Cessons de nous indigner !
Éditorial

Cessons de nous indigner !

Nous ne cessons d’être interpellés par les nouveaux phénomènes de société qui se précipitent à un rythme accéléré. Face à ces modifications radicales, qui nous rendent ce monde de plus en plus étranger et les nouvelles générations de plus en plus incompréhensibles, nous avons tendance, comme le disait le philosophe Clément Rosset, récemment disparu, à nous indigner au nom d’un principe moral, plutôt que de prendre en compte et d’analyser un réel qui ne plaît pas. L’indignation évite de penser.

Par exemple, la robotique dans le domaine des soins aux personnes dépendantes suscite des réactions d’horreur : « Comment ! il n’y aura plus d’humains !». Mais bien des personnes en situation de handicap se réjouissent de cette perspective, car cela réduira le nombre d’assistants de toutes sortes qui défilent chez eux, intrusant leur intimité. On n’a pas forcément envie de faire la conversation tous les matins à une personne qui vient vous mettre vos chaussettes.  

L’intelligence artificielle (IA) aussi suscite effroi et rejet. Cependant, pour appréhender et traiter les données complexes du monde actuel, notre seule intelligence individuelle ne suffit pas. Déjà, nous bénéficions d’une extension de notre cerveau avec nos portables, dont nous ne pouvons plus nous passer.
En médecine, avec la numérisation des données de santé, l’IA pourra délivrer des diagnostics médicaux plus fiables qu'un médecin. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut supprimer le médecin, mais qu’il fera partie, comme nous tous et dans tous les domaines, d’un réseau qui dépasse et enrichit nos compétences personnelles. Autre blessure narcissique. Confrontés à ces machines, ballotés entre déshumanisation et transhumanisme, si nous voulons être citoyen du 21ème siècle, et psychanalyste, utilisons nos outils de pensée – ou forgeons-les – afin de penser cette situation complexe, plutôt que de la rejeter par l’indignation. Cela implique une remise en question douloureuse d’une psychanalyse trop orthodoxe, l’ouverture aux nouvelles théories et aux apports des autres disciplines.

A cette condition, la psychanalyse a encore de beaux jours devant elle.