Psychanalyse et psychothérapies
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Psychanalyse et psychothérapies

Les pratiques psychanalytiques, par-delà les différences de dispositifs, peuvent-elles être différenciées en psychanalyse proprement dite et psychothérapie ? L’insistance sur le “continuum des traitements psychanalytiques” tend à dissoudre les différences et infère corrélativement l’idée de continuité entre le conscient, (le conscient implicite, l’inconscient cognitif, le subconscient), le préconscient et l’inconscient : l’essentiel est alors dans tous les cas la bonne communication, l’empathie réparatrice, voire la recherche de “l’expérience émotionnelle correctrice”. La dimension psychothérapique est centrale. Inversement, dire que toute pratique est analytique dès lors qu’elle est celle des psychanalystes évacue également la question des différences entre psychanalyse et psychothérapie.

Aussi, sur le plan des pratiques, est-il discutable d’opposer psychanalyse et psychothérapie comme deux catégories prototypiques, induisant à penser qu’elles sont exclusives l’une de l’autre. Il y a dans les traitements psychanalytiques une double dimension des interventions : celles de type psychothérapique et celles qui sont spécifiquement psychanalytiques. On peut parler d’un rapport de type série complémentaire : à une extrémité, l’effacement de l’analyste “qui fait le mort”, support de projection et figure du quiproquo anachronique du transfert à partir duquel il interprète les conflits névrotiques infantiles actualisés par le processus ; à l’autre extrémité, celle de la psychothérapie visant l’enrichissement du sens par la participation active de l’analyste aux associations d’idée tout en renonçant à l’interprétation.

Il peut s’agir seulement d’un premier temps respectant le principe de neutralité et préparatoire à l’analyse proprement dite. L’analyste s’en tient à des relances associatives, la verbalisation des émotions, la clarification du discours, l’attention portée aux analogies, aux inférences logiques et sémantiques. Mais le glissement se fait facilement vers des interventions qui ne sont plus d’ordre analytique. Il est de fait que, par exemple lors des supervisions dans le cadre du cursus de formation de l’Institut de la Société Psychanalytique de Paris, l’abandon par l’analyste en formation des attitudes psychothérapiques est le premier objectif. La plupart d’entre eux ont déjà une longue expérience des psychothérapies, le plus souvent d’enfants ou d’adultes aux confins de la psychose. Ils sont amenés à se rendre compte que certaines de leurs interventions en analyse sont à leur insu d’ordre pédagogique, de réassurance, de suggestion, de séduction, ou encore d’interprétations prématurées ou arbitraires dont il ne mesure pas suffisamment les effets sur le processus analytique inconscient.

Dans la psychanalyse dite classique, l’effacement de l’analyste comme personne, sa réserve, son silence, le maintien du cadre et la facilitation de l’association libre des pensées de l’analysant et de l’écoute métapsychologique de l’analyste sont les premiers impératifs. Le processus est induit par les effets propres du cadre, dont l’asymétrie et les attitudes de l’analyste, et par la règle fondamentale de l’association-dissociation des idées. Le modèle fondateur est le sommeil et le rêve : l’interprétation des rêves comme voie royale de la connaissance de l’inconscient refoulé. Un détail insolite du discours de l’analysant, comme un élément étrange d’un rêve, conduit à “l’autre scène” qui est en rupture logique et en opposition avec les contenus manifestes.

Les associations d’idées en séance se font dans une double direction : celle du narratif de l’histoire personnelle, de la cohérence rationnelle, de la prédominance des processus secondaires, et celle de la dissociation, de la déliaison des pensées sous l’effet des processus primaires de l’inconscient finalisés par la réalisation hallucinatoire du désir, des fantasmes refoulés ou clivés, les motions pulsionnelles dans les actes, les émotions et les sensations. Pour ne pas s’en tenir au conscient et au préconscient, force est de prendre en compte la résistance, les défenses vis-à-vis de la conflictualité intrapsychique et vis-à-vis de l’activité de penser, l’hétérogénéité des modes de fonctionnement psychique. Mais, outre l’interprétation en fonction du transfert, l’analyste est généralement obligé de recourir à d’autres types d’intervention que l’on peut dire d’ordre psychothérapique mais qui restent ordonnées au but spécifiquement psychanalytique d’investigation en quête de vérité faisant place aux manifestations de l’inconscient pulsionnel.

La dimension psychothérapique fondée sur la participation de l’analyste en position de psychothérapeute est variée et tributaire de ses intuitions, de son expérience, de ses capacités empathiques notamment dans la perception des niveaux de fonctionnements régressifs extra-verbaux qui trouvent théorisation dans la référence aux phénomènes d’identification projective, aux premières relations mère-enfant ou même enfant-environnement en deçà de la constitution de la mère comme objet. L’interprétation est différée et les interventions de l’analyste se fondent sur la perception contre-transférentielle de l’économie psychique du patient : un modèle en est le jeu winnicottien. La participation de l’analyste n’est à l’abri de l’arbitraire et de la suggestion que par l’analyse du contre-transfert. Elle est guidée par l’attention portée à ses effets sur les mouvements psychiques, sur les séquences associatives, sur l’émergence de l’inconscient soit dans l’ordre de la symbolisation, du retour du refoulé, soit, en deçà des représentations, dans l’ordre des motions pulsionnelles, de l’inconscient du ça, de ce qui appelle figuration, construction et transformation par l’analyste.

Les pratiques psychothérapiques de renforcement des liens intrapsychiques à partir de l’expérience interpsychique sont requises quand la pratique spécifiquement analytique de déliaison est impossible. Il faut des restes diurnes et des pensées oniriques de veille pour alimenter le travail du rêve ; il faut de même des contenus manifestes conscients et préconscients pour l’émergence des représentations inconscientes, mais c’est l’analyse des résistances qui les rendent accessibles à l’interprétation et à la perlaboration. Celle-ci est facilitée par la dimension psychothérapique des interventions ultérieures de l’analyste.

Le risque de la généralisation des psychothérapies et de l’éclectisme théorique actuel en psychanalyse est, beaucoup le craignent, la disparition de la psychanalyse au sens d’un processus au long cours dans le cadre spécifique, donnant lieu à interprétation d’une manière qui dessaisit le sujet de ses évidences, et lui ouvre de nouveaux horizons, expérience de déliaison productrice de changements structurels, de remaniements internes et pas seulement de réaménagement des défenses et de réparation narcissique.
Les psychanalystes qui ont une pratique réduite de la psychanalyse tendent à privilégier la dimension psychothérapique et à réduire la métapsychologie à une simple théorie de la pratique psychothérapique : d’où les dérives dogmatique, herméneutique, narrative ou intersubjectiviste. L’essor des psychothérapies va dans le sens de la demande des patients de séances espacées et de durée brève pour des objectifs à court terme. De ce fait, un certain nombre de patients viennent à l’analyse proprement dite après avoir perdu beaucoup de temps dans la demi-mesure de psychothérapies à répétition. Il n’en est pas moins vrai que la psychanalyse dite classique n’est pas toujours de réalisation possible et pas toujours opportune. Certains parcours analytiques requièrent une composante psychothérapique qui demeure subordonnée à la finalité analytique.

Références bibliographiques

Brusset B. (rééd. 2005). Les psychothérapies, Paris, PUF (Que sais-je ? n°480), 2003.

L’or et le cuivre (2002) in Le travail du psychanalyste en psychothérapie. Sous la direction de F. Richard, Paris, Dunod, 35-70.

Spécificité des pratiques psychanalytiques, in Les voies nouvelles de la thérapeutique psychanalytique, à paraître aux PUF.

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