Les mythes de la famille et du thérapeute familial et leur déconstruction
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Les mythes de la famille et du thérapeute familial et leur déconstruction

Dans ce travail, je vais articuler la conception des mythes familiaux et leur traitement en séance. Je serai amené à souligner l’importance de ce thème parmi des courants constructionnistes sociaux dont la technique vise à dépasser l’emprise des représentations sociales sur les patients. Dans les thérapies familiales psychanalytiques (TFP), les mythes familiaux résonnent avec ceux des co-thérapeutes, au niveau de leur contre-transfert et leur inter-transfert, dont l’analyse est une pièce maîtresse de la cure familiale.

Une mythologie particulière

Un mythe familial apparaît sous forme d’un récit qui implique une croyance partagée par la famille. Celle-ci concerne l’interprétation d’un fait, d’un comportement, un affect ou une pensée exprimés par l’un de ses membres ou plusieurs. Le mythe n’a pas d’auteur ou date d’origine. Personne ne sait quand, dans quelles circonstances ou comment il est né. Il n’est pas reconnu en tant que tel, sinon il serait mis en doute et, de ce fait, il perdrait son caractère de certitude. Le récit sert d’exemple, il a une dimension d’allégorie. Dans les mythes sociaux, c’est ce que l’on appelle une légende. Une autre fonction est que le mythe familial sert à apaiser, ensuite à atténuer les effets déchirants des contradictions, à trouver du courage quand les résultats d’un projet se laissent attendre.

Les mythes se réfèrent à des situations exaltantes ; les personnes dont ils parlent sont traitées avec sympathie, voire avec vénération. Si parfois le mythe souligne un aspect négatif ou évoque une incapacité, il sert aussi à créer du lien. Il est à ce titre positif. Tous les mythes cimentent l’appartenance familiale. Bon nombre parmi eux contribuent à définir les contours et les traits de l’identité familiale. Par exemple : « Dans notre famille, on ne gagne jamais au pari mutuel urbain (PMU : les paris sur les courses de chevaux). » Cette idée peut aider à se consoler d’être perdant aux courses et en même temps de persister à croire à la magie du jeu, à ses intuitions. « Dans notre famille, on est comme… ceci ou cela », apparaît fréquemment dans la bouche des personnes ou, s’ils ne le disent pas, ils le pensent et, même s’ils semblent le refouler, ils se comportent comme s’ils le pensaient. En réalité, la plupart des mythes sont inconscients. Pour autant que le récit soit conscient et connu par le groupe, sa nature, son caractère vital et la conviction inébranlable qu’il fomente, ne sont pas perçus. L’intérêt pour le clinicien tient à leur influence marquée sur les comportements et, plus encore, sur le fait qu’ils sont en relation avec les symptômes.

De nombreux enfants et adolescents arrivent tard à la consultation parce que les membres de leur famille ne peuvent concevoir que l’un des leurs soit malade. Le mythe de la famille exclut qu’il aille mal. On saisit la dimension défensive dans ce cas. Une des énigmes du mythe familial est : comment les enfants l’intègrent-ils ? Quelle est la force de persuasion qui fait qu’ils l’acceptent et comment agit-elle ? L’association croyance et identité familiale doit y jouer un certain rôle. Mettre en doute le mythe serait comme questionner l’appartenance à la famille et à la filiation. Une fois partagé par les nouveaux venus à la famille, des récits légendaires, répétés, le confirment. Cela le met à l’abri de la pensée critique qui va se développer à partir des 3-4 ans.

Bien qu’il soit un mythe dépourvu de base scientifique, il serait une erreur de vouloir l’attaquer frontalement par sa remise en question radicale. Le mythe est une erreur mais pas un mensonge. Il peut évoquer des faits anciens ayant eu lieu dans la réalité, et ayant éventuellement un rapport avec les ancêtres. Dans sa construction, le mythe fait intervenir le déplacement, la métaphorisation ou la symbolisation. Avant de prendre le caractère de mythe, un fantasme inconscient se configure et est partagé par le groupe. Ensuite, il s’affirme comme une croyance. Le mythe essaie d’éviter la confrontation au fantasme inconscient et à la souffrance qu’il suscite.
Dans le cas où les parents disent que si l’enfant est malade c’est de leur faute, idée qu’ils peuvent étayer sur des exemples et sur ce qu’ils ont entendu ou vu dans les média, cela peut leur permettre de se défendre d’une autre conviction : ils craignent être eux aussi malades, une impression qui peut les hanter depuis longtemps. Il n’est pas rare qu’ils aient dressé des barrières pour éviter que la maladie de l’enfant n’apparaisse et qu’ils en ont fait de trop et adopté d’autres mesures préventives, qui ont perturbé l’évolution naturelle de l’enfant et concouru à ses troubles.

