Mères et bébés sans-papiers. Une nouvelle clinique à l’épreuve de l’errance et de l’invisibilité ?

Mères et bébés sans-papiers. Une nouvelle clinique à l'épreuve de l'errance et de l'invisibilité ?

Christine Davoudian

Editions Eres, 2012

Bloc-notes

Mères et bébés sans-papiers. Une nouvelle clinique à l’épreuve de l’errance et de l’invisibilité ?

Christine Davoudian, médecin de PMI, engagée professionnellement et humainement auprès des futures mères et bébés, vient par cet ouvrage collectif non seule-ment rompre le silence autour des femmes enceintes, des mères et des bébés « sans-papiers », mais aussi légitimer une parole, le droit à la procréation et à la trans-mission de ces femmes. Elle-même et les professionnels avec qui elle travaille ont bien mesuré à quel point, dans ce temps de la naissance, ces mères aux parcours chaotiques qui viennent demander refuge et asile, ont particu-lièrement besoin d’être accueillies pour se sentir réintroduites dans une logique humaine et universelle : la légitimité d’être et de donner la vie à un enfant.

Son positionnement clinique et cette prise en considération permet de reconnaître à ces femmes leur inscription dans un groupe social, dans le groupe des humains, dans le groupe des femmes devenant mères. Les témoignages de la rencontre des professionnels de PMI, de Mater-nités, de UME et autres structures associatives avec ces femmes et dyades sont émouvants, mais aussi alarmants. La réflexion con-cernant les effets sur la psyché de ces situations nous aide à penser la spécificité de cette clinique. Comment inscrire un enfant quand on ne peut s’inscrire soi-même ? Quelles modalités d’accueil leur donnant une place d’humain digne de ce nom peut-on inventer ? On sait le danger que peut représenter l’abandon de ces mères par les professionnels, ces mères qui souvent n’osent même pas se manifester par crainte d’être raccompagnées vers l’horreur qu’elles ont fuie avec courage. Par crainte aussi de se sentir à nouveau rejetées, ces femmes souvent honteuses ont plutôt tendance à s’effacer ou à se « rendre invisible », même dans nos consultations. À un moment où pourtant, nous le savons, la femme a le plus besoin de créer son nid pour accueillir son bébé. 
Cette clinique spécifique confronte la vulnérabilité psychique propre à la maternité à celle induite par ces situations d’errance, de précarité et d’invisibilité.

Cet ouvrage questionne les effets en miroir de ces problématiques sur les professionnels, en interro-geant leurs représentations et les difficultés qu’ils rencontrent dans l’accueil de ces mères sans papiers. Il met aussi en lien les professionnels du secteur médico-social du service public avec ceux du secteur associatif. Ce qui n’est pas sans interroger les failles et faillites du secteur du droit commun et sans introduire la délicate question de l’engagement citoyen du professionnel qui est  particulièrement sollicité dans cette clinique essentiellement politique. 

Les professionnels sont de plus en plus exposés à des situations qui les laissent impuissants. Il est primordial de garder à l’esprit que le rejet de ces femmes par les services sociaux peut être vécu comme une maltraitance parfois en écho avec celle de leur pays d’origine ; ce rejet de la part des travailleurs sociaux pourrait être induit par les défenses mises en place par ces femmes qui ont été victimes de violence d’état. Il peut être répété dans le lien d’accom-pagnement quand la femme peut éventuellement se vivre en déchet, déboutée de son statut de sujet faisant partie d’une communauté d’humains. Il est important de ne pas oublier que l’on peut toujours accueillir et écouter ces femmes dans ce qu’elles ont à dire. Notre accueil est un premier pas pour les faire sortir de l’invisibilité et de la rupture.

Avec la maternité, la pulsion de vie est à l’œuvre, et le sentiment d’appartenance à la communauté des femmes peut leur donner des ailes. Nous avons à reconnaître les forces de ces femmes, leur choix. À soutenir les possibles, à les encourager. Par les voix tant des psychistes que des somaticiens, mais aussi par celles d’un travailleur social et d’un juriste qui les ont rencontrées dans leur parcours, cet ouvrage nous permet de décaler notre point de vue en pensant et en questionnant les fondements mêmes de l’identité du sujet, aussi bien du point de vue politique, juridique, social que psychique. Il permet aussi de nous mobiliser pour rétablir la norme humaine. 

Ce livre, qui s’enracine au cœur des questions actuelles quant aux politiques de migration et d’accueil des étrangers, s’ouvre par le texte d’un juriste, Benjamin Demagny du COMEDE (Comité médical pour les exilés), qui nous livre une mise à jour indispensable des lois sur l’immigration. Il dénonce les effets des politiques actuelles sur les droits fondamen-taux des personnes et le droit de vivre ensemble.

La richesse et la profondeur des réflexions d’Olivier Douville sur l’exil et l’exclusion courent comme un fil rouge le long du livre. En effet, le propos concernant les migrants se situe résolument ailleurs que dans le champ habituel de l’ethnopsychiatrie. Le mot « culture » y figure peu : figer l’étranger dans une position univoque d’étranger fait courir le risque de se le représenter exclu-sivement du côté de l’intrus et de l’indésirable, ce que certains ap-pellent « l’empêchement d’exil ». Il s’agit à notre connaissance du premier ouvrage à aborder cette clinique singulière du « sans- papiers » dans le champ de la périnatalité ; clinique qui croise les champs du psychologique, du socio-logique et de l’anthropologique.

Ce petit livre, qui peut paraître militant, vient finalement juste revendiquer une « légitimité d’être » pour ces femmes « invisibles », dans la perspective de penser pour elles un accueil suffisamment bon. Il est de ce fait un grand livre à avoir dans la bibliothèque de nos institutions. Il résonne comme un manifeste contre le silence de ceux qui préfèrent parfois ne pas voir, ne pas entendre, ne pas compren-dre et dont nous pourrions aussi faire partie. On souhaiterait l’offrir à nos ministres de la Santé et de l’Intérieur… après l’avoir lu, bien sûr.