Résidence alternée et perte objectale : aspects cliniques
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Résidence alternée et perte objectale : aspects cliniques

Introduction

Les observations dont nous allons vous faire part aujourd’hui portent sur une vingtaine d’enfants et sont issues de 12 années de consultations et de thérapies d’enfants vivant en résidences alternées consensuelles, c’est-à-dire avec l’accord des 2 parents, et sur un rythme égalitaire d’ une semaine chez chaque parent.

Comment l’enfant vit-il ces séparations et quel impact peuvent-elles avoir sur sa psyche, son Moi en cours de construction, la qualité de ses relations objectales ? C’est ce que nous allons essayer d’étudier aujourd’hui au travers de l’expérience clinique que je vais vous livrer.

Impacts des séparations sur le fonctionnement psychique de l’enfant

Les angoisses de pertes et les aspects traumatiques

Les consultations de ces enfants montrent en premier lieu qu’ils sont tous envahis psychiquement par des angoisses de perte qui se manifestent par une grande insécurité. Ainsi, le vécu de la temporalité des séances est toujours menaçant, ils ont peur de la fin, peur de se séparer… Les angoisses d’abandon les envahissent. Ils présentent souvent des rituels obsessionnels de vérification au moment des passages, comme ce petit garçon de 3 ans qui allume puis éteint sans interruption toutes les lumières à chaque départ de la maison maternelle. Un autre, très angoissé, se barde de souvenirs lui rappelant ses parents, les transporte partout et dort même avec. Classiquement on repère l’angoisse du jeudi soir que l’enfant manifeste le plus souvent chez sa mère. Il n’arrive pas à l’attribuer à son départ mais elle apparait inéluctablement la veille ou parfois l’avant-veille du changement de lieu. A cela s’ajoute des jeux extrêmement répétitifs associés à une sidération psychique qui évoquent des aspects traumatiques comme chez cet enfant qui passe des séances à retracer répétitivement « les chemins pour aller de chez papa à chez maman. » Cependant il convient de s’interroger sur la nature de ce qui fait ici traumatisme. On peut faire l’hypothèse que du fait des ruptures fréquentes induites par la résidence alternée l’enfant vit un manque dont la répétition induirait un traumatisme. On peut parler de traumatismes « par manque de réalité » en référence à François Duparc, un trauma issu de l’intérieur, lorsque le sujet attend une expérience que son entourage ne peut lui fournir. La théorie du développement de l’enfant de Winnicott nous permet de le comprendre : l’objet doit être présent dans la réalité, et présenté à l’enfant au moment où celui-ci en a besoin. Mais, bien que ce soit un objet réel, il n’est dans un premier temps pour l’enfant que l’illusion de l’avoir créé lui-même : l’équivalent de sa propre réalité psychique, mais aussi son support essentiel.

Le modèle de la construction d’une psyché sensible au facteur temps nous aide à comprendre certains effets de la résidence alternée chez l’enfant petit. Ainsi, si la mère de l’enfant s’absente un certain temps, l’enfant l’attendra sans trop de difficultés, pour un temps un peu plus long l’angoisse va surgir, pour un temps plus important encore l’angoisse agonistique, désorganisante, va le submerger. Ce type de traumatismes lorsqu’ils arrivent chez l’enfant petit vont intéresser les catégories du primaire et de l’originaire. Ils peuvent donc affecter le processus de symbolisation, créer des atteintes précoces du Moi et des blessures d’ordre narcissiques. Du fait de la sidération psychique qu’ils entraînent et l’importance du recours aux mécanismes de défense qu’ils mettent en jeu (notamment le clivage, la projection et l’identification projective) ils perturbent gravement l’organisation même de l’économie pulsionnelle, la symbolisation et, par voie de conséquence, l’autonomie du Moi.