Les représentations sociales

La mise à jour du concept de mythe familial s’est inspirée du mythe social et anthropologique ; leur origine et leur construction sont semblables. Proches du mythe social dans sa structure, les représentations sociales intéressent le sociologue de façon privilégiée, qui souhaite souligner l’importance des cognitions dans la société. Elles influencent grandement le vécu et le comportement des individus, des groupes, des institutions, et ont un rôle dans les tendances de la mode, dans les angoisses collectives et les idéaux d’un peuple. La différence entre mythe social et représentation sociale est peut-être que le mythe a un caractère universel, alors que la représentation peut être localisée à un moment ou à un lieu précis. On souligne que le mythe social décrit habituellement comment quelque chose est né, l’univers, un peuple, une ville, un héros. Une représentation sociale peut concerner des situations plus modestes : elle pousse par exemple les citoyens d’une ville déterminée à préférer faire ses achats dans un supermarché que dans des magasins traditionnels (A. Eiguer, 2000). Beaucoup d’individus achètent les machines Nespresso après avoir vu la publicité où l’on voit Georges Clooney se servant du café avec une de ces machines. Puisque le comédien est un bon acteur au sex-appeal affirmé, ils supposent que sans doute il sait apprécier quelle est la meilleure machine à café. Il convient de spécifier parmi ces représentations, l’attitude, l’opinion, la croyance, l’idéologie, le mythe. Le mythe est une représentation sociale, certes, mais toutes les représentations sociales ne sont pas des mythes. Certaines sont surdéterminées par d’autres mythes, qui animent la mentalité collective. Voici une définition. Les représentations sociales « recouvrent (…) l’ensemble des croyances, des connaissances et des opinions qui sont produites et partagées par les individus d’un même groupe à l’égard d’un objet social donné. » Ce sont des « théories du sens commun », des « théories naïves » (C. Guimelli, 1967, p. 63), alternatives, voire contraires au sens scientifique. Elles attribuent une signification aux faits de la réalité. Différents mécanismes dans leur formation ont été relevés par S. Moscovici (1970), notamment le privilège donné à un aspect partiel au détriment d’autres. Ce « filtrage » est produit par des critères normatifs, qui soutiennent les préjugés, en consonance avec les valeurs du groupe. Hors de leur contexte, ces aspects « prennent place dans une signification globale plus proche des attentes » du collectif (Guimelli, op. cit. p. 65). Ils adoptent ainsi une néo-cohérence. Ensuite, toujours selon S. Moscovici, le « processus d’objectivation consiste à utiliser les notions sélectionnées pour construire le noyau figuratif de la représentation » (op. cit., loc. cit.). « Une fois constitué, le noyau figuratif acquiert un statut d’évidence qui le rend « non discutable » » (op. cit. p. 66) ; il devient le sens commun et s’enracine dans le réseau des catégories plus familières. Moscovici rapproche ce cheminement des processus individuels de refoulement. La communication de faits et de croyances au sein du groupe est déterminante pour la consolidation de la représentation sociale : la fabrication de faits, leur diffusion également. Il importe de la faire apparaître comme « évidence objective » (D. Jodelet, 1989).

J’ai observé que nombre de ces représentations sociales ont des répercussions sur les membres des familles. Plus une famille est vulnérable et vit des incertitudes concernant ses bases identitaires, plus elle semble sensible aux représentations sociales. Les familles qui portent en elles des mythes trans-générationnels semblent plus solides pour résister aux modes, aux idéologies et aux préjugés. Par contre, les familles trop sensibles aux mythes-représentations sociales semblent comme vides, inconsistantes, dépendantes des autres, excessivement tributaires des familles d’origine. Les avis extérieurs leur donnent le sentiment de trouver une solidité, en réalité factice ; suivre la doxa les sécurise : penser comme les autres, c’est devenir comme tout le monde, donc à l’abri de la réprobation sociale et encore plus des contradictions internes et des conflits.

