Quand la rage se répand…
Éditorial

Quand la rage se répand…

Depuis quelques semaines les attentats se succèdent sur un rythme, hélas, soutenu : Londres, Manchester, Londres, Paris, Paris, Bruxelles… Les profils des terroristes ont évolué mais ceux qui ont pu croiser leurs yeux et en sont rescapés décrivent tous un regard de haine et de rage… Ces terroristes savent aussi qu’ils seront « abattus » comme disent souvent les médias, usant d’un terme plus volontiers utilisé pour les animaux. Peut-être est-ce un signe de la déshumanisation dans laquelle ceux-ci menacent de nous entraîner ? Rage de détruire et de se détruire, où en sont les racines ?
Restons sur le terrain qui est le mien, celui de la psychologie et psychopathologie, sans pour autant ignorer les autres causes, sociales, culturelles, religieuses, politiques, etc. « J’ai la rage » crient volontiers les jeunes aujourd’hui, et dernière version « j’ai le sium » (le venin, le poison)… Certes tous les jeunes qui crient leur rage ne deviendront pas terroristes mais ces derniers, presque toujours, ressentent cette tension fixée en eux depuis leur adolescence.

D’où vient cette rage ? Et pourquoi se répand-elle ainsi ? Rage narcissique dit-on volontiers, elle caractérise une susceptibilité (narcissique) « à fleur de peau » et témoigne d’un besoin frénétique de reconnaissance et de considération. Elevés depuis la plus tendre enfance comme des individus et non plus comme des sujets (« sub jectum » sous le jet, c’est-à-dire sous l’autorité du roi), le rapport à soi tend à précéder le rapport à l’autre et à y prévaloir. Dans la constitution de la personnalité, l’axe narcissique l’emporte désormais sur l’axe objectal. Or le processus d’adolescence sollicite le narcissisme et le vulnérabilise au moins temporairement. Le remède ? Obtenir la reconnaissance et la considération des autres comme de soi-même grâce à la créativité, besoin vital pour l’individu dont le paradoxe absolu siège dans cette exigence de reconnaissance. C’est ce que les adolescents « bien pourvus » réussissent à obtenir : ils mettent leur rage au service de ce besoin de créer. Hélas tous ne sont pas bien pourvus, certains sont même profondément démunis (que ce soit de façon individuelle, familiale ou sociale, les trois à la fois parfois !). A défaut d’être génial dans la créativité, il est toujours possible de l’être dans la destructivité : la rage devient alors le moteur de cette destructivité et de ce besoin de reconnaissance « en négatif ». C’est dire l’importance du travail d’accompagnement de tous ces jeunes en déshérence, l’importance de pouvoir leur proposer ces activités de médiation, soutien de leur créativité où, avec la présence d’un adulte, ils pourront retrouver un motif de fierté,
antidote premier de la rage…  
   
Pr. Daniel Marcelli
“Avoir la rage, du besoin de créer à l’envie de détruire” Albin Michel, 2016