Iron Man ou l’homme et son pouvoir : une quête identitaire
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Iron Man ou l’homme et son pouvoir : une quête identitaire

À la façon des mythes, la saga des bandes-dessinées de super-héros offre de multiples angles interprétatifs possibles. En reprenant celle d’Iron Man, cet article met l’accent sur les conflits narcissiques identitaires au cœur de la tension entre l’homme et son armure. Cette perspective ouvre sur les confusions potentiellement à l’œuvre dans les enjeux de la modernité, où l’homme semble de plus en plus indissociable de la machine. Ces héros modernes suscitent un engouement en résonnance avec les conflits internes de chacun, à l’instar des mythes antiques et de leurs épopées, rappelant la recherche chez Freud de rêves ou de fantasmes typiques et universels. Le destin des super-héros, héritant souvent d’une souffrance du passé, suggère régulièrement l’origine psychologique de leur vocation héroïque en métaphorisant l’enfance et ses points de fixation. Le facteur accidentel, si présent dans la théorie freudienne, est central dans la création mythologique des super-héros. Iron Man n’y échappe pas, à la différence qu’il n’est pas un mutant, né avec des pouvoirs, mais un homme pris dans les incidences décisives et parfois traumatiques de la vie. Ce personnage high-tech appartenant à la galaxie des super-héros de comics Marvel est désormais connu par le récit cinématographique de ses aventures. En relisant les premiers épisodes de la bande-dessinée créée par Stan Lee, nous reviendrons aux origines de ce personnage pour repérer les conflits internes, notamment narcissiques, entre homme et machine, augurant certaines des tensions subjectives propres à la modernité. Une fois ces premiers jalons posés, nous centrons notre propos sur le dialogue intérieur entre l’homme, Tony Stark, et son armure en fer, dialogue réflexif avec un double qui n’est pas sans convoquer des troubles du sentiment d’identité.

La genèse

Iron Man est développé pour la première fois en 1963 aux Etats-Unis, et traduit cinq ans plus tard en France. La référence à la guerre du Vietnam bat son plein au moment où la bande-dessinée apparaît. Son protagoniste principal, Anthony Edward Stark, est le richissime héritier d’une entreprise paternelle d’armement. Pendant la guerre, « Tony » Stark travaille au service du gouvernement américain. Cette activité amène ce play-boy au physique proche de celui de Clark Gable à se rendre sur le terrain pour démontrer la puissance d’une de ses inventions : des transistors capables de décupler la puissance de n’importe quelle arme. Or, à cette occasion, il saute sur une mine qui projette des éclats mortels près de son cœur. Capturé par les soldats Viêt-Cong, il est obligé par leur chef à fabriquer des armes avec l’aide d’un scientifique asiatique, le professeur Yinsen, lui aussi prisonnier. Conscients de la mort imminente de Tony Stark, ils s’ingénient tous deux à mettre secrètement au point une armure dotée d’un générateur de champ magnétique destiné à ralentir la progression des éclats dans le corps de Stark. Pour gagner du temps, afin que l’armure accumule assez d’énergie pour fonctionner avant que les Viêt-Cong ne découvrent le subterfuge des deux alliés, le professeur Yinsen sacrifie sa vie en se jetant sur les soldats. Grâce à sa carapace d’acier, le survivant va ensuite se débarrasser facilement de ses geôliers. Iron Man est né. À l’instar de la plupart des super-héros, le pouvoir qu’il a acquis l’a été au prix d’une vie sacrifiée.

Sa collaboration à une guerre controversée fait d’emblée de Stark un personnage ambigu, à la fois patriote et marchand d’armes sans scrupule. La personnalité de cet homme, libertin, fêtard, génie électronique, célibataire milliardaire très courtisé, contraste avec l’héroïsme d’Iron Man, davantage guidé par un penchant surmoïque à vouloir rétablir l’ordre à tout prix. L’un n’empêche pas l’autre, sauf que l’image que se renvoient en miroir les deux alter-egos confine au clivage et au conflit identificatoire.

