Michel Soulé et la pédopsychiatrie
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Michel Soulé et la pédopsychiatrie

Michel Soulé aurait aimé être à son enterrement, et en arranger la mis en scène. Comme Huckleberry Finn, et comme nous tous il aurait voulu entendre ce qui se disait de lui, qui était ému, qui était absent. Il serait content de voir qu’à Montparnasse, ils étaient nombreux, celles et ceux de la faille hétéroclite qu’il a su rassembler, animer et faire collaborer autour de lui. En entendant son petit fils, on croyait l’entendre lui, la même verve, le ton parfaitement juste, l’humour et la tendresse, la culture, utilisée et jamais tartinée. On a mesuré combien cet homme était multiple, et combien il était atypique dans chacun de ses aspects. Il n’a pas été un patron typique, autoritaire, narcissique et au fond ne voulant pas de successeur. Au contraire, peu des chefs de file de la génération de Michel Soulé ont été capables comme lui d’aider, d’épauler, de rassurer aussi leurs jeunes collègues. Michel Soulé était visiblement fier d’avoir contribué à la nomination d’une bonne demi-douzaine de pédopsychiatres. Le passage par la Guidance de l’Institut de Puériculture permettait de se former et de s’affirmer. On apprenait à enseigner dans le fameux cours du COPES sur le développement précoce, et surtout en le voyant faire, en, le voyant si merveilleusement enseigner.

Michel Soulé était pour nous un maître, plus qu’un patron, un mentor, un inspirateur, sans jamais se poser en modèle. J’ai eu le difficile privilège de prendre sa suite à la Guidance ; nous avons un temps consulté ensemble, offrant ainsi un cadre de transmission intergénérationnelle très stimulant pour moi, et pour les familles. Je me souviens de la façon dont sans aucune ambiguïté et sans ambivalence, il me laissait le soin, comme on dit dans la marine. Avoir l’amiral comme second, quel privilège !  L’important pour Michel était de continuer d’être dans le coup, de participer, et le chef s’est mué sans difficulté apparente en assistant de luxe, prodiguant ses conseils lorsqu’on le lui demandait, et très respectueux de l’autorité du jeune patron.

Lors des journées de la Guidance, le vrai rendez-vous de la famille des pédopsys, il nous entraînait à parler, à écrire pour le livre qui en était issu, ou pour le précis de psychiatrie de l’enfant qui lui a demandé tant d’efforts. Lors de ces  journées, rien n’était plus stimulant que de se voir proposer un sujet dont on ne savait rien, ou sur lequel on avait peu réfléchi : je me souviens ainsi de la journée sur le concept d’autorité, de celle sur les grands-parents, sur le temps, qui m’ont amené à essayer de penser à quelque chose d’un peu original, sur le modèle de Michel Soulé, qui, lui, l’était vraiment, et constamment, avec ce mélange singulier d’intelligence aiguë, de sens
clinique, et de curiosité intellectuelle et de culture. Souvenons-nous de « l’enfant qui venait du froid », des « nouvelles parentalités », des « compétences précoces du bébé » pour n’en citer que quelques-unes, sur presque 25 ans. Michel Soulé avait cette capacité de susciter des dialogues entre des pratiques hétérogènes, entre juges et cliniciens, entre psychanalystes et chercheurs, entre historiens et sociologues, à lancer une idée et à laisser les autres réagir et
débattre. Lors des journées, on s’écoutait les uns les autres, parfois curieux, parfois fascinés,  parfois avec étonnement ou même agacement, mais en apprenant toujours quelque chose, ravis de rencontrer des gens d’horizons différents. Puis on écoutait Michel  Soulé, et on saisissait alors le cœur du sujet. Au fond, le rêve de Michel Soulé, c’était de tenir un salon de discussion, comme ceux des lumières.

Il n’était pas non plus un psychanalyste typique, préférant toujours l’idée au dogme, l’humour et la présence. Il n’était pas non plus un pédopsychiatre typique, car il était resté très proche de l’enfance, et même de l’adolescence ; il était aussi un clown, qui adorait les histoires et les raconter, et les calembours, et comme les enfants, la répétition. Il aimait, ou plutôt vivait avec la musique, le cirque, l’opéra, le voyage, le livre, la fête.

Je me souviens de l’Italie aussi, où Michel nous entraînait enseigner, avec Janine Noël. Je me souviens de ce voyage dans la Bologne hivernale, de relais au volant avec Bernard Golse, et pour tenir l’horaire, d’une moyenne de 140 km/heure, avec Michel et Janine un peu pâles, mais cois : les enfants ont toujours raison… Venise, aussi, où il fut plus de quarante fois, et où Bernard et Moi jouions aux fils de Don Corleone. Le Brésil aussi, où nous avions eu l’un et l’autre des aventures familiales. Je me souviens de son courage dans le handicap croissant, de sa volonté de vivre, pour travailler, pour comprendre, pour apprendre, sans relâche. Il me manque vraiment, il nous manque.