Guide des psychothérapies
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Guide des psychothérapies

Introduction

Si le nombre de psychanalystes continue de croître dans le monde, celui des cures psychanalytiques proprement dites ne cesse de décroître, du moins si l’on s’en tient à la définition traditionnelle de la cure, de son cadre et de son processus. En moyenne, les psychanalystes ne pratiquent guère plus que deux psychanalyses, et la majeure partie de leur activité consiste en des psychothérapies, généralement en face à face, au rythme de une à deux séances par semaine.

Cette situation soulève de très importantes questions, portant sur la nature des différences entre les pratiques, leur place dans le domaine des soins en santé mentale, les recherches -et en particulier celles concernant les indications et l’évaluation des résultats- et enfin la formation des psychothérapeutes. Les réponses demeurent confuses et mobilisent peu l’intérêt des praticiens eux-mêmes et des institutions. Rares sont les associations de psychanalyse qui ont pris des positions claires pour former à la psychothérapie. Certaines ne reconnaissent aucune différence de principe et tiennent pour psychanalyse toutes les pratiques du psychanalyste (cf. le concept de psychanalyse thérapeutique chez les lacaniens). D’autres enfin ne veulent pas considérer le problème et le tiennent hors de leur champ de préoccupation.

De très nombreux praticiens, en règle générale psychiatres et psychologues, se forment en dehors des institutions, quand ils ne rejoignent pas certaines institutions lacaniennes. Pour la psychothérapie psychanalytique des adultes, il n’existe pas en France d’institutions autonomes, mais ceci est une exception et de telles institutions existent dans la plupart des pays, parfois même fédérées officiellement avec les sociétés de psychanalyse. Indépendamment de cet enchevêtrement institutionnel, on déplorera la rareté des travaux qui essayent de préciser la nature des différences entre psychanalyse et psychothérapie analytique et entre les différentes formes de psychothérapie psychanalytique.

Quelques points d’histoire

Cette situation chaotique est à resituer dans son cadre historique. Jusqu’à la dernière guerre mondiale, la question ne se posait guère. Freud s’était interrogé sur l’avenir de la psychanalyse et son application au plus grand nombre. En 1918, pour la première fois et, paradoxalement, au décours des violences et des passions de la guerre, il prenait acte que la psychanalyse a bien un avenir. Elle avait trouvé une certaine reconnaissance publique (en l’occurrence dans les empires centraux) en raison de son utilité pour comprendre et traiter les psycho-névroses de guerre. Certains indices montraient qu’elle avait trouvé également des adeptes hors de l’Europe en guerre. Mais si elle avait un avenir, elle avait à s’adapter à des contraintes diverses. Freud n’envisageait pas, à l’époque, le cas des enfants, ni celui des maladies mentales graves. Il retenait la faible motivation de sujets, trop occupés par les soucis de la vie quotidienne, ce qui risquait d’empêcher le développement des processus de transfert (la “névrose de transfert”) nécessaires à la mobilisation des symptômes. D’où une double stratégie : favoriser activement les processus de transfert et, à l’inverse, obtenir un effet thérapeutique malgré la faiblesse de ces processus. Freud proposait dans ce dernier cas de tempérer la neutralité propre à la cure par une certaine “dose” de suggestion, entendons des attitudes plus directives à l’égard de la vie relationnelle ou des symptômes des patients. D’où la métaphore de mêler à l’or de la psychanalyse le cuivre de la suggestion.

La question n’évoluera que peu entre les deux guerres, si ce n’est dans le champ de la psychothérapie des enfants et, à un moindre degré, celui des psychoses. S’agissait-il, d’ailleurs, d’appliquer la psychanalyse ou de développer des méthodes pédagogiques et rééducatives inspirées de la psychanalyse ? La question était ainsi posée. Quant au reste, des esprits particulièrement soucieux d’efficacité thérapeutique dans les cas graves, comme Ferenczi, s’interrogeaient sur des aménagements dans la ligne indiquée par Freud, mais ceci demeurait une préoccupation marginale et jugée plutôt négativement par la majorité des psychanalystes.

La situation a changé assez radicalement après la seconde guerre mondiale, cette fois-ci du côté des “alliés”, c’est-à-dire en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Les psychanalystes avaient été largement impliqués dans la psychiatrie de guerre et de nombreux psychiatres avaient appris à en utiliser les ressources dans le traitement des désordres émotionnels. La diffusion de la psychanalyse s’étendit alors à tout le système de soins et à la formation des jeunes psychiatres. Des innovations techniques furent proposées pour répondre aux besoins nouveaux : psychothérapies brèves, psychothérapies de groupe, etc. Des ouvrages furent publiés, traitant des applications de la psychanalyse à différentes pathologies et à différentes situations individuelles.
Quarante années plus tard, la situation n’a guère évolué. Cette inertie tient à diverses raisons. Les institutions psychanalytiques ne se sont guère intéressées aux psychothérapies. Les uns laissent la psychothérapie à l’extérieur de leur institution au nom de critères formels (le nombre de séances hebdomadaires en particulier), telle est la solution dite “anglo-saxonne”. Les autres récusent toute solution formelle et se refusent à toute réflexion théorique de fond. Le résultat est le même dans les deux cas. Une pratique psychothérapique, inspirée de la psychanalyse, s’est très largement développée sans que soient précisés les critères d’indication, les méthodes, l’évaluation et les modes de formation. En dépit de ces faiblesses, cette extension a permis d’appliquer à un grand nombre de patients, d’enfants en particulier, une thérapeutique bénéfique. Mais ces pratiques mal contrôlées sont aussi cause de nombreux échecs qui entament le prestige de la psychanalyse. En outre, dans une période où économie de la santé signifie réduction des dépenses, les gestionnaires demandent des comptes, en termes de critères d’indication et d’évaluation des résultats. Il en résulte, dans les pays où cette pratique a connu la plus grande expansion (Amérique du Nord, Europe Occidentale) une réduction brutale des financements qui compromet gravement cette pratique. Faute d’avoir su prévoir des outils d’évaluation et des critères de prescriptions, des instituts de psychothérapie réputés sont menacés de fermeture. Ainsi l’avenir de toute une grande marge de la pratique issue de la psychanalyse est menacé à terme par les organismes gestionnaires qui en contestent le coût et l’utilité.