La plupart du temps les processus transitionnels et la symbolisation de la perte échouent

La transitionnalité, telle que Winnicott l’a conceptualisée, se déroule entre un dehors et un dedans et mêle le « créé » intérieur et le « trouvé » extérieur. Or, dans la résidence alternée chez l’enfant petit le « trouvé extérieur » étant trop instable ou absent, les processus de symbolisation primaire inhérents aux processus transitionnels ne peuvent émerger. Notamment la symbolisation de la perte (objectale) s’avère impossible. D’où l’insécurité observée chez ces enfants incapables d’aborder la moindre perte sans éprouver des angoisses parfois désorganisatrices. Nombreux sont ceux qui peuvent témoigner d’un sentiment permanent de manque et d’insécurité même lorsqu’ils sont auprès de leur mère, non calmée par la présence externe de l’objet. Ils expliquent leur besoin pressant qu’elle s’occupe d’eux tout le temps. Leurs envies de relation avec l’autre demeurent insatiables comme en séance où ils demandent une attention permanente. L’objet interne maternel du fait du vécu traumatique d’abandon demeure non fiable et le besoin de vérifier en permanence un lien insuffisamment symbolisé est omniprésent. Devant la succession des pertes auxquelles ces enfants sont confrontés de façon répétitive la symbolisation de la perte achoppe et laisse la place à l’angoisse et à la répétition traumatique.

Je reçois un enfant de 4 ans et demi dont les parents sont séparés mais cohabitent depuis plusieurs mois. Ils commencent une garde alternée pendant les vacances d’été qui se poursuit à la rentrée sur un rythme de 3/4 jours sans que les enfants ne changent de maison. Lorsque je le retrouve à la rentrée, ses jeux ont pris une tout autre tournure : la scène comprend des dinosaures (il est un carnivore et moi je suis un herbivore) et traite de la rivalité fraternelle comme il le faisait depuis le début de nos séances. Mais très vite apparaissent pour la première fois des imagos parentales dont il souligne la venue : la femme se fait enfermer toute la séance dans une prison par les dinosaures auquel il est identifié traduisant son désir d’emprise sur l’objet maternel. L’homme intervient à la fin et n’arrive pas à la libérer, ils se font tuer tous les deux par les dinosaures, « l’homme est bien mort, on voit son sang » termine l’enfant soulagé ! Puis, le même jeu se répète toutes les séances suivantes, d’abord les dinosaures, la maman et ses deux enfants qui sont menacés d’extermination par une météorite qui détruit tout, puis dans les séances suivantes ce sera les dinosaures et des humains qui sont menacés par diverses fins du monde cataclysmiques. Cependant, il rajoute des départs de dinosaures qui partent se protéger dans la mer ou la rivière mais quand ils reviennent « ils ne se reconnaissent plus » dit- il, ils ne retrouvent plus les autres, ni l’endroit où ils sont situés. Cette scène évoque un abandon parental et nous conduit à nous demander si pour un enfant de 4 ans il existe une différence entre séparation et abandon.

La relation d’objet : du désir empêché à la haine et au désinvestissement des objets parentaux

Les séparations itératives, non seulement débordent les capacités de l’enfant à élaborer la perte mais elles déterminent aussi chez lui un travail intrapsychique qui va avoir pour effet de modifier en profondeur les investissements et les représentations des objets parentaux. Ainsi, pour certains, la relation d’objet évolue du côté du désir empêché, et pour d’autres vers la haine des objets parentaux mais aussi leur désinvestissement. Tout d’abord il semble opportun de préciser ce qui nous semble être le rôle indispensable de l’objet dans la transition entre narcissisme et relation objectale. Cet objet doit être présent et apporter des réponses de qualité au regard des besoins affectifs de l’enfant sans quoi il entraînera des traumatismes qui viennent « endommager » son Moi et qui paralysent ses capacités de pensée et d’élaboration. Si l’on conçoit que le Moi de l’enfant puisse être formé d’une juxtaposition d’états à la fois narcissique et objectal en proportions variable, l’objet externe doit alors longtemps recouvrir les caractères de fiabilité et de continuité afin que le Moi de l’enfant puisse dépasser ses états narcissiques pour s’organiser vers un psychisme dominé par des tendances objectales.

La clinique nous montre que la plupart des enfants observés et notamment ceux pour qui la résidence alternée a commencé avant 6 ans ont un fonctionnement psychique dominé par les tendances narcissiques et éprouvent de grandes difficulté à investir positivement tant leurs objets que le psychanalyste avec un transfert qui prédomine du côté narcissique donc sans véritable investissement. La faiblesse de l’investissement d’objet va d’ailleurs de pair avec la force de leurs angoisses de perte. Dans la résidence alternée et du fait des séparations, l’objet ne semble pas permettre une suffisante expérience de satisfaction ou bien, secondairement, sous l’effet des traumatismes liés à la répétition des pertes, les traces de cette expérience de satisfaction ne peuvent plus jouer leur rôle d’ancrage.