Au fil des épisodes, ses supers-pouvoirs dévoilent en effet de « supers problèmes ». D’emblée, on s’aperçoit que la puissance de l’armure comble la défaillance de l’homme : l’omnipotence d’Iron Man se retourne comme un gant en regard de la fragilité cardiaque de Stark. Des problèmes de cœur, voilà une métaphore qui hantera régulièrement l’homme sous son plastron de métal. Au départ, Stark invente un circuit électronique source d’énergie pour recharger son cœur comme une batterie, au point qu’à chaque fois qu’il se sent son cœur faillir, il lui est indispensable de trouver une prise électrique pour recharger son armure. Cette relation d’interdépendance homme-machine, à la vie à la mort, laisse progressivement entrevoir un paradoxe : l’armure enferme l’hôte qu’elle protège. Cette série fictionnelle renvoie au problème existentiel de l’Homme contemporain : faut-il avoir pour être ? ; « Est-ce l’homme qui fait l’armure, ou l’armure qui fait l’homme ? » Sans doute cette question devrait-elle rester en suspens, à l’instar du paradoxe en « trouvé-créé », paradoxe dont l’éventuelle résolution est au prix de la perte de l’illusion (Winnicott, 1966). Celle relative au sentiment d’omni-potence inhérent au port de l’armure semble friable. Tony Stark est en effet fréquemment rattrapé par la réalité de sa dépendance vitale à Iron Man. En cas de danger, s’il perd l’armure, il est perdu. Elle est donc à la fois une protection indispensable et, à l’instar d’un symptôme, la marque de la fragilité à laquelle elle vise à pallier.

Dès le second épisode, Iron Man devient publiquement le garde du corps de Tony Stark, ce qui résonne de manière littérale ; la dimension de survie passe par la nécessité d’un double héroïque. La transformation de Stark en Iron Man est marquée par un temps de passage, Tony Stark doit endosser l’armure qu’il porte en permanence dans un attaché-case. Il doit se cacher pour se changer, comme une intimité interdite avec Iron Man. Les premiers surnoms commencent à être lancés : « Gladiateur d’or », « Justicier d’airain », « Goliath de métal ». Toutefois, comme en contrepartie de ces surnoms surpuissants, dans les combats l’armure est bombardée, chauffée à blanc, cognée, etc. On passe d’un objet idéalisé confinant à la représentation mythique à celle d’un objet partiel dévalorisé, réduisant l’armature à un « tas de ferraille ». La sacralisation de cet objet se double d’une terreur face à l’emprise qu’il a sur l’homme. « Hélas, je suis Iron Man, un homme de fer… privé de cœur ? », songe-t-il lors de l’épisode huit. L’armure ne se laisse pas fendre par les sentiments qui atténuent l’idéal guerrier. La vie du super-héros se fait souvent au prix de celle de Tony Stark, l’armure croisant le fer avec le cœur et ses passions. La vertu protectrice de cette carapace de métal s’accompagne de l’inquiétante angoisse d’être annexé par elle. L’homme se sent parfois envahi et dépassé par cette machine à qui il doit la vie. La dépersonnalisation guette. Aussi Stark cherchera-t-il à s’en séparer plus d’une fois, sans jamais y parvenir. De surcroît, cette armure, qui transforme l’homme en surhomme, est convoitée par les adversaires du héros qui cherchent en permanence à la lui dérober. Que ce soit chez les super-vilains, ou les proches de Stark, Iron Man suscite une envie source de jalousie et de rivalité. La conflictualité entre Stark et Iron Man est introduite par la possibilité que quelqu’un d’autre puisse prendre sa place à l’intérieur de l’armure. Un ennemi pourrait la lui dérober pour commettre des activités illicites, mais cette substitution pourrait aussi être pour Stark l’occasion de se dégager d’un double envahissant.

