Psychanalyse et institutions : une question complexe
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Psychanalyse et institutions : une question complexe

En Europe, la psychanalyse et la psychothérapie se sont développées de manière polyvalente du fait des diversités nationales, culturelles et linguistiques. Leur pratique et leur situation légale sont variées, différentes voire même franchement antagonistes en fonction des pays européens considérés. Plusieurs pays ont des lois ou des réglementations spécifiant la formation et la reconnaissance des psychothérapeutes dont les psychanalystes : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Norvège, la Finlande, la Suède, l’Autriche, le Royaume Uni, en ce qui concerne la psychanalyse des enfants et aussi l’Italie. Toutefois, il n’existe pas d’approche univoque de la question et chaque pays a essayé de trouver des solutions adaptées à son histoire et à sa culture. Les pays romans, dans leur majorité, ont jusqu’à présent été plus réfractaires à une telle législation. Mais les situations nationales évoluent grâce aux directives européennes qui permettent aux habitants des pays faisant partie de l’espace de Schengen de s’établir librement dans cet espace et d’y exercer la profession reconnue qu’ils exerçaient préalablement dans leur pays d’origine. Ainsi les pays qui n’ont pas encore actuellement de législation en “psychothérapie” se voient contraints d’en élaborer une.

Pendant de longues décennies, la description clinique de la méthode psychanalytique argumentée par la présentation de cas cliniques a servi de preuve à la validité de ses positions et suffisait pour faire taire les critiques. Comme le rappelle Widlöcher (1998), “toute personne qui appliquait les règles analytiques était assurée de constater les faits décrits. Les descriptions des rêves et des cas cliniques servaient à illustrer les démonstrations et non à prouver la validité des hypothèses. Tout résultat positif soulignait la validité de la méthode alors que les échecs incitaient à rechercher les erreurs d’indication ou les erreurs techniques ou encore étaient attribués à des résistances au changement.” Mais, ces dernières années, les pouvoirs publics, mais aussi les patients et l’opinion publique, effrayés par la prolifération anarchique de méthodes multiples, demandent un meilleur encadrement et un contrôle plus strict des contenus de la formation des thérapeutes ainsi que des évaluations plus précises des différentes approches thérapeutiques et surtout une évaluation des résultats obtenus par ces approches. L’hétérogénéité des théories analytiques et des techniques utilisées suscitent des interrogations légitimes parmi bon nombre de scientifiques. Une pression de plus en plus forte s’exerce sur les psychanalystes et psychothérapeutes psychanalytiques pour qu’ils fournissent des évaluations plus tangibles et plus objectivables de leur travail. Ils doivent aussi démontrer les bénéfices à tirer d’un travail analytique long et coûteux en comparaison aux thérapies plus courtes et donc, à première vue, moins chères. Cette démarche s’inscrit dans la logique d’une technique médicale soumise à des principes normatifs d’indication et d’évaluation étrangères : nécessité, efficacité et économie deviennent les trois axes qui régissent les rapports des thérapeutes avec les instances sociales qui remboursent les frais de santé.

