a matrix model. This model  allows us to reassess our representations of the family concept at a time where reproduction, gestation and birth are changing.