Dispositifs de soins en psychiatrie périnatale et troubles du comportement alimentaire
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Dispositifs de soins en psychiatrie périnatale et troubles du comportement alimentaire

Dédié à la psychiatrie périnatale, notre service reçoit les enfants de moins de 3 ans ainsi que leurs parents ; les motifs de consultation sont variés mais concernent essentiellement les troubles du lien parent-enfant. Ainsi, « la psychiatrie périnatale intervient lors de la présomption de risques pour le bébé… sa fonction est préventive et thérapeutique » (Garret-Gloanec et Pernel, 2016). Nous recevons donc régulièrement des parents présentant un trouble psychiatrique plus ou moins sévère et qui s’inquiètent des conséquences de ce trouble sur leur relation à leur enfant. Nous avons même développé, au sein du pôle dirigé par le Dr Vacheron et créé à son initiative (ainsi qu’à celle du Dr Mintz, pédopsychiatre) en 2011, une consultation spécifiquement dédiée à cette question des troubles psychiatriques de futurs parents, la consultation CICO. A visée préventive, donc pré-conceptionnelle ou prénatale, elle a pour principe une consultation conjointe psychiatre-pédopsychiatre pour aborder divers sujets (prescription de psychotrope la plus appropriée possible, choix de la maternité, mise en réseau des différents professionnels, information sur les dispositifs de soin existants, consultation pédopsychiatrique précoce voire prénatale). Si les pathologies psychiatriques motivant ces consultations sont très variées (troubles schizo-affectifs, troubles bipolaires, troubles de la personnalité, schizophrénie, etc…), un trouble du comportement alimentaire n’a jamais été, à ce jour, un motif de consultation parmi les plus de 200 femmes déjà rencontrées.

Plus globalement, une demande de consultation pour un trouble du comportement alimentaire, à savoir « je suis anorexique, je suis boulimique et je m’inquiète des répercussions sur la relation à mon enfant » est particulièrement rare. Ainsi, les troubles du comportement alimentaire maternels ne semblent pas être une cause d’hospitalisation en Unité mère-bébé ni même de consultation dans les mois qui suivent la naissance d’un enfant (Chardeau et Lafont, 2007 ; Glangeaud-Freudenthal, 2008). Comment peut-on le comprendre ? Considère-t-on que de tels troubles ont peu de conséquences sur la relation mère-enfant en construction ? Que ces troubles sont finalement trop peu fréquents comme l’indiquent certaines études (Navarro et coll., 2008) ? Ou plutôt, ces troubles sont-ils mal identifiés, voire déniés par les femmes comme par les professionnels ? Il semble pourtant, lorsqu’on tente de dépister des troubles alimentaires en période périnatale que ceux-ci soient bien plus fréquents qu’estimés. Par exemple, dans une étude menée dans une maternité française (Chassevent-Pajot et coll., 2011), près de 12% des 300 femmes enceintes interrogées avaient les critères diagnostiques d’un TCA (dont 10% avec une dénutrition). Une étude menée en Norvège auprès d’un très large échantillon (Watson et coll., 2014) retrouve une prévalence plus modeste autour de 5% ce qui, en soit, peut déjà être considéré comme un problème de santé publique. La collaboration engagée avec la maternité et le service de pédopsychiatrie de l’Institut Mutualiste Montsouris nous donne l’occasion de rencontrer un certain nombre de patientes présentant ces difficultés au décours de la naissance de leur enfant. C’est rarement la cause de leur consultation et cette problématique émerge dans un second temps voire, dans certains cas, ne devient jamais un sujet. Pour les familles qui prennent rendez-vous, les motifs de consultation explicités relèvent plus des conflits conjugaux et plus globalement de parentalités originales.

Des consultations motivées par des sujets en apparence très éloignés des préoccupations alimentaires et des enfants conçus dans des conditions souvent complexes

