Le tiers

Le tiers

Alberto Eiguer

Editions Dunod, 2013

Bloc-notes

Le tiers

Dans son dernier ouvrage, Alberto Eiguer explore le concept de Tiers dans une nouvelle perspective, celle de l’intersubjectivité. Dans la suite de ses recherches et notamment de son livre « Jamais moi sans toi » (2008), l’auteur nous éclaire encore sur cet espace psychique qui s’ouvre et s’épanouit dès lors que deux sujets se rencontrent. Cette troisième réalité psychique peut être un fantasme ou un autre fantasmé qui vient habiter cet espace transitionnel. C’est aussi un être réel qui suscite des réactions dans la réciprocité. Tout espace psychique est concerné par ce Tiers, comme dans le lien entre l’analyste et son patient où les psychismes s’accordent et interfonctionnent de façon permanente dans une relation de réciprocité. Etre en lien intersubjectif signifie être concerné par les états émotionnels d’autrui, soucieux de son devenir ou ému par ses peines ou ses joies. Il est question ici d’empathie, de reconnaissance mutuelle et de responsabilité pour autrui. Bien sûr, on peut aussi ignorer l’autre dans un lien ; on peut ne pas reconnaître ses qualités ou compétences.     Mais cette situation peut susciter un conflit de revendications diverses et enclencher un processus d’échanges afin que la rencontre aboutisse. 

Le tiers se présente également comme un autre singulier avec sa propre subjectivité, ses propres fantasmes et affects qui interagissent avec ceux des deux sujets du lien. En même temps, ces derniers vivent l’existence du tiers comme exerçant une influence sur eux. Ils se préoccupent de ce que le tiers pense d’eux : s’il est favorable, critique ou bienveillant pour eux. Ils vont réagir chacun ou ensemble, en fonction de ce qu’ils craignent ou espèrent ; et ils peuvent essayer de le neutraliser ou de le séduire. Ils le ressentent facilement comme un juge ou une figure tutélaire. In fine, le Tiers sera à la fois agent de la séparation, de la différence, de la diversité, de l’inscription dans le temps, de la créativité, de la liberté et de l’ouverture au monde…

Le Tiers, en tant que troisième espace psychique, se trouve investi d’un rôle, celui de Témoin. C’est quelqu’un de distant, mais assez important aussi pour infléchir, surdéterminer, voire chapeauter le lien. L’émergence du Tiers-Témoin énonce que la subjectivité d’autrui nous apporte un modèle pour la transmission de la loi et de la reconnaissance. De son côté, le Tiers-témoin singulier travaille sur lui-même ; il évolue et pourra attester de la situation et de ses changements. 

Le livre d’Alberto Eiguer nous montre bien d’autres aspects de cette figure du Tiers, notamment son rôle organisateur dans le couple, la famille ou les thérapies. Lorsque le Tiers est oublié, déstabilisé, l’auteur nous fait comprendre comment les liens pervers s’épanouissent, comment la pensée se désorganise ou la filiation se perturbe. L’autre ou les autres deviennent oppresseur, intrusif, incestueux, haineux, stigmatisant… C’est l’idée de témoin qui va nous aider à avancer dans le traitement groupal de ces patients. 

Cet ouvrage, qui foisonne d’exemples explorant les aléas de la fonction du Tiers, est riche d’applications dans les domaines qui préoccupent les thérapeutes psychanalytiques du couple et de la famille. Il expose aussi des découvertes récentes comme la créativité en famille, les mythes du thérapeute et la filiation, la fonction des animaux familiers, la crise et le conflit du couple, les ravages de la haine de soi et entre les proches, etc… L’éclairage de ces recherches nous accompagne dans la pratique des thérapies psychanalytiques, en soulignant l’importance de l’humour, de l’interprétation et de l’analyse du contre transfert. Couples et familles peuvent ainsi évoluer, afin que leurs membres puissent émerger, prendre conscience et s’épanouir avec l’autre et les autres. Quand on a lu ce livre, des questions émergent qui peuvent ouvrir sur des échanges et de nouveaux cheminements. A lire absolument…