Le désir empêché

Plusieurs enfants préadolescents et adolescents me feront part d’un de leur désir profond « d’être grand pour pouvoir aller voir qui ils veulent quand ils veulent ! ». Ils rêvent d’une liberté de choix qui fait justement défaut pour eux, pris dans leur propre désir objectal empêché. La plupart des mouvements anxieux rencontrés chez ces enfants portent sur les déplacements. Pour un adolescent de 16 ans il s’agit de ne plus venir me voir en vélo mais seulement accompagné par un parent, pour une autre il est impossible de prendre les transports en commun seule. L’anxiété ressentie ici traduit l’ambivalence vécue autour du désir de choisir sa destinée et sa destination, autour du désir impossible de choix d’objet. Ceux-là montrent des difficultés à traiter leur propre ambivalence vis-à-vis des objets parentaux et utilisent le comptage des jours pour se rassurer sur l’équité de leur amour. Cette culpabilité rend compte du fait que la plupart de ces enfants revendiquent la résidence alternée alors même qu’ils en souffrent.

Le désir et le besoin de l’enfant de « trouver » son parent ne peut jamais se satisfaire et le manque demeure non reconnu par les parents et par l’enfant en conséquence. Dans la mesure où ce système ne s’inscrit jamais dans la logique désirante du sujet il demeure profondément arbitraire et a un effet emmurant pour l’enfant tuant son désir et sa subjectivité.

Désinvestissement et haine

Pour les enfants plus petits, la relation d’objet aux parents se trouve entravée parfois jusqu’à un désinvestissement affectif. C’est ce qu’illustrent les discours suivants d’enfants de 5 et 6 ans en résidence alternée depuis plusieurs mois : « C’est pas grave si maman ne m’aime pas, parce que tout le monde aime les enfants. » ou « Maman, je ne l’aime pas » alors que sa relation avec sa mère est par ailleurs de très bonne qualité. Ou encore, « qu’il peuvent être aimé par plein d’autres personnes ». Pour certains, il s’agit de détourner l’investissement objectal sur l’extérieur, l’objet est éjecté au dehors, désinvesti de la libido. Mais ces processus protecteurs pour lui l’obligent dans un même temps à renoncer à une relation d’objet sécurisante et organisatrice pour sa psyché. Parfois c’est la haine de l’objet maternel portant une part persécutrice, non fiable et porteuse d’un potentiel d’abandon qui prédomine. La représentation d’objet aboutit dans certains cas à celle d’un objet non psychisant en référence au texte d’Anne Denis sur la Géométrie de l’antipsychique. Il est alors perçu comme pathogène et indispensable. Les clivages deviennent dès lors inévitables. Un enfant de 4 ans me demande : « Quand est-ce que maman va mourir ? Quand est-ce que papa va mourir ? » À mon grand étonnement il poursuit : « Parce que moi, il me tarde comme ça, j’aurais qu’une maison. » Cet enfant exprime le besoin de sortir des clivages parentaux qui l’empêche d’accéder à un objet d’attachement principal permanent et disponible à désir pour pouvoir s’unifier lui-même, construire « une maison » Moi.

Certains enfants en résidence alternée présentent un autre type de clivage qui les amènent à se couper de leur subjectivité, prenant l’apparence « d’enfants parfaits », en tout cas parfaitement adaptés aux projets de leurs parents. Mais comme l’illustre ce petit garçon, si j’ai un cœur pour maman et un cœur pour papa alors je n’ai pas de cœur pour moi ? Se trouve ainsi formulé le paradoxe central de l’identité ainsi produit : pour continuer à se sentir être, le sujet a dû se retirer en partie de lui-même. Les plus grands expriment cette non fiabilité objectale par « ils se foutent de moi, ils ne me considèrent pas ». Pourtant, les qualités externes réelles de l’objet ne concordent pas avec la représentation interne qu’a construite l’enfant, nous faisant faire l’hypothèse qu’elle est plus induite par les conséquences psychiques de la discontinuité de l’objet que par de réels défauts de qualité.

