Picasso primitif
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Picasso primitif

Si, depuis quelque temps, les expositions du Musée du Quai Branly étaient un peu décevantes, cette fois-ci, avec ce Picasso primitif, on ne peut qu’être enthousiaste. On se disait que Picasso, on le connaît très bien, et qu’une exposition supplémentaire n’apporterait rien de plus. Et bien, non. Cet aspect de la création de Picasso, son rapport à l’art primitif, c’est-à-dire les arts extra-occidentaux, d’Afrique, d’Océanie, des Amériques et d’Asie, pourtant bien connu, n’avait pas encore été exploré de manière aussi approfondie. Pour le commissaire de l’exposition, Yves Le Fur, le primitif, c’est la part primaire, primordiale de l’acte créateur. Avec ce fil conducteur, qui fait référence aussi à la psychanalyse, il a réussi une exposition somptueuse, très bien documentée, un peu trop peut-être. Mais on ne va pas se plaindre d’une telle richesse documentaire ! Toute la première partie, chronologique, présente les documents, lettres, objets et photographies relatives aux œuvres, année par année, de 1900 à 1974, un an après sa mort, attestant dans le détail de la provenance et du destin de chaque objet, les étapes, les résonances, les influences. Si on voulait tout lire, il faudrait y retourner plusieurs fois, ou encore acheter le catalogue, qui est un très bel objet. Mais on peut se contenter de regarder la fascinante collection de photos qui montrent comment ces œuvres primitives étaient présentes dans les ateliers successifs de Picasso, comment elles l’entouraient de leur présence puissante et magique.

La suite de l’exposition, intitulée Archétypes, Métamorphoses, le Ça, présente 300 œuvres dont 107 de Picasso. On est ébloui par la beauté de ces œuvres, aussi bien celles de Picasso que les sculptures primitives, qui proviennent du fonds du Trocadéro, (devenu ensuite Musée de l’Homme) dont le musée Branly a hérité. C’est là, en 1907, que Picasso a découvert cet art qui l’a tant inspiré.

« Quand je suis allé au Trocadéro, c’était dégoûtant. Le marché aux Puces. L’odeur. J’étais tout seul. Je ne partais pas. Je restais. Je restais. J’ai compris que c’était très important : il m’arrivait quelque chose, non ? (…) J’ai compris pourquoi j’étais peintre. » Bien plus qu’une découverte exotique, c’est une révélation quasi-mystique. « Mes plus grandes émotions artistiques, je les ai ressenties lorsque m’apparut soudain la sublime beauté des sculptures exécutées par les artistes anonymes de l’Afrique. Je me hâte d’ajouter que cependant, je déteste l’exotisme… ». En effet, pour Picasso, ces artistes lointains ne sont pas des étrangers exotiques, mais des collègues proches, explorant comme lui toutes les figurations possibles du corps et de la figure humaine. La rencontre va au-delà d’une recherche formelle, elle ouvre sur une dimension sacrée.

« Tout seul dans ce musée affreux, avec des masques, des poupées Peaux-Rouges, des mannequins poussiéreux. Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là, mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! » Picasso disait que les masques lui faisaient peur.

« Je me suis forcé à rester, à examiner ces masques, tous ces objets que des hommes avaient exécutés dans un dessein sacré, magique, pour qu’ils servent d’intermédiaires entre eux et les forces inconnues hostiles qui les entouraient, tâchant ainsi de surmonter leur frayeur en leur donnant couleur et forme. ». Il est impressionnant de voir combien l’exposition fait ressentir au spectateur cette dimension sacrée, qui plonge ses racines dans l’inconscient.