Durant l’épisode 3, Tony Stark doit prêter le casque de son armure au seul employé au courant de sa double identité, pour rester en contact avec lui : « En portant ce gadget, je deviens une extension vivante de vous-même », entonne à cette occasion l’employé complice, avant d’évoquer la tentation irrésistible de « prendre sa place » (Lee, 1968a). Or, être Iron Man implique sacrifices et conflits : être ou ne pas être Iron Man, tel est le dilemme identitaire tourmentant Tony Stark. La fin de cet épisode se termine d’ailleurs de façon amère par la mise en danger mortel de son ami. Le prix à payer en enfilant l’armure est d’endosser les risques qui lui ont trait, mais aussi d’être une menace pour les êtres chers. Lorsqu’il veut retrouver une vie normale, à la faveur d’une rencontre avec Edward March, un boxeur qui se glisse à sa place dans l’armure, là encore ça tourne mal, et Tony se dit : « Comment ai-je pu oublier mes responsabilités, céder à ma peur, envoyer quelqu’un d’autre mourir à ma place », reprenant l’épisode des origines où, pour reprendre Winnicott, il a fallu passer sur le corps de quelqu’un pour avancer. L’idéal est mis en tension lorsqu’à l’issue d’une bataille victorieuse la conclusion de cet épisode trois s’énonce ainsi : « aussi douloureux que ce soit personnellement pour Tony Stark, il doit y avoir un Iron Man ». À cette occasion apparaît à nouveau le fantasme sacrificiel qui fait pencher la balance des sentiments ambivalents du côté du double héroïque, figure-fond de bien des super-héros.

L’armure comme seconde peau

Progressivement, l’armure en double va devenir une armure connectée avec la pensée de Stark pour lui obéir comme une partie de son corps, une machine intégrée ou un homme augmenté constamment auto-réparé. Alors que cette armure ressemblait au départ à une « boîte de conserve », elle s’affine progressivement et devient une seconde peau, source de vie mais aussi synonyme de menace mortelle. Parallèlement, le graphisme d’Iron Man laisse alors entrevoir une distance minimale entre l’homme et sa création. Cette moindre esquisse de différenciation que laisse entrevoir le dessin préfigure le sentiment d’identité fluctuant du personnage. À mesure que l’écart entre l’homme et sa création diminue, le fantasme omnipotent lié à la fusion homme-armure se prolonge ainsi dans la crainte claustrophobique d’être enfermé dans cette « prison d’acier ». Subrepticement, une ambivalence se fait jour. L’homme peut se sentir pris au piège du double métallique destiné à le transcender. En témoigne notamment l’épisode durant lequel la batterie alimentant Iron Man atteint un niveau si bas que Tony Stark fait une attaque cardiaque. Il parvient à recharger son armure suffisamment rapidement pour ne pas succomber, mais reste néanmoins enfermé à l’intérieur de la gangue métallique pendant plusieurs semaines. Une tension fusion/décollement se fait jour. La menace qu’induit la connexion à l’armure se lit particulièrement dans l’épisode où Stark conçoit une seconde armure afin qu’un ingénieur au courant de sa double identité puisse le seconder, révélant que cette armure est une menace pour l’homme qui la porte. Cette peau carapace fermée et dure, qui protège Tony Stark des dangers émanant du dehors, tout en l’emprisonnant au-dedans, n’est pas sans rappeler certains traits autistiques évoqués par G. Haag (1986).