Une question de définition

La diversité des pratiques se réclamant de la théorie psychanalytique, les critères retenus pour décider de l’analysibilité et, plus largement, des indications thérapeutiques, l’écart entre nos attentes et les résultats, conduisent à s’interroger sur la spécificité de la cure psychanalytique vis-à-vis de l’ensemble des traitements désignés sous le terme de psychothérapie analytique. Des opinions divergentes existent à propos de ce qui permettrait de distinguer les psychothérapies psychanalytiques de la cure psychanalytique proprement dite. Certains nient le principe même d’une différence : tout traitement qui prendrait en compte les grands cadres théoriques et techniques de la psychanalyse (interprétation des formations de l’inconscient, transfert, règle fondamentale, etc.) relèverait de la théorie psychanalytique. A l’opposé, on ne saurait se contenter de distinguer psychothérapie et psychanalyse sur les seuls critères formels des règles techniques (position du patient, fréquence et durée des séances, etc.). Il est à craindre que ceux qui “homogénéisent” tout traitement psychanalytique réduisent le modèle du processus à quelques traits généraux, sans en mesurer la complexité en termes de changement et de résistance au changement par rapport à la diversité des pathologies rencontrées, et par là même par rapport aux nécessaires variations au moins de la technique. Suffit-il qu’un “patient” parle en présence d’un psychanalyste pour que les effets du discours définissent ce qu’on attend du modèle type ?
Si le premier point de vue risque d’avoir pour effet une banalisation et une dilution des pratiques, le second masque les réalités cliniques et transférentielles. Les deux ont en commun de ne pas prendre en considération l’idée de variation continue, qui rend certes impossible de définir une limite nette entre les deux formes de traitement, mais qui a pour mérite de soulever la vraie question, celle d’une définition des variables impliquées dans ce continuum. Car on ne saurait s’en tenir à un seul critère. C’est en prenant en compte un ensemble de paramètres aussi bien en termes d’attitudes techniques qu’on peut s’interroger sur un champ de variations qui s’inscrivent dans le champ de la psychanalyse.

Pour une classification des méthodes

La catégorisation le plus généralement admise est la distinction entre psychothérapie psychanalytique et psychothérapie de soutien. On retiendra pour la psychothérapie analytique l’utilisation maintenue de l’interprétation et l’attention portée à la réalité subjective. “La psychothérapie psychanalytique ne “dilue” pas l’or de la psychanalyse mais en maintient l’essentiel, le traitement des conflits inconscients, alors que la thérapie de soutien utilise des ressources issues de la psychanalyse pour aider le patient à faire face aux difficultés actuelles” (Kernberg, op.cit.).

En réalité, ces cadres sont trop schématiques. La question peut se poser des avantages que présente cette classification par catégories alors que, en définitive, c’est un ensemble de variables qui sont prises en compte. Toutes ces variables n’évoluent pas nécessairement ensemble. On peut conserver des critères techniques très stricts et modifier le cadre, etc. D’ailleurs, Otto Kernberg souligne bien que ces variations sont de nature quantitative. L’approche dimensionnelle donne plus de souplesse à la pratique clinique et permet un transfert de techniques enrichissant la pratique psychanalytique.

Dernière remarque, comme le souligne d’ailleurs Kernberg, ce n’est pas ce qui se déroule dans une seule séance qui permet de catégoriser la technique utilisée mais ce qui se déroule au cours des séances successives. On observera d’ailleurs des variations au cours du temps en fonction des changements ou des résistances observés.

Bibliographie

Andreoli A., (2002), Psychanalyse et psychothérapie. Quoi, comment et pourquoi ? Psychothérapie, 22, 1, 9-19

Kernberg O., (1999), Psychoanalysis, psychoanalytic psychotherapy and supportive psychotherapy : contemporary controversies. Int. J. Psychoanal., 80, 1075-1091.

Tarachow S., (1962), Interpretation abd reality in psychotherapy. Int. J. Psychoanal. 43, 6, 377-387.

Widlöcher D. (1999), Affect et empathie, Rev. Franc. Psychanal., 1, 173-186.

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