Ainsi, Mme M., enceinte, vient consulter car elle s’inquiète du lien à son futur enfant dont je comprends qu’il est issu d’un double don avec une fécondation in vitro (FIV) menée à l’étranger. Comment cet enfant va-t-il l’aimer alors qu’ils n’ont « aucun gène en commun », qu’elle l’élèvera probablement seule ? Cette femme nous est adressée par la psychiatre de liaison qui l’a rencontrée au décours de l’échographie du 3e trimestre de grossesse. Durant celle-ci, le médecin lui fait part de ses inquiétudes devant un retard de croissance intra-utérin et de signes en faveur d’une menace d’accouchement prématuré ; Mme M. fond alors en larmes, inconsolable voire débordée par son anxiété, en venant à tenir des propos inquiétants. Lors de cette consultation de liaison, la psychiatre est interpellée par l’extrême maigreur de cette patiente (35 semaines d’aménorrhée (SA,) 42 kg pour 1m70). Très rapidement, convaincue qu’un suivi postnatal sera nécessaire, elle décide de nous l’adresser et tente en même temps d’aborder ses inquiétudes concernant sa santé, son trouble alimentaire, inquiétudes relayées par les médecins de la maternité qui craignent des complications. Finalement Mme M. ne souhaite plus voir cette psychiatre car elle s’est sentie trahie que celle-ci prenne trop en considération des troubles alimentaires qu’elle pense résolus. La fin de la grossesse est marquée par l’appréhension des professionnels en raison du RCIU ; pourra-t-elle mener sa grossesse à terme ? Des fantasmes d’infanticide en lien avec sa sous-alimentation sont aussi évoqués. Elle leur en fait le reproche car ils la stresseraient. En même temps, elle a du mal à respecter les prescriptions médicales, se repose peu ; vient en tramway et reste debout sur l’ensemble du trajet, personne ne paraissant remarquer sa grossesse. Plus tard, nous apprenons aussi que Mme M., deux ans avant la grossesse actuelle, a déjà été enceinte par FIV aussi et dû recourir à une interruption médicale pour « raisons de santé », à savoir une perte de poids trop importante. Encore une fois, ces difficultés sont banalisées.

Mme D., quant à elle, consulte peu de temps après la naissance de sa première fille car elle s’inquiète du conflit avec le père avec qui elle n’a jamais vécu et qui aurait souhaité une interruption de grossesse. Très rapidement, elle évoque un passé d’anorexie (ayant justifié plusieurs hospitalisations) mais qu’elle considère comme révolu.

Mme F. consulte pour sa fille de 3 ans car elle est désemparée face aux colères de celle-ci, colères qui ont pris de l’ampleur depuis que les contraintes professionnelles de son mari l’obligent à de nombreux déplacements. Elle aussi évoque une anorexie à l’adolescence et des conflits avec ses propres parents et s’inquiète d’une éventuelle répétition avec sa propre fille. Comme pour les précédentes, les questions alimentaires ne semblent pas être un sujet dans les difficultés relationnelles qu’elle rencontre avec sa fille.

Toutes ces femmes présentent une psychopathologie sévère et complexe ; toutes considèrent que leurs symptômes ont disparu ou sont moins prégnants et toutes dénient les effets délétères potentiels pour elles-mêmes comme pour leur bébé et aborder ce sujet paraît menacer la relation thérapeutique en construction. Leur anorexie est souvent passée inaperçue jusqu’à la fin de leur grossesse ce qui parait assez commun car les femmes ayant des troubles du comportement alimentaire en parlent peu spontanément au cours de leur grossesse (Vignalou, Guedney, 2007).

Pour l’une d’entre elles, sa symptomatologie s’est finalement révélée par le RCIU (Retard de croissance intra-utérin) de son enfant, un des risques principaux avec la prématurité, la souffrance néonatale et les complications obstétricales (Fairburn et coll., 2003) ; elle sera d’ailleurs à nouveau hospitalisée pour des saignements à distance de l’accouchement. Pour une autre, ce n’est qu’au cours des consultations thérapeutiques mère-bébé qu’elle fera part de symptômes encore envahissants qui ont d’ailleurs pris de l’ampleur durant ses grossesses, tels que des comportements obsessionnels centrés sur l’hygiène. Elle a néanmoins pu mener deux grossesses à bien et à terme avec deux enfants eutrophiques. Toutefois, tout au long du suivi, elle fait part d’une hyperactivité, de tri alimentaire, mais aussi du choix d’allaiter dans une perspective de perte de poids. Ce ne sont, encore une fois, pas ses conduites alimentaires qui motivent sa demande de consultation.

Naissance et complications ; devenir de ces enfants

Mme M. accouche à terme d’un petit garçon en bonne santé malgré une hypotrophie (moins de 2 kg et 45 cm). Elle décrit un bébé qui pleure beaucoup, très souvent dans les bras. Elle ne s’inquiète plus, après la naissance de son fils, de comment celui-ci pourrait s’attacher à elle et l’aimer mais plutôt de ses propres élans. Elle ne le trouve pas beau ; « il n’a pas de menton », elle n’aime pas son profil.