Lorsque les dessins montrent une armure flexible au métal moulant les formes du corps, l’envers de cette peau défensive apparaît : l’armure collée au corps suggère une peau ventouse. Ce collage homme-armure évoque l’invasion de la perception par l’hallucinatoire dans la psychose. À ce propos, Tausk écrit que la première manifestation de la vision chez le nourrisson serait bidimensionnelle avant d’être tridimensionnelle (1975, p. 207). Les représentations reposent alors sur un fond plat, sans espace intermédiaire pour distinguer les espaces du dedans et du dehors. Les images s’imposent à la psyché en se « collant » littéralement à la perception, oblitérant de ce fait la possibilité d’effectuer une distinction entre représentations internes et stimulations externes. Au fil des épisodes, l’armure évolue et devient plus puissante encore, améliorée par ses gadgets high-tech. Au fur et à mesure des mutations d’Iron Man, l’idée que la créature dépasse le créateur émerge. Ainsi, au moment où les autorités s’inquiètent du pouvoir acquis par l’homme de fer, Stark se range à l’idée qu’il serait préférable de laisser le congrès décider de « la responsabilité d’une telle création », situant le point de vue de Stark envers sa création personnelle à la fois géniale et inquiétante. Plus l’armure se perfectionne pour faire corps avec Stark, plus l’autonomie qu’elle acquiert lui confère une étrangeté menaçante. Plus elle ressemble à l’homme avec qui elle se fond et se confond, plus elle devient inquiétante : trop étrangement familière.

Un vacillement identitaire

Lors de l’épisode neuf, poursuivant Hulk, Iron Man brise une vitre et se dit alors : « Tony Stark paiera les dégâts, à moins que cette maison ne soit à moi ». Ici apparaît le vacillement identitaire de l’homme sous l’armure avec un détriplement du moi traversé par une rivalité narcissique : Stark se parle à lui-même à la troisième personne en tant qu’Iron Man, tout en incluant un troisième terme à la première personne ; ce moi ne sait pas si cette maison lui appartient, soulevant une question source de flottement identitaire : est-ce que ceci est à moi, dans le prolongement d’une interrogation inquiétante : ce corps m’appartient-il ? Un peu plus tard, ce détriplement revient sous la forme de la création d’un clone de Stark destiné à tromper le Mandarin qui a découvert sa double identité, en permettant à Iron Man et à Stark de se trouver au même endroit au même moment : le robot, Stark et Iron Man. Au cours de l’action, Iron Man donne son énergie au clone pour le ranimer, dans un échange entre machines qui augure un nouveau type de dialogue non exclusivement humain. Ultérieurement, ce dialogue homme-machine sera l’occasion d’un conflit opposant Tony Stark à ses propres créations. Ainsi, lors de l’épisode 17, le clone androïde se rebelle contre le vrai Stark à qui il indique s’être amélioré. Il a désormais accès à tous les secrets de l’industriel, y compris celui concernant la précieuse armure. Stark ne s’y trompe pas et rétorque : « Tu prétends te substituer à moi ? C’est de la folie ». Le clone répond alors : « Non, pour une machine, c’est parfaitement logique. Je suis mécaniquement parfait tandis que tu n’es qu’un homme au cœur malade. J’ai tous tes talents et aucune de tes faiblesses. Il est évident que l’intérêt du monde entier exige que je sois toi », conclue-t-il de cet étonnant soliloque. L’histoire se poursuit en exploitant le scénario classique du vol d’identité : Stark, déchu de ses privilèges par ce double, termine dans la rue. Abandonné de tous, et privé de technologie, sa vie est mise en péril par son cœur qui lâche. Stark commente ainsi sa déchéance : « C’est un cauchemar, comme si j’avais cessé d’exister, comme un vulgaire fuyard terrifié ».

