Alain Gibeault : Processus du premier entretien et psychose, les conditions d’une rencontre
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Alain Gibeault : Processus du premier entretien et psychose, les conditions d’une rencontre

Conférence de Alain Gibeault  : Processus du premier entretien et psychose, les conditions d’une rencontre

Le 8 octobre, Alain Gibeault inaugurait la première soirée du cycle Adultes 2020-2021 des Conférences d’Introduction à la Psychanalyse de la SPP. Ce soir-là, il nous a offert une plongée dans l’univers du premier entretien psychanalytique avec comme fil directeur l’exemple des patients adultes présentant un mode d’organisation psychotique.

Si certains avancent le terme de première consultation, d’autres de temps consultatif, de premier entretien, ou bien encore d’entretiens préliminaires, notre conférencier insiste : il s’agit avant tout d’une rencontre entre deux personnes, entre deux psychismes.

En 1890, alors qu’il se trouve en excursion dans les montagnes autrichiennes, Freud arrive dans une auberge et y fait la connaissance d’une jeune serveuse Katharina 1 qui lui expose ses symptômes d’angoisse. Il mène avec elle ce que pourraient être les fondements d’un premier entretien. Il commence par investiguer les circonstances qui ont pu conduire aux symptômes en s’appuyant sur ses connaissances de l’hystérie liée à des séductions traumatiques en particulier sexuelles. La serveuse lui confirme en effet un lien avec une scène au cours de laquelle elle a surpris son père ayant des relations sexuelles avec une jeune fille. Ces souvenirs la renvoient directement à une autre scène où son père aurait également tenté de la séduire. Après avoir raconté son récit à Freud, la jeune patiente paraît soulagée d’avoir pu découvrir le secret sous-jacent de ses symptômes. C’est en observant la signification subjective de faits objectifs que Freud peut alors confirmer son hypothèse de l’étiologie sexuelle de l’hystérie.

A. Gibeault a choisi de relater ce célèbre cas pour nous souligner les enjeux thérapeutiques du premier entretien relatifs à la relation transféro-contre-tranférentielle inconsciente entre Freud et Katharina. Freud n’a jamais revu la patiente, mais A. Gibeault qui a pu se rendre dans la fameuse auberge, nous raconte la suite de l’histoire figurée sur les murs de l’auberge : Katharina se serait mariée et aurait eu plusieurs enfants dont certains par la suite auraient consulté Freud.
Cet entretien illustre les trois fonctions que Freud a attribuées à la psychanalyse : un procédé d’investigation des processus mentaux, une méthode thérapeutique fondée sur cette investigation et enfin une série de conceptions psychologiques formant progressivement une nouvelle discipline scientifique. La formule de J.-L. Baldacci et C. Bouchard 2 en reprend l’essence même : « investiguer, c’est déjà traiter en fonction d’un savoir en mouvement ».

Une rencontre donc, à l’issue de laquelle il s’agit de pouvoir estimer la qualité de l’économie psychique du patient et de pouvoir poser une indication éventuelle de traitement psychanalytique, traitement qui aura lieu dans certains dispositifs institutionnels avec l’analyste traitant distingué de l’analyste consultant.

Dans son article de 1985,
E. Kestemberg 3 a élaboré six paramètres à identifier au cours de l’entretien :
– Le degré de liberté intérieure du patient ;
– Les possibilités de mobilisation psychique ;
– La qualité de l’histoire personnelle rapportée ;
– Les capacités fantasmatiques et oniriques ;
– La répartition entre investissements narcissiques et objectaux ;
– La présence d’éléments contre-transférentiels chez l’analyste.

Elle insiste sur la nécessité de repérer que l’entretien, qui est toujours « premier » pour le patient, puisse lui permettre d’ouvrir une nouvelle voie : « Au plaisir de la répétition se sera substitué le plaisir de la nouveauté, ou encore, plus modestement, l’intéressé aura pu découvrir qu’il est capable d’éprouver d’autres plaisirs que celui de la répétition ».

Mais alors, qu’en est-il de la particularité de ce premier entretien avec un patient au fonctionnement psychotique ?

Si dans le premier temps de sa réflexion, Freud pensait que dans la psychose, le déni de la réalité était total, il est ensuite radicalement revenu sur cette idée 4 : « Le problème de la psychose serait simple et transparent si le détachement du moi d’avec la réalité pouvait se réaliser sans reste. Mais cela semble ne se produire que rarement, peut-être ne se produire jamais… On apprend par ce que communiquent des patients après leur guérison qu’à l’époque, dans un coin de leur âme, ainsi qu’ils s’expriment, une personne normale se tenait cachée qui laissait défiler devant elle, comme un observateur désintéressé, les fantasmes morbides ».