La psychothérapie se situe dans le champ de la psychanalyse

A partir des années 1960 la demande de psychothérapies augmente rapidement avec un besoin accru de former des professionnels qui travaillent dans les diverses institutions de soins extrahospitalières qui se créent progressivement. Comme les psychanalystes sont alors trop peu nombreux pour répondre à la demande, ils initient, dans la plupart des pays, des formations structurées en psychothérapie qui permettent de former plus de professionnels en un temps plus bref par rapport à la formation analytique à proprement parler. Aux Etats-Unis ces formations à la psychothérapie sont actuellement souvent intégrées dans les instituts de formation des sociétés de psychanalyse, alors qu’en Europe ces structures formatrices sont, sauf exception, indépendantes des sociétés de psychanalyse. Mais les formateurs dans ces structures indépendantes des sociétés de psychanalyse sont dans leur grande majorité des psychanalystes. En France, les psychanalystes qui craignent de “dénaturer l’or pur de la psychanalyse”, se positionnent pour dire que seuls les psychanalystes sont adéquatement formés pour pratiquer la psychothérapie psychanalytique sous prétexte que la “psychothérapie psychanalytique n’existe pas” (Aisenstein, 2001). Bien souvent, le souhait d’une formation en psychothérapie est, à mon avis, trop facilement interprété par les psychanalystes comme une défense à s’engager dans une formation psychanalytique. Ce qui ne me semble pas toujours être le cas car ces professionnels travaillent dans leur grande majorité dans des milieux institutionnels où la cure type est inapplicable étant donné les pathologies qui y sont traitées. En conséquence, les psychanalystes français n’ont pas créé de formations à la psychothérapie mais forment néanmoins à titre individuel, des professionnels en les analysant, en les supervisant ou en leur proposant des séminaires. Ce n’est que ces dernières années que des formations structurées, par exemple en psychothérapie psychanalytique de l’enfant et de l’adolescent, ont vu le jour dans différentes régions en France : Paris, Bordeaux, Caen…. On peut se demander si le phénomène lacanien qui a pris naissance dans les années 1950 et qui s’est emballé après 1968, n’est pas d’une certaine façon, l’équivalent de la formation accélérée des psychothérapeutes dans d’autres pays. La différence est que, dans les pays anglo-saxons, ces professionnels s’intitulent psychothérapeutes alors, qu’en France, ils se nomment psychanalystes.
P. Barres (1993) dit que les psychothérapies restent analytiques dans le sens où :

  • elles visent le même objectif que l’analyse : promouvoir un processus de changement, induire un travail psychique dont l’organisateur est le transfert
  • elles utilisent les mêmes outils que l’analyse, qu’il s’agisse de la théorie ou de l’écoute interprétative et du contre-transfert
  • elles se réfèrent aux mêmes principes : l’association libre et l’attention flottante
  • elles exigent, comme l’analyse, l’instauration d’un cadre spatial et temporel dont la fixité est une condition nécessaire pour que se développe un processus.

Si pour Barres, psychanalyse et psychothérapie se distinguent par des modifications de cadre et une position différente quant à “l’idée de soin”, il souligne le danger qui existe de détacher la psychothérapie de la psychanalyse.

Exigence éthique et formation en psychothérapie psychanalytique

Parallèlement au développement de la théorie et de la pratique psychanalytiques, Freud se préoccupe immédiatement de formation dans le but de transmettre la psychanalyse. Développement et transmission sont intriqués dès le début. Mais Freud n’est pas seulement un scientifique, il est aussi un homme politique. Dans son article A propos de la psychanalyse dite sauvage, Freud (1910) dit que la technique analytique “ne s’acquiert qu’au prix de lourds sacrifices de temps, de peine et de mécomptes… et qu’il faut l’acquérir de ceux qui la possèdent déjà à fond”. Pour éviter que les malades ne soient exposés au danger de la psychanalyse sauvage par des gens non formés, Freud affirme que la formation ne peut se faire que dans le cadre d’instituts de formation et par le biais de cursus de formation. Pour Freud, l’éthique coïncide avec une bonne technique qui résulte d’une formation adéquate dont la garantie a nécessité la fondation en 1910 de l’Association Psychanalytique Internationale (API).

Les psychothérapeutes dans leur grande majorité travaillent dans des centres publics et il est inquiétant de se dire que certains patients parfois très fragiles, y soient traités par des professionnels peu ou mal formés. Nous ne pouvons donc suffisamment insister sur l’importance de la formation en psychothérapie d’autant plus que Fédida (2001) affirme que “la psychothérapie est une psychanalyse complexe” et que De Schill (1999) déplore la détérioration de la formation en psychothérapie ainsi que les critères professionnels requis pour être accepté dans ces formations. Il regrette “que le nombre de thérapeutes à orientation psychodynamique qui sont suffisamment expérimentés pour traiter avec succès les cas les plus sévères décroît dans une mesure inquiétante”. D’après des études de Gedo (cité par De Schill) moins de 20 % des thérapeutes qui se consacrent à la psychothérapie psychodynamique aux Etats-Unis auraient une compétence suffisante. Parmi les autres une moitié d’entre eux auraient une action bénéfique et l’autre moitié une action toxique sur les patients. Pouvons-nous nous cacher derrière le fait que ces études portent sur ce qui se passe aux Etats-Unis et non pas en Europe?