Lorsqu’il perd sa bien-aimée, Stark veut faire un voyage pour tenter d’oublier, ce qu’il fera plus tard en devenant alcoolique. Mais à ce moment-là, c’est Iron Man qui est investi : « J’ai besoin de mes muscles de métal », se dit Stark ; ce n’est pas seulement l’investissement de la motricité via l’enveloppe musculaire, c’est aussi une évocation du caractère jubilatoire et addictif du mouvement consistant à se glisser dans cette peau de fer ajoutant un potentiel de puissance, de sensations que le simple humain ne peut obtenir. Mais l’utilisation de cette prothèse narcissique sous forme d’armure n’est pas sans conséquence, d’autant que les ennemis utilisent régulièrement la technologie créée par Stark pour la retourner contre Iron Man dans certains combats. Sous l’enveloppe métallique, il y a de quoi s’y perdre tant les conflits s’entrecroisent ; ainsi le champion de la loi et de l’ordre, tel l’ancien cow-boy shérif des westerns, fait sans le savoir le jeu des injustices que promeut un pouvoir dévoyé de ses fonctions surmoïques et mis au service d’un Moi Idéal que rien ne limite. De quoi douter de ses qualités, ce qu’illustrera son alcoolisme, façon de ressaisir quelque chose d’une vie intérieure ballotée entre un sentiment de dévalorisation face à un père trop grand et une armure trop étroite. L’alliance, voire la symbiose entre Stark et Iron Man éclate en morceaux, les armes de défense de la machine tombent en désuétude pour laisser l’homme fragile et affecté sur le devant de la scène. La quête d’une identité propre implique un travail de deuil et de renoncement.

Une érotisation du double

Un des enjeux « intersubjectifs » entre Stark et sa création réside dans la question de l’alter ego : l’invincible Iron Man s’oppose au fragile être humain avec ses problèmes de cœur. Comment échapper à l’autre, le mettre en absence, lorsqu’il est constamment là et qu’il fait figure de double, ayant les mêmes besoins et désirs, souvent au même moment ? À la façon d’une ombre tombée sur le Moi de Stark, Iron Man le confronte à un stade du miroir indéfiniment prolongé, avec l’apparence comme seul signe distinctif du narcissisme des petites différences. Le prolongement narcissique que représente Iron Man relève d’une continuelle confrontation au même que seule la constitution du duo en couple sado-masochique va permettre de différencier. Notons d’ailleurs qu’un mécanisme d’autodestruction a d’emblée été inséré dans l’armure, sans doute au cas où la créature Iron Man, ce double qui colle à la peau, trouve une autonomie et prenne le pouvoir indépendamment de son créateur.

Sur le plan sexuel, en considérant la figure du double comme investie de libido, la proximité incestueuse, favorisée par le lien gémellaire fut posée par Freud dans un bref récit de cas. Le problème de comportements sexuels identiques de jumeaux amena l’un d’eux à devenir homosexuel, pour ne pas avoir à « être, par la suite de leur ressemblance, confondu avec lui dans des circonstances intimes […] » (Freud, 1920, p. 257). Le registre narcissique sexuel est source de confusion identitaire, interrogeant chez Iron Man le caractère homosexué de l’investissement de l’armure par son créateur. Par conséquent, le travail de différenciation (Houssier, 2013) occupe une place centrale dans la relation à l’armure, cette autre peau dont Stark se sent prisonnier. L’écart qui subsiste entre l’homme et sa création, se révèle être une chance de ne pas adhérer au fantasme omnipotent d’une fusion totale et totalisante homme-armure. Or, lorsque la mince pellicule de différenciation – de l’air – entre l’homme et l’armure se défait, l’armure et l’homme finissent par ne faire qu’un. On peut penser alors à la constitution d’une unité de deux parts en un seul sujet, ou alors à un Tony Stark pris dans une identification adhésive à son armure et au personnage qui en est le prolongement. Le fantasme mégalomaniaque d’invincibilité qui alimente cette adhésion semble d’autant plus susceptible d’intérêt qu’il figure quelque chose de l’imaginaire que met en branle la modernité.

Epreuve subjective et modernité

Cette saga relance régulièrement les conflits du processus de subjectivation, sur fond de quête d’identité et d’accès à l’altérité ; il est question de conquérir l’autre en soi, interne et inconscient, projeté sur la figure externe du double. Réparé et augmenté par l’armure-machine créée par le sujet, dans de constants entrelacs identificatoires, le corps devient un ennemi intime, ce par quoi passe le sentiment de faiblesse et de mortalité, sorte d’incarnation d’un moi surcompensé, une forme d’idéal narcissique de perfection absolue.