Dès les premières semaines, le suivi instauré est régulier avec une forte demande de cette femme. L’Hospitalisation à domicile (HAD) touche à sa fin, son fils va entrer en halte-garderie grâce à un appui de la PMI (à qui la situation a été signalée dès la sortie de maternité, avec une puéricultrice à domicile qui est peu investie). Je propose plusieurs fois notre Unité de jour bébé-parents (UDJ), sans succès mais aussi sans grande conviction. Je propose aussi en complément des consultations quasi-hebdomadaires un suivi en psychomotricité qui se justifie par la difficulté de Mme à apaiser son fils.

J’ai retrouvé cette importance accordée à l’allaitement au sein avec Mme D., que j’ai rencontrée alors que sa fille était déjà plus grande. Et aussi comment cet allaitement, souvent à la demande et donc très fréquent, semblait avoir une fonction anxiolytique et résolutive de situations potentiellement conflictuelles. Ainsi, toutes deux usaient de la mise au sein pour résoudre toute manifestation d’inconfort, tout pleur de leur enfant respectif. Plus tard, l’une comme l’autre diront en des termes très proches : mon enfant n’a pas de doudou ; ou plutôt, son doudou, c’est moi ». Ces observations rejoignent ce qui a pu être décrit de mères anorexiques qui utilisent l’allaitement à des fins non nutritives pour calmer ou récompenser (Agras, 1999) ainsi que de moments compliqués faits d’inconfort et d’intrusion maternelle (Waugh et Bulik, 1999).

Je retrouverai aussi, au fil du suivi, différentes difficultés tels que des troubles du sommeil pour chacun de ces enfants qui semblent liés aux difficultés d’individuation, de différenciation. Ainsi, les mères ne parvenaient pas à instaurer de rythmes avec un endormissement laborieux de l’enfant, en présence de sa mère, dans le même lit, souvent.

En ce qui concerne les repas et l’alimentation, leur devenir a semblé très différent ; quand l’une des mères contrôlait les apports alimentaires de son enfant et craignait régulièrement qu’il « se gave » en halte-garderie, une autre semblait, dans les suites de l’allaitement au sein, continuer à remplir sa fille de divers aliments pour réguler frustration et conflits potentiels.

Vers 10-11 mois, au cours d’une consultation, Mme M. sort brusquement du bureau pour répondre longuement au téléphone. Je reste seul avec son fils. Il me connaît bien mais paraît désemparé, se dirige rapidement vers la porte, ne pleure pas mais semble inquiet. Je tente de jouer avec lui tout en lui expliquant que sa mère est partie téléphoner sans parvenir à le rassurer. Lorsqu’elle revient, elle est en larmes. Il se précipite vers elle et demande à être pris dans les bras. Durant un long moment, elle ne le voit pas ; lorsque je lui en fais la remarque, elle lui dit ne pas être disponible, pas maintenant. Il pleure à ses pieds, inconsolable ce qui suscite de l’irritation chez Mme. La consultation finira peu de temps après, sans résolution. Nous pourrons ensuite souvent en reparler et Mme a bien en tête que son fils avait besoin d’elle malgré sa détresse du moment. Ça me fait penser au sentiment récurrent éprouvé durant les rendez-vous ; Mme parle, beaucoup, avec un ton assez fort, sans discontinuer. Souvent il joue avec les jeux disponibles, légèrement à distance et se rapproche régulièrement de sa mère pour un bref contact. Il est alors compliqué pour le consultant de porter attention conjointement aux manifestations de son fils comme aux propos de Mme. Je fais part à Mme de la difficulté à instaurer des rythmes, une organisation permettant d’aider cet enfant à réguler ses émotions. Je réitère ma proposition de psychomotricité sans grand succès. Elle me dira plus tard que ces rdv sont difficiles ; la psycho-motricienne est trop calme quand elle a besoin de mouvement. Même la prosodie de celle-ci la met en difficulté.

Lors des dernières consultations, il bouge beaucoup, se cogne régulièrement sans rien en manifester. Mme m’explique même avoir une vidéo sur laquelle il se cogne la tête, ne pleure pas, ne demande rien et reprend son jeu après un moment ; j’observe des comportements similaires il s’écrase les doigts entre deux Lego, n’émet pas un son, se dirige vers sa mère, lui touche les jambes puis repart. Elle le laisse d’ailleurs déambuler sans sembler craindre qu’il ne se fasse mal. Ce n’est que lorsqu’il a deux ans que débute une psychothérapie psychomotrice combinée à des consultations toujours très régulières.