Buts et conceptions d’une formation en psychothérapie psychanalytique

Le but de la formation en psychothérapie psychanalytique serait :

  • outre la transmission d’un savoir
  • de développer l’identité du psychothérapeute
  • de développer la notion de processus thérapeutique.

Dans les années 1920, le concept de la formation des psychanalystes a été élaboré et se base sur les 3 axes classiques qui sont, par ordre d’importance : la psychanalyse personnelle, la supervision et la formation théorique et technique. Ce modèle de formation n’a pas changé dans sa conception depuis cette époque. Ce modèle de formation reste la référence de la Fédération Européenne de psychothérapie Psychanalytique (www. EFPP. org) qui regroupe les psychothérapeutes de 25 pays européens ce qui représente environ 13.000 professionnels. En résumé, l’EFPP préconise, en ce qui concerne la formation des psychothérapeutes psychanalytiques pour adultes, un minimum :

  • de 4 ans de psychanalyse personnelle à 3 séances de 45 minutes par semaine,
  • de 250 heures de supervision individuelle de patients suivis 3 fois par semaine,
  • de 200 heures de formation théorique.

Pour la formation des psychothérapeutes d’enfants et d’adolescents, l’EFPP préconise une observation du nourrisson ainsi que des critères spécifiques tels que l’âge et la psychopathologie des enfants pris en traitement D’autres spécificités caractérisent les critères de formation des psychothérapeutes psychanalytiques de groupe.

En conclusion

Freud a transmis aux sociétés de psychanalyse la responsabilité de sauvegarder et de développer la psychanalyse. Dans un sens très restrictif, cette responsabilité ne concernerait que la stricte cure analytique. Mais on peut aussi l’entendre comme la sauvegarde et le développement de la pensée psychanalytique, de la théorie et des diverses techniques psychanalytiques (psychanalyse de l’enfant, face-à-face, psychodrame, thérapie familiale psychanalytique etc.) qui se sont développées à partir de la psychanalyse. Dans ce cas, il incombe aux psychanalystes de penser et d’être responsable de toute la “filière” de formation analytique qui s’étend de l’initiation psychodynamique à la formation à la psychothérapie psychanalytique et à la transmission de la psychanalyse.

Dans de nombreux pays les postes de psychothérapeute dans les institutions ne peuvent être occupés que par des professionnels qui ont fait ce genre de formation. Actuellement on constate qu’en France les psychothérapeutes, dans la plupart des centres de consultations publiques, sont contraints par leur direction à n’offrir à leurs patients, et surtout aux enfants, qu’une séance par semaine voire par quinzaine. Les jeunes professionnels n’acquièrent bien souvent plus l’expérience indispensable du travail thérapeutique à un nombre élevé de séances. Une formation légale, pensée et réfléchie par des psychanalystes, avec des critères clairement définis, permettrait aux psychothérapeutes de défendre la position éthique d’une psychothérapie à haute fréquence pour un certain nombre de patients pour lesquels un tel cadre est indispensable. Imposer des critères légaux de formation n’est pas sans dangers comme l’exemple de certains pays le montre (Frisch, 1998). Il y a en effet un réel danger d’une mainmise administrative de l’état sur la formation analytique et ainsi un dévoiement des aspects les plus révolutionnaires de la psychanalyse.

Néanmoins, les psychanalystes devraient être partie prenante d’un tel processus parce que “la psychanalyse a laissé en permanence ouverte sa réflexion épistémologique et clinique sur ses propres dispositifs (dont celui de la formation) et ses propres processus, qu’elle se présente comme la plus disposée à servir de référentiel pour proposer des repères identitaires pour les psychothérapies centrées sur la mise en œuvre de processus psychodynamiques” (Roussillon, 1998) en tenant compte des demandes légitimes des pouvoirs publics, des exigences de l’institut de formation et de la préservation de l’incontournable besoin d’intimité du candidat en psychanalyse.

L’implication des psychanalystes dans la formation des psychothérapeutes permettrait d’éviter une encore plus grand “babélisation” de la psychanalyse et permettrait de créer dans un avenir proche un “espace analytique commun” aux psychanalystes et aux psychothérapeutes psychanalytiques dans lequel des controverses scientifiques peuvent se développer mais, espace qui ferait front contre les virulentes attaques dont l’approche analytique, sous ses diverses formes, est l’objet.

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