J’utilisais parfois de petits tests en début de suivi qui consistaient à compléter, en jouant à l’aide d’une famille de playmobiles, une histoire dans laquelle les parents partaient laissant les enfants à la grand-mère puis revenaient le lendemain. Les enfants en résidence alternée depuis plusieurs années me firent des réponses surprenantes qui traduisaient l’altération de la relation d’objet. Un d’eux me raconta qu’à leur retour les parents avaient écrasé l’enfant en voiture car ils ne l’avaient pas vu, un autre leur demandait de repartir immédiatement car c’était trop tôt et ne montrait aucun affect à leur égard et un troisième m’expliqua qu’au retour des parents tout le monde pleurait car le grand père était mort, les retrouvailles étaient impossibles et avaient un goût de deuil.

Aspects cliniques chez les tout- petits

En ce qui concerne l’observation des tout-petits entre 1 et 3 ans, ils vivaient quant à eux en résidence alternée après imposition de la justice. Les signes manifestes d’insécurité sont au premier plan de ces consultations. Contrairement à tous les autres enfants de cet âge, ils n’explorent pas la pièce. Ils restent dans une proximité corporelle avec leur parent, comme hagards et souvent accrochés à un de leur jouet ou à leur doudou. Quand ils commencent à s’éloigner ce n’est jamais avec un plaisir de découverte pourtant habituel à cet âge. Les séances sont marquées par une absence de jeux spontanés ou une pauvreté extrême malgré nos sollicitations. Lorsqu’ils tombent, se cognent, sont malades ou sont surpris par un bruit, certains se précipitent vers leur mère, dans l’attente semble-t-il d’un réconfort mais s’en retirent aussitôt le contact établi cessant immédiatement leur plainte. Tout se passe comme si brutalement leur demande de réconfort était clivée. D’autres se sidèrent et ne cherchent même pas le réconfort. Ils ont abandonné l’idée d’un autre qui pourrait les secourir.

Ainsi ce petit garçon de 2 ans qui a développé un self holding : il arrive fébrile en consultation et au lieu de demander les bras de sa mère il se blottit sous une chaise, à même le sol, tout seul. On note aussi la présence de ritualisations importantes lors des séances en présence du parent : rangements excessifs, demande répétée et inlassable que soit lu le même livre, rangement de feutres, alignement/déplacements d’objets. On peut aussi observer des jeux répétitifs évocateurs de traumatismes dont le thème tourne autour de la question de la perte et de l’attachement. Les objets de la pièce quand ils peuvent être utilisés le sont pour être répétitivement attachés/détachés, engrenés/désengrenés ou pour des jeux de cache-cache infinis avec des jouets plus ou moins jetés ou qui tombent. Les jeux plus symboliques ou d’imitation sont totalement absents. Enfin dès que l’enfant commence à pouvoir figurer son traumatisme, il met en scène des déplacements infinis de lits, de maison ou encore dessine des « routes » interminables. Ces défenses peuvent aller jusqu’à un évitement relationnel et des jeux stéréotypés qui envahissent tout le champ des consultations. A la maison ils sont décrits soit comme cherchant le contact en permanence, voulant être tout le temps portés, irritables, pleurant beaucoup, incapables de jouer seul ou alors détachés, coupés et s’enfermant souvent dans des manipulations stéréotypées.

Cas clinique Nicolas

Pour finir, j’ai choisi d’illustrer ce propos par le cas clinique de Nicolas, petit garçon que j’ai rencontré à l’âge de 6 ans et qui vit en résidence alternée depuis l’âge de 3 ans. Quand je le rencontre il n’a pas construit la permanence de l’objet, il m’appelle la dame pendant les premières années, ne me reconnaît pas d’une séance sur l’autre mais demande mon attention permanente, sans parole, sans histoire ; « joue m’assène-t-il, il veut une relation d’emprise un objet disponible, malléable et à sa merci, objet qu’il peut maîtriser à volonté pour ne pas le perdre ; point de pensée, point de jeux. Il accumule juste les objets qu’il déplace et collectionne. Chaque fin de séance est un arrachement qui contraste avec le peu d’attachement qu’il montre à mon égard, il se cache sous le canapé et s’y blottit tandis que son père l’attend interminablement.