Quant à Mme D. et sa fille, l’imminence d’une nouvelle naissance sera l’occasion de l’instauration de la reprise d’une thérapie dédiée à cette femme en complément des consultations mère-fille.

Dispositifs de soin en psychiatrie périnatale

Notre service, anciennement la guidance infantile créée par Michel Soulé dans les années 50 est maintenant entièrement dédié à la psychiatrie périnatale et dépend du Centre Hospitalier Sainte Anne il est situé 26, Boulevard brune, à l’Institut Paris Brune anciennement Institut de Puériculture de Paris. Il est organisé autour de :

  • La consultation avec un travail pluridisciplinaire et la possibilité de mener des psychothérapies mère bébé, des thérapies psychomotrices et orthophoniques.
  • L’UDJ Grain d’aile, destinée aux bébés et leurs parents, essentiellement les mères (capacité d’accueil maximum de 4 familles par jour), 5 jours par semaine, mêlant consultations, temps d’accueil, moments de la vie quotidienne tels que les changes, repas, bain, sommeil des bébés, temps à médiation collectifs, thérapie mère-bébé.
  • Une équipe mobile qui permet de consulter en maternité (partenariat conventionné avec Saint-Joseph et Necker) et dans les services de psychiatrie du CHSA ainsi que de se rendre au domicile des familles.
  • enfin, la consultation d’information de conseil et d’orientation (CICO) menée conjointement par des psychiatres et des pédopsychiatres consultation d’expertise dédiée aux femmes présentant un trouble psychiatrique enceintes ou exprimant un désir d’enfant. Elle a pour but d’aider ces femmes à faire les choix les plus justes (thérapeutique, choix de maternité, usage des réseaux de soin, orientation précoce vers la pédopsychiatrie) dans le cadre de ces grossesses à risque.

Ces offres de soin sont complémentaires, permettent de travailler avec le bébé et les membres de la famille vivant sous le même toit, d’accompagner les nouveaux équilibres familiaux dus à l’arrivée d’un bébé, de prévenir oui traiter les troubles des interactions. Nous recevons ainsi des familles qui consultent spontanément mais nombre d’entre elles sont adressées par nos partenaires (PMI, libéraux, maternités, secteurs de psychiatrie) et présentent des troubles psychiatriques reconnus. Se pencher sur les troubles du comportement alimentaires interroge justement ces dispositifs qui ne paraissent pas toujours adaptés dans ces circonstances. Ainsi, nous n’avons pas l’expérience à ce jour, d’usage de nos divers dispositifs (UDJ, équipe mobile, CICO) autres que ceux déjà bien connus tels que les consultations et les diverses offres thérapeutiques ambulatoires.

Bibliographie

Agras, S. ; Hammer, L. ; M.C. Nicholas, F. 1999. « A prospective study of the influence of eating-disordered mothers on their children », International Journal of Eating Disorders, 25.

Chardeau P., Lafont V. Unités mère-enfant en psychiatrie périnatale. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie, 37-170-A-10, 2007.

Chassevent-Pajot A, Guillou-Landréat M, Grall-Bronnec M, Wainstein L, Philippe H-J, Lombrail P, et al. (Epidemiological study on addictive behaviours during pregnancy in a universitary department). J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). mai 2011 ; 40(3) : 237‑45.

Fairburn, C., Harrison, PJ. Eating disorders. The Lancet ; Volume 361, No. 9355, p. 407-416, 1 February 2003.

Garret-Gloanec N, Pernel AS. De la psychiatrie périnatale à la psychiatrie néonatale : zoom sur le bébé de moins de six semaines. EMC Psychiatrie. 2017 ;169 vol 14-1 :1‑11.

Glangeaud-Freudenthal, M.C. Les hospitalisations mère-enfant à plein temps, Le Journal des psychologues 2008/8 (n° 261), p. 36-40. DOI 10.3917/jdp.261.0036

Navarro P, García-Esteve L, Ascaso C, Aguado J, Gelabert E, Martín-Santos R. Non-psychotic psychiatric disorders after childbirth : Prevalence and comorbidity in a community sample. Journal of Affective Disorders. 1 juill 2008 ; 109(1) : 171‑6.

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Waugh, E., Bulik, C.M. 1999. « Offspring of women with eating disorders », International Journal of Eating Disorders, 25.

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