Le Manuel de psychiatrie clinique et psychopathologique de l’adulte publié sous la direction de Vassilis Kapsambelis, est un ouvrage collectif rédigé par des cliniciens, psychiatres, psycholo-gues, et psychothérapeutes. La littérature contemporaine, dans le champ psychiatrique, nous a habitués à la référence à la psychopathologie, celle à la psychiatrique clinique est plus singulière. Clinique et psycho-pathologie sont liées dans le titre du Manuel, mais elles sont plus souvent associées dans l’épisté-mologie classique à la psycho-logie « le terme de psychopa-thologie s’est substitué progres-sivement à celui de psychologie pathologique (…) psychologie signifie à la fois le trouble mental étudié et la science qui l’étudie » (Widlöcher 2005, p. 4).
Les auteurs nous proposent donc d’étendre ce lien en l’articulant au champ psychiatrique et à l’étude des maladies mentales « car le propre de la psycho-pathologie est (…) de s’emparer de ces conduites marquées, d’en repérer la genèse, d’en définir la fonction et d’en préciser le mécanisme » (Widlöcher 2005, p. 12). Ainsi dans la section II de l’ouvrage qui en compte trois, l’approche des troubles mentaux est affirmée comme clinique et psychopathologique : les névroses y côtoient les psychoses, les troubles de l’humeur et de la personnalité, les troubles des conduites et les manifestions psychopathologiques isolées. Le cadre théorique de référence se situe bien dans un continuum entre normal et pathologique et dans une intrication étroite entre clinique, psychopathologie, psychiatrie et psychologie, A. Toliou et E. Papathanasiou (Kapsambelis 2012, p. 253) proposent ainsi une étude des méthodes et des outils permettant à la psychiatrie et à la psychologie clinique de se réunir autour de la construction de dispositifs thérapeutiques.
Le chapitre consacré aux Troubles psychiatriques et psychologiques de la grossesse, de la puerpéralité et de la parentalité (Patrizi M.C. 2012, p.943) illustre également la complémentarité d’approche des deux disciplines. De même dans la troisième section consacrée aux traitements, la terminologie Traitements psychologiques (Gougoulis N. et al. 2012, p. 1013) est préférée à celle de traitements psychothérapiques soulignant de nouveau comment une approche centrée sur la clinique peut se déployer à la fois dans le champ de la psychiatrie et dans celui de la psychologie.
La clinique et la psychopathologie sont donc les deux pivots du manuel « Il n’y a donc pas de clinique sans définition d’une pratique » (Widlöcher D., 2005, p. X). La psychiatrie clinique, à la différence de la psychologie clinique, entité essentielle du champ de la psychologie, est rarement mise en avant comme s’il s’agissait d’une redondance. Paul Giraud et Maurice Dide ont été les premiers à distinguer la psychiatrie générale de la psychiatrie clinique : d’un côté la psychiatrie générale, sous discipline médicale aux bases biologiques, et de l’autre la psychiatrie clinique dont « l’objet consiste surtout en une investigation d’ordre psycho-logique » (Giraud P. 1953, p.7). Leur manuel de psychiatrie clinique est l’aboutissement d’un cheminement puisque « une psychiatrie clinique sérieuse ne peut se présenter avec la facilité et la simplicité qu’on peut trouver dans d’autres spécialités médicales » (Giraud P. 1953, p.7): il s’agit donc de prendre la suite de leur précédent manuel, (Manuel de psychiatrie du médecin praticien) trop directement calqué sur un modèle médical organiciste. Le Manuel de psychiatrie clinique et psycho-pathologique de l’adulte présente bien une filiation avec l’ouvrage de Dide et Guiraud. Non seulement parce que les deux auteurs sont cités à deux reprises à propos de leurs travaux sur l’athymhormie (Kapsambelis V., 2012, p. 53), mais surtout parce que le choix rédactionnel du Manuel s’étaye sur des soubas-sements théoriques communs. Si l’accent mis sur la dimension clinique est essentielle dans les deux ouvrages, il s’agit aussi de sortir de la recherche d’une causalité à tout prix et plutôt de faire un état des lieux des travaux actuels, des avancées théoriques et thérapeutiques dans une articulation constante à la clinique. Celle-ci y est prise dans son sens classique d’un position-nement au plus près du patient, étymologiquement au lit de celui-ci, comme l’illustrent les multiples vignettes cliniques présentées dans l’ouvrage ; elle est aussi un instrument d’observation et de compréhension qui « déborde les possibilités d’explications et d’interprétation » (Brusset B. 2005, p. 67).