Les familles qui développent des mythes trans-générationnels demeurent en contact avec leurs racines même si la nature de ces mythes peut être régressive. Elles parviennent alors à résister aux mythes sociaux ou à les intégrer dans leur propre mentalité tout en évitant d’en être submergées. Il existe de nombreuses similitudes entre les formes sociales du mythe et de la représentation. Par exemple, ce que l’on nomme les « théories explicatives », par lesquelles une culture établit une relation entre un phénomène naturel et un fait psychique ou groupal. En Grèce ancienne, la ville de Thèbes est frappée par la peste ; comme aucun moyen ne permet de l’arrêter, ses habitants finissent par soupçonner que sa cause est liée à une faute commise par l’un des leurs. Lorsque l’on découvre que la reine Jocaste et le roi Œdipe sont mère et fils, ils concluent que cette faute est leur inceste. Les ethnopsychiatres remarquent que des théories explicatives sont sollicitées chez les patients de cultures traditionnelles africaines ou asiatiques pour attribuer leur mal à des facteurs surnaturels, théories qu’il convient de respecter, voire reconnaître dans leur qualité reconstituante. Certains courants de la thérapie familiale ont souligné l’importance des représentations sociales dans l’origine des troubles.

Le constructivisme social de McNamee et Gergen (1995) propose que nous sommes les esclaves de déterminismes culturels, dont le discours peut paralyser et rendre malades quelques-uns parmi nous. Il revient au thérapeute la tâche de les affranchir de ces déterminismes. Un adolescent est prisonnier de l’idée que pour être adulte et viril, il doit se débrouiller tout seul quitte à refuser l’aide parentale, qu’il considère, partant de cette idée, comme ayant des visées infantilisantes. Alors le thérapeute doit guider l’adolescent à trouver les racines environnementales de son idée et contribuer à la « déconstruire ». Le concept de déconstruction est emprunté à J. Derrida (1973) et appliqué aux pensées du patient. La méthode de la déconstruction est essentiellement intellectuelle. L’utilisation qu’en font ces thérapeutes est en résonance avec l’importance qu’ils accordent aux pensées dans leur théorie. La représentation sociale est une pensée qui confirme une certitude. Pour la mise au point de sa méthode, Derrida s’est probablement inspiré du scepticisme ancien, qui recommandait la « suspension du jugement » pour l’examen philosophique des phénomènes, attitude prônée également par Husserl. Derrida s’inspire aussi de la psychanalyse. Par la déconstruction, il s’agit de comprendre comment la métaphysique est bâtie, en questionnant les mots qui composent un texte et par-delà la démarche qui a guidé son auteur. « Les différentes significations d’un texte peuvent être découvertes en décomposant la structure du langage dans lequel il est rédigé. » L’un après l’autre, les choix de mots et des thèmes proposés sont isolés et dissociés de leur signification et analysés de manière critique, jusqu’à la trouvaille des orientations profondes de l’auteur. Dans le cas du patient ou de la famille, les symptômes sont rattachés aux représentations sociales qui les inspirent et soutiennent. Celles-ci sont déconstruites, par une démarche semblable à celle du philosophe, afin d’amener le sujet à s’en débarrasser. En principe, le symptôme, sans soutien idéologique, est censé disparaître.

M. White (1991), un thérapeute du mouvement narratif, propose des solutions proches. Il explore les récits et les croyances des patients concernant la nature de leur maladie, puis les solutions qu’ils ont cru utiles d’élaborer pour en guérir. Ensuite, il les confronte à d’autres croyances alternatives, cherchant à mettre en crise leurs croyances primitives, jusqu’à ce que les patients trouvent une solution à leur problème. Selon son point de vue, la psychologie de chacun serait le produit des perceptions et des avis, les siens et surtout ceux des autres. La part considérable des opinions familiales sur d’innombrables questions est aussi l’objet de l’étude des thérapeutes cognitivistes, si l’on prend en compte l’importance accordée à ce qu’ils appellent les « pensées automatiques » des patients, qu’il importe de modifier par la thérapie (Dattilo et all., 1998) : ces thérapeutes pensent que les jugements extérieurs font des ravages et créent le problème. Chez les cognitivistes, ce ne sont pas forcément des idées d’inspiration sociale, mais de souche familiale. Dans les exemples donnés par les auteurs, apparaît régulièrement la soumission des jeunes ou des femmes aux conventions dictées par les aînés de la famille entravant leur émancipation.
La proximité avec le concept de mythe familial est à souligner. Les thérapeutes cognitivistes adoptent des techniques comportementales, donc ils essaient de corriger les pensées automatiques. Cette méthode diffère de la déconstruction même si des similitudes apparaissent, notamment lorsqu’il s’agit de démontrer au patient les contradictions entre les différentes notions que la famille avance, les généralisations abusives, et les incohérences logiques. Dans les deux cas, on opère par une discussion sur les fondements mythiques des pensées en opposant une autre pensée.

