Vies amoureuses (Libres Cahiers pour la Psychanalyse)

Vies amoureuses (Libres Cahiers pour la Psychanalyse)

Catherine ChabertJean-Claude Rolland

Editions In Press, 2012

Bloc-notes

Vies amoureuses (Libres Cahiers pour la Psychanalyse)

Vies amoureuses est un numéro généreux des Libres Cahiers pour la Psychanalyse, qui a sollicité un grand nombre d’auteurs,  attirés par le vaste essai de Freud Contribution à la psychologie de la vie amoureuse qui regroupe trois articles : D’un type particulier de choix d’objet chez l’homme (1910), Du rabaissement de la vie amoureuse (1912), Le Tabou de la virginité (1918). Jean-Christophe Cavallin, professeur de littérature, propose un lien original entre « la poésie pure » qui ne se laisse pas déflorer par son lecteur, et provoque de l’hostilité, et l’effraction du Tabou de la virginité qui provoque l’hostilité de la femme. Un sonnet de Mallarmé, « Le vierge », illustre l’œuvre pure frappant de paralysie le lecteur, puisque Mallarmé ne donne aucune indication pour la lire. Le poète, qui s’extrait de son poème, laisse le lecteur avec l’angoisse d’une surface dure, impénétrable, un hymen gelé. Maurizio Basalmo s’intéresse à l’évocation des poètes dans Un type particulier de choix d’objet chez l’homme, et compare les processus mis en jeu par le poète et par le psychanalyste. Alors que le poète parvient à créer du nouveau, il semble que dans les figures amoureuses évoquées par Freud, la fidélité aux traces originelles puisse conduire à une répétition sans répit. L’écrivain Arthur Schnitzler a écrit magnifiquement, non sans cruauté, les ressorts de la sexualité des hommes et des femmes, mais sans aucune référence à l’enfance, ce qui le différencie radicalement de Freud. Pourtant les deux hommes ont grandi dans la même ville, se sont lus mutuellement et appréciés. C’est la richesse de leurs échanges puis leurs divergences que Josiane Rolland retrace, dans une référence vivante aux avancées théoriques de Freud sur l’amour, au sein de la société viennoise de l’époque.

La rivalité entre le poète, le Dichter, et le psychanalyste est également discutée par Edmundo Gòmes Mango. Si Freud soutient que la valeur de connaissance est du côté du psychanalyste, et qu’elle est diminuée par le souci d’esthétique et le plaisir pris à l’acte poétique, l’auteur affirme que le désir premier du Dichter n’est pas de séduire, mais bien aussi une recherche vers un objet qu’il ne connaît pas encore. Le Dichter et le psychanalyste s’enrichissent mutuellement grâce au plaisir de la recherche, vers la connaissance de l’amour humain. Le roman de M. Aguéev, Roman avec cocaïne, proposé par Danielle Goldstein, décrit la quête amoureuse compulsive d’un adolescent, en pleine Russie révolutionnaire,  aux prises avec une fixation incestueuse à sa mère et au clivage du courant tendre et du courant sensuel, qui conduit le jeune homme au naufrage. Paul Denis développe comment Paul Valery soumis à une phobie de son monde intérieur et de sa pulsionnalité menaçante pour son narcissisme, se dégage de ses empêchements par l’écriture de La jeune Parques, expérience d’auto-analyse,  processus qui lui permettra de percer l’édifice de ses défenses intellectuelles et de retrouver l’accès à l’altérité de la vie amoureuse. 

Historienne d’art, Clémentine Gustin-Gomez présente plusieurs chefs d’œuvre de la Renaissance et du XVIIème siècle dans lesquels des peintres, souvent peintres du religieux, se sont autorisés à manifester leur pulsion amoureuse et érotique pour leurs femmes ou concubines. Des œuvres de Raphael, Rubens, Rembrandt, décrites dans leurs contextes historiques et biographiques, font l’objet d’une analyse picturale qui souligne la grande liberté créatrice de ces peintres emportés par leurs regards amoureux. Son collègue Jérôme Delaplanche, propose d’illustrer le désir sexuel par les     « représentations d’enlèvements » dans la sculpture et la peinture, manifestation d’une irrépressible pulsion, animalité du désir. Là encore l’analyse picturale faite par l’auteur, rend compte des gestes de saisie, du corps à corps comme préfigurant l’acte sexuel dans sa violence irréductible. 

Pourquoi les femmes ne restent-elles pas vierges ? interroge Brigitte Eoche-Duval, qui s’étonne à propos du texte Le Tabou de la virginité, de la dimension de violence de la rencontre sexuelle. Interprétée sous l’angle phallique, cette scène sexuelle se joue plus dans le registre du sexuel à dominante sadique que dans le registre du sexuel génital adulte, souligne l’auteur. Elle propose la possibilité qu’une femme puisse utiliser psychiquement et érotiquement ses fantasmes de viol, issus de la violence pulsionnelle masochique de sa vie sexuelle infantile. La prise de position de Freud en faveur du visuel, la fille voit chez le garçon ce qu’elle n’a pas et veut l’avoir, est gênante pour théoriser le fonctionnement libidinal génitalisé pense Ignacio Pelegri. Il propose de réhabiliter l’inconnaissable sensoriel de l’autre sexe, et de considérer un paternel et un maternel tous deux sexués et incomplets, mais d’égalité dans la différence. Claude Arles étudie deux définitions de l’impuissance masculine, la première dans Du rabaissement généralisé de la vie amoureuse, où l’homme cherche à guérir de son impuissance native, issue du reliquat incestueux qui le rattache à sa mère, au travers du choix de la femme rabaissée alors que dans Le Tabou de la virginité, l’impuissance se situe dans la rencontre réelle avec la femme, envieuse du pénis masculin, porteuse d’une menace de castration. 

Ce sont les amours d’Héloïse et d’Abélard, et la passion addictive de Don Juan  que Jacques le Dem explore, tandis que Jean Guillaumin, propose le désamour comme processus négatif qui conduit au délaissement et opère une restructuration entre pulsions et réalité. Médée, trahie par Jason, ne peut s’y résoudre et se donne la mort. Puisque Freud entend soumettre la vie amoureuse à un traitement scientifique, et définir une Psychologie de la vie amoureuse, Laurence Apfelbaum examine le devenir donné par Hartmann, fondateur de La Psychologie du Moi, à ce projet scientifique. Dans un développement argumenté, elle montre qu’Hartmann, qui met laPsychologie du Moi sous l’égide du Moi autonome, cherche à lui soumettre  l’ensemble des mouvements psychiques, visant à séparer clairement le normal du pathologique, à l’inverse de la démarche freudienne.
Dominique Blin nous offre le récit d’un cas clinique émouvant, un amour empêché entre un enfant et sa mère, du fait d’un deuil complexe et impossible. Les mouvements transférentiels de l’analyste permettent la reprise du processus de deuil et l’élaboration pour l’enfant et sa mère d’une souffrance jusqu’alors indicible.