Exposition : David Hockney
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Exposition : David Hockney

Courez-y, si vous ne l’avez déjà fait et pendant qu’il est encore temps, avant que cette exposition grandiose, venant de la Tate de Londres, n’aille à New York au Metropolitan.

Les grandes œuvres sont peut-être celles qui nous posent sans cesse des questions. C’est le cas avec Hockney. C’est pourquoi on peut passer beaucoup de temps dans l’exposition, ou y revenir, tant chaque œuvre nous arrête et nous interroge. Avec Hockney, l’évidence devient une question. Un paysage, un visage, un intérieur, une piscine, quoi de plus évident ? Et pourtant, avec lui tout devient énigmatique. Qu’est-ce que cela vient faire là ? Ce bouquet de tulipes ? Ce nageur dans une piscine ? Et pourtant. Que serait une piscine sans nageur ? Que serait un nageur sans piscine ? Mais ici ce rapport est déconstruit, suscitant presque un sentiment d’inquiétante étrangeté. Qui est-il ? Que fait-il là ? On retrouve ce sentiment dans la salle des doubles portraits. Tous magnifiques, mais tous troublants. Sur chaque tableau, il y a deux personnages, dans un décor très stylisé, dépouillé, presque vide, à la Hopper. Peu d’objets, mais on sent que chacun a une signification qui nous échappe et qu’on tente de décoder, ou à défaut de deviner.

C’est dire qu’on ne s’ennuie pas à l’exposition Hockney ! Il nous met au travail, comme le fait Bion avec ses lecteurs à qui il ne donne pas des idées toutes faites mais qu’il met en position de recréer ses idées. Les personnages ne semblent avoir aucun lien entre eux. Un peu comme chez Balthus. Ils s’ignorent ? Chacun dans sa bulle ? Qui sont ces couples ? Il y a en particulier, le portrait de ses parents, My parents. Figés, la mère, assise, regarde le peintre, son fils ; le père au contraire semble indifférent à sa présence, plongé dans un livre. Il y a quelques objets : le père lit un ouvrage sur la photographie, dans l’étagère il y a un livre sur Chardin et A la Recherche… de Proust, que Hockney a passé dix-huit mois à lire à l’âge de vingt ans. Accroché au mur entre les deux parents, il y a un cadre-miroir, sur lequel est attaché une carte du tableau de Fra Angelico, Le baptême du Christ.

Dans une première version, David Hockney s’était représenté lui-même dans ce miroir. Il l’a quitté et remplacé par un tableau. Modestie ? Ou est-il sorti du tableau pour peindre la scène ? Le premier tableau peint par Hockney est un portrait de son père, qu’il aimait beaucoup. Curieusement, dans cette œuvre de jeunesse, il y a déjà un cadre, dont on ne sait pas si c’est un tableau ou un miroir, car il se situe, presque caché, derrière le père.

Dans Parc des Sources, Vichy, David Hockney a peint deux amis assis sur des chaises et une troisième chaise vide, la sienne, qu’il a quittée. Passer d’une position à une autre afin d’avoir une vision polyfocale. Dedans ou dehors ou les deux à la fois, c’est justement l’enjeu des perspectives inversées auxquelles est consacrée une grande salle. « Quand vous renversez la perspective, ce que Picasso a fait avec le Cubisme, l’observateur peut voir toutes les faces d’un même objet, il se déplace dans l’espace et se trouve partout au même instant ». La vision est mobile et séquentielle, et la grande question pour les peintres est de rendre cette mobilité, ce que ne peut pas faire la photographie, qui ne saisit qu’un instant. Or on ne peut pas percevoir l’espace sans le temps, dit Hockney, dans un petit texte très intéressant intitulé Picasso. « Votre vue est composée de milliers d’images changeantes que l’esprit synthétise en un tout ». La vidéo intitulée Les Quatre Saisons nous fait plonger dans les quatre saisons d’un même paysage, au moyen de technologies numériques très sophistiquées. Et il est vrai que cela crée un effet magique.

A 80 ans, Hockney continue à se passionner – et à pratiquer – toutes les nouvelles technologies au fur et à mesurer qu’elles apparaissaient sur le marché, fax, photocopieurs, i-phones, i-pads, dont il dit qu’elles renouvellent le regard. Il y a le plaisir esthétique, des couleurs, des compositions sophistiquées, des ambiances. Mais il y a aussi le plaisir intellectuel d’être avec une pensée complexe, nourrie par une immense culture. Hockney est un penseur qui pense en images, sur « la façon de représenter l’espace à l’intérieur duquel nos esprits et nos corps se déplacent », question fondamentale de la peinture.

Depuis presque 80 ans, il a « toujours été obsédé par le fait de voir ». Et à onze ans, lui qui était d’un milieu modeste, a décidé de devenir peintre. Comment a pu naître une telle vocation ? C’est toujours une question mystérieuse. Un petit détail biographique : son père, qui n’était pas artiste, peignait cependant des couchers de soleil sur les portes de la maison familiale. Et Hockney évoque l’immense plaisir de poser de la peinture sur une surface. « Je pourrais passer une journée entière à peindre une porte d’une seule et même couleur ».