Peut-on dissoudre les mythes familiaux ?

Une des réserves que nous émettons à l’égard de ces techniques est leur visée correctrice. Quand l’on part du principe que la technique doit être correctrice, on rejettera la possibilité que le patient puisse trouver sa voie propre. Du point de vue théorique, cela conduit à une impasse : les représentations sociales causent généralement des dommages à une personne, mais elles ne peuvent être supprimées, seulement transformées. La même chose arrive avec les représentations inconscientes ; l’attitude corrective supprime seulement. Or supprimer un mythe ou une représentation collective, c’est s’attaquer à l’appartenance au groupe, à l’identité, et aussi à la référence à une classe, à une origine ethnique. Cela peut être douloureux et déstabilisant. C’est pour cette raison que de nouveaux mythes peuvent s’instaurer à la place des anciens. Il est nécessaire que le travail thérapeutique favorise la sauvegarde des richesses de chacun. Cela peut être une utopie, mais poser la question est déjà important. Chacun de nous, thérapeutes, est face au dilemme d’obliger le patient à changer ou de lui permettre d’adopter les options qui lui conviennent et par lui-même. La méthode analytique appliquée à la thérapie familiale passe par le saisissement intérieur des patients. Pour cela, outre l’interprétation et la construction et avant même que ces moyens puissent être proposés, un travail se développe au sein de l’esprit du thérapeute ou des co-thérapeutes, malgré eux, qui les conduit à aborder analytiquement leurs mouvements de contre-transfert. J’aimerais proposer un exemple pour préciser la différence entre la démarche analytique et les autres méthodes. Cette situation concerne de près le mythe familial et son retentissement au niveau de la psyché des thérapeutes.

Une anecdote personnelle

Il y a de nombreuses années, j’ai participé à la thérapie d’une famille (avec la participation du père, de la mère et du fils). J’étais le co-thérapeute d’un formateur que j’admirais. Je me sentais très reconnaissant envers lui qui m’a donné l’opportunité de travailler en sa compagnie. Le patient désigné était un homme d’une vingtaine d’années qui avait fait un épisode psychotique aux Etats-Unis, où il avait migré. Dans ce pays, il s’est marié et a eu un fils, qui était encore jeune. Il travaillait dans le bâtiment en tant que peintre de buildings new-yorkais, montant sur des échafaudages jusqu’aux étages très élevés. Pour aller vite, ils étaient plusieurs à réaliser simultanément le même geste avec le pinceau. Parfois, expliquait-il, le vent était si fort qu’il poussait la plate-forme sur laquelle ils travaillaient vers l’autre côté de la rue. Les peintres devaient alors la pousser vigoureusement pour la faire revenir vers le côté où ils peignaient.