Le Manuel se divise en trois sections. La première souligne la place singulière de la psychiatrie clinique à la confluence de multiples autres disciplines. La psychiatrie entre médecine, biologie et sciences humaines, titre de cette première section, débute par la mise en avant des spécificités de la psychiatrie (Kapsambelis V. 2012, p. 3) puis par son histoire Histoire et évolution des idées en pathologie mentale (Valente P., 2012, p. 21). Les références à l’histoire des notions présentées est une constante dans le Manuel, qu’il s’agisse de l’évolution nosographique des maladies, ou de celle des approches thérapeutiques ou bien encore des modèles théoriques de compréhension. Ainsi, les modèles cognitifs, comportementaux, systémiques, phénoménologiques, sociaux et communautaires côtoient la psychanalyse, la psycho-somatique, l’ethnopsychiatrie et la psychologie clinique. Les références au cadre législatif et déontologique de la psychiatrie et à la recherche complètent cette mise en perspective globale du champ de la psychiatrie clinique.
La deuxième section est le cœur du Manuel : elle est consacrée à la clinique et à la psychopathologie. Elle s’ouvre par l’étude des pathologies névrotiques. Leur disparition dans certaines classifications en tant qu’entité nosographique est bien mentionnée mais elle est supplantée par la réaffirmation de leur homogé-néité en raison « d’une part, de la caractéristique comme (…) d’une conservation de la conscience du caractère pathologique des troubles ; d’autre part du regrou-pement psychopathologique opéré (…) par Pierre Janet et Sigmund Freud ; et enfin de leur proximité avec la normalité » (Kapsambelis V. 2012, p. 290). Cette référence à une tradition nosographique intriquée à la psychanalyse n’est pas exclusive puisque les références à des regroupements nosographiques non psychanalytiques est aussi présente, par exemple dans le chapitre Névrose obsessionnelle ou trouble obsessionnel compulsif » ou dans celui sur Perversions ou paraphilies. Les nouvelles modalités d’expression de la souffrance psychique sont aussi présentées : Les addictions ou Les états limites.
La troisième section se centre sur la thérapeutique en psychiatrie. Elle englobe les traitements médicamenteux, les traitements psychologiques, les traitements institutionnels et les mesures sociales et la réhabilitation. Si les traitements biologiques qui regroupent les médicaments psychotropes, et l’électro-convulsivo-thérapie débutent cette troisième section, ils ne sont pas une fin en soi mais un des éléments du dispositif thérapeutique qui englobe les psycho-thérapies, les soins institutionnels et les mesures sociales et de réhabilitation. Cette dernière partie confirme l’unité et la cohérence des notions proposées dans ce Manuel. Il est rédigé par une grande majorité de cliniciens travaillant ou ayant travaillé à l’Association de Santé Mentale du 13ème arrondissement de Paris. Leurs contributions rendent compte de ce que P.C. Racamier, qui a participé au développement des soins institutionnels, tels qu’ils ont été dispensés à l’ASM avec R. Diatkine, S. Lebovici, P. Paumelle, a nommé L’Esprit des soins. « Cet Esprit, c’est avant tout de l’intérêt pour la vie psychique allié à une attention pragmatique sans faille, de la clairvoyance alliée à de la méthode ; du courage pour regarder dans la psyché des patients ainsi que dans la sienne propre ; un souci de recherche allié au goût pour le plaisir du travail en commun » (Racamier P.C., 2001, p. 46).
La lecture de ce Manuel offre aux cliniciens, psychiatres ou psycho-logues, un support de compré-hension de la souffrance psychique, sous toutes ses formes et d’approfondissement des principales modalités actuelles de prises en charge.