La relation entre Stark et Iron Man est comparable à celle entre mère et bébé, entre celle qui interprète sa création pendant la préoccupation maternelle primaire et la période d’illusion omnipotente du bébé. La mère par son activité psychique transforme des expériences physiologiques du bébé en expériences émotionnelles. L’appareil à interpréter de la mère enrichit le psychisme du bébé grâce au sens que la mère donne aux signaux qu’il émet. Ces signaux qui, à eux seuls, n’ont que valeur d’indices deviennent de vrais moyens de communication. Comme le lien de pensée entre T. Stark et son armure, cette communication entre la mère et son bébé est proche d’un lien télépathique qui n’est pas sans engendrer une confusion entre soi et l’autre (Houssier, 2014). L’alternance identificatoire entre Stark et Iron Man, rappelle d’ailleurs le corollaire suivant : si la mère fait le bébé, l’inverse est aussi vrai, comme on ne sait pas toujours qui nourrit qui entre l’homme et son armure. La saga Iron Man préfigure-t-elle une évolution sociale dans laquelle la technologie, fille de l’humanité, deviendrait mère de celle-ci ? Ce renversement de nature prométhéenne advient quand l’homme est dépassé par son œuvre. Au niveau subjectif, lorsque la création prend le pas sur son créateur, on l’a vu, une rivalité primaire et persécutive s’instaure.

Comme en écho à la fantasmatique d’Iron Man, en 2002, la National Science Foundation (NSF) publia un rapport prescripteur sur Les Technologies convergentes visant à l’augmentation des performances humaines. Au programme, nanosciences, biologie, sciences cognitives et technologies de l’information se voyaient réunies pour la fabrication d’un… surhomme. Un concept exploité par plusieurs programmes américains, notamment Talos, une tenue de combat ultralégère conçue à base de nanomatériaux qui résiste aux balles. Ses capteurs physiologiques surveillent l’état du soldat dont la force est augmentée au moyen d’un exosquelette. Cette armure façon Iron Man devrait être opérationnelle en 2018. Mais Talos n’est qu’un vêtement d’un nouveau genre. Aujourd’hui, de nombreuses recherches visent à augmenter les aptitudes humaines, en particulier cognitives, grâce à la mise au point d’implants neuronaux.

À l’Université de Californie du Sud, l’ingénieur et neurobiologiste Theodore Berger développe depuis plus de 20 ans, des puces électroniques censées restaurer la mémoire à long terme. Testées chez le rat et le singe, elles sont actuellement à l’essai pour des hommes ayant subi des lésions cérébrales altérant les facultés mnésiques. Ce rêve ultime du transhumanisme prévoit de transférer notre esprit depuis le cerveau vers une machine. Une vie éternelle enfin débarrassée de ce véhicule encombrant et vieillissant qu’est le corps, pour mieux dépasser sa condition de mortel. Lorsqu’un homme ne sera plus capable de savoir s’il parle à un homme ou à une machine, nous serons en route vers l’autonomie de la machine et vers la conscience artificielle, prophétisait Turing en 1950 ; ce fantasme aussi vieux que le monde est désormais en voie de se réaliser, ouvrant la route à une potentielle psychotisation de la vie psychique.

Bibliographie

Freud S. « Sur la psychogenèse d’un cas d’homosexualité féminine » (1920). In : Névrose, psychose et perversion. Paris : PU, 2008 : 245-270.

Haag G. Adhésivité, identité adhésive, identification adhésive. Gruppo, Revue de Psychanalyse Groupale 1986 ; 2 : 110-116.

Houssier F. Meurtres dans la famille. Dunod ; 2013

Houssier F., Sauvagerie et confusion : l’adolescence dans le courant post-kleinien, Topique, 217, 2014, p. 79-93.

Tausk V. Œuvres psychanalytiques. Paris, Payot, 1975.