Ce patient présentait des idées délirantes de persécution, notamment à propos de ses proches et aussi des étrangers, de l’automatisme de la pensée, des hallucinations. Revenu en tout urgence dans son pays natal, il a été hospitalisé, puis il a suivi des soins ambulatoires et une thérapie individuelle. Sévère et autoritaire, son père avait été champion de boxe dans sa jeunesse. Après une séance, mon co-thérapeute m’a expliqué qu’il connaissait la carrière météorique de cet homme, qu’il avait toujours eu le plus grand respect pour son style de boxer. Il a ajouté que, dans sa jeunesse, il avait lui-même été boxeur et qu’il avait disputé des matchs professionnels. Il me montre que son nez gardait une séquelle de cette période : la cloison en a été déviée à la suite d’un coup. Il m’a avoué que lors des séances il devait faire un effort pour se « défaire » de l’admiration qu’il gardait encore envers le père de cette famille et cela par une importante élaboration psychique. De mon côté, étant peu enclin à idéaliser les boxeurs professionnels ou amateurs, je me suis senti perplexe en l’écoutant alors que je n’éprouvais aucune prédisposition admirative envers ce père, que je voyais au contraire comme un rustre sans épaisseur. Il me paraissait s’imposer par la force épargnant son épouse, qui avait depuis des années appris à s’accommoder à lui en se montrant docile. J’étais plutôt content qu’il ait trouvé dans son fils quelqu’un qui lui tienne tête. Je me suis senti gêné en sachant que mon co-thérapeute et maître pouvait aimer ce sport. Dans ma famille, on n’appréciait guère les sports de combat ou martiaux, les voyant comme très violents, « abêtissants » pour les boxeurs et spectateurs. Chacun de nous a ainsi été amené à faire un véritable travail de déconstruction de ses représentations, qui me portaient, ainsi que mon formateur, à dresser des défenses très serrées. Dans mon cas, j’avais perdu ma neutralité (pour autant qu’elle existe dans tous les cas). Je restais partial et envahi par mes préjugés.
Toutefois j’ai apprécié que mon co-thérapeute soit aussi franc et à l’aise pour s’analyser devant moi. Quand il a commencé à boxer, il devait avoir l’âge que j’avais alors. Je vous expose cette situation pour montrer la différence entre les approches constructionniste, sociale et psychanalytique. Et aujourd’hui que j’ai à peu près l’âge de ce formateur, je peux ajouter qu’il s’agissait de E. Pichon-Rivière. Nous avons résonné comme groupe à deux au conflit entre père et fils. J’ai eu le sentiment que la lutte entre générations pouvait s’y présenter comme très rude. « Jeunot, si tu fais trop le malin, tu peux recevoir tant de coups que tu vas te le rappeler toute ta vie ! » Mes préjugés intellectualistes apparaissaient comme pour confirmer le déni, celui comme quoi, dans la vie, on peut se passer des muscles. En ayant la révélation de mon maître que le sport a fait partie de sa jeunesse, j’ai été confronté au côté conflictuel des rapports entre générations dont la conséquence peut faire mal, physiquement et symboliquement. Le nez, vous savez à quoi il peut renvoyer. Dans mes associations, je me suis rappelé que vers mes 5-6 ans, j’avais reçu une brosse à chaussures sur le nez, lancée par mégarde par un de mes cousins âgé d’une vingtaine d’années. J’ai beaucoup pleuré et, pensant avoir mon nez définitivement déformé, je n’arrêtais pas de crier : « Et moi, qui avait un si joli nez, maintenant il est devenu tout moche. »

Pour conclure

Quand on fonctionne comme un thérapeute constructioniste social, la déconstruction est dictée et commandée ; elle ne tient pas compte du passage par le contre-transfert, la surprise et la douleur que cela peut provoquer, la remise en question et les remaniements auxquels elle peut amener. Ni mon co-thérapeute ni moi n’avons préparé ce dénouement. Pourtant cela a belle et bien abouti à une déconstruction à la fois de nos croyances et de ces mythes sociaux qui ont influencé la construction des mythes familiaux : les nôtres, qui résonnent avec ceux de la famille. On ne pourra peut-être pas avancer dans l’élaboration des représentations fantasmatiques de la famille et les faire évoluer sans cette transition par ce qui est vécu par les co-thérapeutes. Je souligne également la dimension groupale de l’analyse inter-transférentielle, sans quoi je ne vois pas comment on aurait pu avancer. Evidemment mon co-thérapeute possédait un exceptionnel talent. Ce qui s’est passé ce jour-là n’a fait que réaffirmer mon admiration pour lui.

Bibliographie

Dattilio F. et al., (1998), Case studies in couple and family therapy, N.-Y., Guilford.

Derrida J. (1972), Marges de la philosophie, Paris, Minuit.

Eiguer A. (2000) « Le mythe familial à l’épreuve des temps modernes », Le journal des psychologues, Tr. ital., Interazioni, 2001, 15, I, 51-58. Tr. Espagnole: “Las representaciones sociales y los mitos familiars en la actualidad”, Actualidad psicologica, 2000, 279, 20-22.

Gergen K. J. (2002), Construire la réalité, tr. fr. Paris, Le seuil, 2005.

Guimelli C. (1967), La pensée sociale, Paris, PUF.

Jodelet D. (dir.), (1989), Les représentations sociales, Paris, PUF.

McNamee S., Gergen K. (ed.), (1992) Therapies and social construction, New Bary Park CA, Sage.

Moscovici S. (1970), La psychologie sociale: une discipline en movement, Paris, Mouton.

White M. (1991) Deconstruction and therapy, Dulwich Center newsletter, 3, 21-40.