Lors des séances, Nicolas lutte en permanence contre la peur de manquer, il compte les feuilles dont il s’empare, n’en a jamais suffisamment mais n’en fait rien et fait de même avec tous les objets du bureau. Au bout de plusieurs mois, il construit une scène primaire de dévoration et d’emprise au travers d’une sorte de pseudo jeu de dame sans règle où l’on se mange et se remplace. Il a peur de manquer de temps avec moi mais aussi refuse de lire ou de dessiner par peur de « manquer/rater ». Après 2 ans de thérapie, il commence à jouer une histoire, celle de sa naissance qu’il tente de se représenter en la revivant répétitivement en séance, accouchement d’un bébé qui sort de sous un fauteuil et dont je joue la mère qui le voit naître et l’accueille. Plusieurs mois plus tard, il m’explique pour la première fois son emploi du temps, les allers-retours qu’il fait entre père et mère qui ont modifié la garde en raccourcissant les durées des visites, « tous les lundis et mardis chez papa, mercredi, jeudi chez maman et les week-end ça alterne » me dit-il. Nicolas commence à se repérer dans le temps. Il confectionne des calendriers qu’il accroche au mur pendant les séances. Les fonctions parentales se différencient : « C’est papa qui m’amène chez l’orthophoniste et chez toi ».

Il introduit alors des jeux dans lesquels sa place n’est pas permanente. Ainsi, apparaît une scène d’école dans laquelle le directeur/maître dont il a le rôle réinscrit Nicolas tous les ans mais après une longue hésitation totalement arbitraire. Le désir d’enfant dans l’adulte n’est pas fiable. D’autres jeux sur le même thème vont se succéder. Dans le transfert il demeure tyrannique, insatisfait, fuyant et souvent persécuté, intrusé surtout si je me mets à parler ou s’il mesure un écart entre ses injonctions et ma réalisation. Nicolas continue inlassablement à se cacher sous le canapé après avoir désorganisé tout le bureau avant de partir. Il répète en séance son traumatisme, un état de détresse, d’agonie psychique, d’angoisse sans nom, tentant d’en maîtriser l’issue. Le scénario reste le même, immuable et voué à être répété à l’infini tel un réel qui ne peut être réintégré dans les tissus symbolisant de la psyché. A la séance qui précède les grandes vacances il croit qu’on ne se reverra pas à la rentrée, que je vais arrêter subitement la thérapie, disparaître. Après 3 ans de thérapie, Nicolas qui a 9 ans demande pour la 1ère fois à son père quand sa mère va le récupérer. Ceci traduit sa capacité nouvelle à se représenter un objet permanent temporairement absent et à exprimer le désir de le revoir. Nicolas semble sortir des clivages. A la séance suivante il me demande d’être dans des secrets avec lui, de ne plus rien dire à son père et toute la séance il fait un dessin avec des aplats de couleur, ne représentant a priori rien mais dont il dit qu’il fait les mêmes chez sa maman. Pourtant il se défend de l’idée que sa maman lui manque. Il affiche son dessin au mur et fait venir son père pour qu’il le voit à la fin de la séance. Il montre fièrement sa belle création puis va se cacher sous le canapé et refuse de partir mais pour la première fois il dit à son père qu’il veut rester avec moi.

Il revient à sa séance hebdomadaire et traîne comme d’habitude pour rentrer et quitter son père. Je lui dis, c’est difficile pour toi de se séparer quand tu viens et quand tu pars d’ici. Il nie et dit « je m’en fiche complétement que maman parte 2 semaines en vacances ! 2 semaines ça fait 2 semaines et 3 week-end » compte-il répétitivement ! Je m’étonne et lui dit que cela ne doit pas être facile quand même. Il me montre alors des bobos sur sa jambe et son pied. Il demande que je les lui soigne. Je lui réponds dans la réalité que je n’ai pas de pansement ! Il rajoute, personne n’a de pansement, ni toi, ni papa, ni maman. Nous confectionnons à sa demande de faux/vrais pansements avec des mouchoirs et du scotch. Nous les déposons sur ses blessures et il me dit qu’il fera semblant après. Un espace transitionnel peut enfin s’installer entre nous. Son père entre en fin de séance, il ne détruit rien, il ne se cache pas. Il montre les pansements à son père et part tranquillement. La séance suivante il construit avec des Legos un mur épais qui protège des attaques. La perspective du départ de sa mère le menace. Il part dans une lutte effrénée contre l’effondrement. Il frappe de toutes ses forces un coussin figurant son père auquel il se mesure. Sur les séances suivantes, il continue d’éprouver sa force physique dans des combats imaginaires, en vain. Débordé, désorganisé, il repart à nouveau se blottir sous le canapé pour se calmer et se rassembler dans un mouvement de self holding.