Exposition : Les confinés au musée !
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Exposition : Les confinés au musée !

Puisque depuis le 15 mars nous ne pouvons plus aller au musée, les musées sont venus à nous. Ils ont déployé d’énormes efforts et beaucoup d’inventivité pour que nous ne soyons pas privés d’œuvres d’art pendant le confinement et ils se préparent à ouvrir progressivement au cours de l’été en tenant compte des contraintes dues à la crise sanitaire.

Mais en attendant, on peut visiter en numérique les expositions passées, celles qu’on a loupées à cause des grèves et du confinement. La visite se fait souvent en compagnie des commissaires qui les ont organisées, c’est-à-dire en très bonne compagnie. Ainsi, on visite Léonard de Vinci au Louvre avec les deux conservateurs qui ont réalisé cette exposition après dix années de recherches sur l’artiste. Et c’est passionnant. Ils montrent que l’intérêt de Léonard pour toutes sortes de domaines variés n’était pas seulement le signe d’une curiosité dévorante, mais était entièrement au service de l’objectif que le peintre s’était fixé depuis son enfance : devenir le plus grand peintre de tous les temps. Pour cela il lui fallait tout connaître. Et il y a réussi.

On peut continuer, toujours avec Léonard de Vinci, au Château de Chantilly, et visiter avec le curateur de l’exposition La Joconde nue, le mystère enfin dévoilé, qui n’a pas eu le temps de s’ouvrir, comme prévu le 2 juin. Elle rassemble un remarquable ensemble de peintures, venues du monde entier, autour d’un carton mystérieux appartenant au Musée Condé, représentant une femme nue, qui serait la Joconde, d’après de longues recherches scientifiques.

A Beaubourg, on peut se rattraper si on n’a pas pu voir l’exposition Christian Boltanski. Faire son temps, avec une visite guidée par Bernard Blistène, directeur du musée et commissaire de l’exposition, qui éclaire cette exposition, que l’artiste a voulu délibérément un peu fouillie et parfois assez obscure. Puis, pour Francis Bacon, le commissaire de l’exposition nous promène le long des œuvres et des textes littéraires qui les ont inspirés, puisque tel est le thème que le musée a choisi. Cela permet au moins de se rendre compte qu’il y avait là des œuvres exceptionnelles. Autre artiste dont on peut voir les œuvres actuellement sur Internet : David Hockney. C’est une histoire étonnante. Le peintre très âgé est lui-même confiné dans une maison normande qu’il a achetée après avoir découvert la Normandie en 2008. Il venait de s’y installer en mars, avec deux assistants, pour peindre l’éclosion du printemps dans cette région à laquelle il s’est attaché, émerveillé par les nombreux arbres fruitiers, qu’il a voulu peindre au moment de leur floraison. Sur une photo étonnante, on voit l’artiste, assis à sa table de travail dans le jardin, avec son petit chien, où il produit jour après jour, des œuvres éblouissantes de couleur, de lumière, de vie. Mais elles ne seront exposées qu’à la rentrée.

La Fondation Vuitton propose une visite en vidéo et en avant-première de l’exposition consacrée à Gilbert et George There were two young men (qui devrait s’ouvrir le 3 juillet), œuvre datant de 1971, jamais exposée depuis. On voit les deux artistes, devenus des messieurs d’âge mur, dans la grande salle déserte du musée, tapissée de ces immenses dessins au fusain. Ils redécouvrent eux-mêmes cette œuvre après quarante ans et expliquent, dans un anglais châtié, les enjeux de cette époque.

L’avantage de ces visites virtuelles, c’est qu’on n’est pas gêné par la foule, qui ces temps derniers était devenue un véritable fléau, empêchant de voir les œuvres dans des conditions acceptables. L’inconvénient évidemment, c’est qu’on est privé du contact visuel et sensoriel avec l’œuvre qui – on ne le dira jamais assez fort – est absolument irremplaçable. D’ailleurs on peut se demander ce que deviendra notre sens esthétique si pendant longtemps nous ne pourrons voir les œuvres pour de vrai. Mais si les grands musées sont toujours fermés, certains petits musées peuvent ouvrir. Et c’est l’occasion de découvrir des joyaux méconnus, que nous avions tendance à ignorer ou négliger, tant la médiatisation des expositions vedettes exerçait une force d’attraction. Le Musée Cernuschi, qui présente une très belle collection d’arts asiatiques, dans un hôtel particulier, petit bijou qui vient d’être rénové. Le Musée Marmottan, avec l’exposition Cézanne et les maîtres, rêve d’Italie, qui est prolongée jusqu’au 3 janvier 2021. Le Musée Jacquemart André qui présente Turner, peintures et aquarelles de la Tate, jusqu’en janvier 2021.

Et puis il y a de nombreuses galeries, à Paris ou dans les villes de province, où on peut découvrir des artistes, souvent d’un niveau muséal. Elles sont ouvertes, pouvant répondre plus facilement aux exigences des gestes barrières. Ce serait donc l’occasion de changer nos habitudes, de partir à la découverte d’artistes moins connus, d’échapper à la médiatisation excessive des grands événements culturels, souvent liés au marché de l’art. Il faut tout revoir à la baisse. Il faut tout réinventer.

Le Louvre ouvre le 6 juillet. La visite sera probablement compliquée, et limitée, mais ce sera une expérience exceptionnelle de visiter le plus grand musée du monde sans ou avec peu de touristes. Pour ceux qui ne se sont pas réfugiés dans leur maison de campagne, on sera comme les Grecs qui ont ces jours-ci le Parthénon pour eux tout seuls, ou les Vénitiens qui regardent avec étonnement les petits poissons qui nagent dans l’eau transparente des canaux.