Cette affirmation est sans doute l’une des plus importantes en ce qui concerne la relation psychanalytique avec les patients psychotiques, car malgré les profondes angoisses d’anéantissement qui les submergent, elle ouvre la voie à une possibilité de travail avec la partie non psychotique du Moi.

Selon E. Kestemberg, on ne peut cependant pas parler de la possibilité d’un réel transfert, qui supposerait une différenciation des imagos, mais plutôt d’un investissement transférentiel, en lien dans ce cas à une imago archaïque bisexuée de la mère. Pourtant, cet investissement semble le garant d’un lien objectal à minima même s’il s’agit là d’une imago terrifiante, qui peut rendre l’atmosphère de l’entretien parfois difficile à supporter.

Comment favoriser le processus de symbolisation tout en évitant au patient de se sentir menacé ? Avec un patient présentant un fonctionnement névrotique, c’est d’abord, selon M. de M’Uzan 5, la valeur du silence qui permet la qualification d’un objet transférentiel. Avec le transfert sur l’analyste des imagos parentales, l’analyste passe du statut de personne à celui de personnage. Puis, la relance associative porteuse d’une invitation à fantasmer (« qu’est-ce que vous imaginez ? ») s’avère souvent utile. Enfin, l’interprétation de la défense doit prévaloir sur celle de contenu nous dit-il, telle sa fameuse intervention devenue classique, dès lors qu’un patient en avait fini avec les premiers temps de présentation de ses symptômes et de ses troubles : « Et alors, qu’est-ce qu’on peut dire une fois qu’on a tout dit ?». Bien souvent, ce type d’interprétation de la défense, qui suit éventuellement un long temps de silence de l’analyste, déclenche en effet un moment mutatif associé à une levée du refoulement.

Toutefois, avec un patient présentant un fonctionnement psychotique, un silence trop prolongé risque de le laisser seul face à la menace d’être envahi par l’objet. Tout l’art se situe alors dans la capacité de l’analyste à adapter ce temps de silence pour ne pas laisser le patient exposé à une perte des limites du Moi. Ce n’est que dans un second temps, une fois acquise la capacité du Moi à lier l’excitation pulsionnelle dans des représentations, qu’il sera possible d’interpréter les fantasmes inconscients et le transfert, sans risque d’effraction.

L’objectif qui doit guider l’entretien est celui de réussir à faire passer le patient d’un investissement de l’analyste en tant que personne réelle à un investissement de l’analyste dans sa fonction analytique. C’est ce que J.-L. Donnet 6 nomme : passer de la séduction de la personne à la séduction de la méthode. Ce, afin de lui permettre alors d’être en capacité d’investir par la suite celui ou celle qui sera son thérapeute traitant.

Cependant, l’alliée la plus importante du premier entretien semble se situer dans la fonction tiercéisante de l’institution. Elle peut être matérialisée par les murs mêmes du centre, les premières conversations téléphoniques menées par le patient avec le secrétariat, un travail d’accompagnement et de soutien réalisé par un psychiatre extérieur, etc. Ce recours à un Personnage tiers au sens d’E. Kestemberg permet d’alléger l’intensité affective de la rencontre avec un objet unique et donc d’éloigner le risque pour le patient de ne pas s’engager dans un traitement analytique.

Il va sans dire qu’A. Gibeault a pris soin d’illustrer sa conférence avec l’exemple clinique d’un patient qu’il a reçu au Centre. Nous l’avons suivi pas à pas, tout au long du processus qui a eu cours dans cette véritable rencontre.

Vanessa Martinache
Psychologue clinicienne
Psychanalyste, membre de la SPP

Références bibliographiques

1. Freud S. (1895), Etudes sur l’hystérie.
2. Baldacci J.-L. and Bouchard C. (1998), La rencontre analytique, proposition d’un parcours, in RFP, t. 62.
3. Kestemberg E. (1985) Les enseignements du « premier entretien », in Psychanalyse et psychose, n°10.
4. Freud S. (1938 [1940a]), Abrégé de psychanalyse.
5. De M’Uzan M. (2015), Introduction à la théorie de l’entretien préliminaire, in L’inquiétude permanente.
6. Donnet J-L et de M’Uzan M. (1998), La rencontre analytique, in RFP, t. 62.