Exposition virtuelle : Matisse, comme un roman
Article

Exposition virtuelle : Matisse, comme un roman

Il nous faut donc patienter encore avant de pouvoir entrer dans les musées et de regarder les œuvres pour « de vrai ». Ainsi la grande exposition consacrée à Matisse à Beaubourg qui devait se tenir du 21 octobre 2020 au 22 février 2021, a dû fermer ses portes le 30 octobre 2020 en raison du deuxième confinement. Cependant le musée a mis en ligne une visite guidée virtuelle autour de dix œuvres en treize minutes, conduite, avec clarté et compétence, par la commissaire de l’exposition, Aurélie Verdier.

Treize minutes, c’est court ! Néanmoins, on apprend beaucoup de choses lors de cette visite, et la caméra nous montre des œuvres magnifiques. On n’en voit que dix, mais les dix que l’on voit sont des chefs-d’œuvre. Et on devine toutes les autres de cette exposition très complète, qui réunit plus de deux cent-trente œuvres et soixante-dix documents et archives.

C’est à l’occasion du 150ème anniversaire de la naissance de Matisse (1869 – 1954), que le Centre Pompidou lui rend hommage avec cette exposition. Nous suivons l’artiste depuis ses débuts, tard venu à la peinture dans les années 1890, jusqu’à la libération complète de la ligne et de la couleur avec les gouaches découpées réalisées au crépuscule de sa vie. L’œuvre de Matisse est complexe et multiple et son trajet peut en effet, comme le dit le titre de l’exposition, s’écrire comme un roman. L’idée vient de Louis Aragon, qui s’était lié d’amitié avec le peintre, lors de leur séjour à Nice, et a écrit un texte, Henri Matisse, roman. Le roman de l’exposition se déroule en neuf chapitres, selon un parcours chronologique, qui sont autant d’étapes et d’aspects de cet artiste majeur du XXème siècle, ami et rival de toujours de Picasso.

Le fil rouge de l’œuvre de Matisse, c’est une réflexion sur la figure dans l’espace. Une femme dans un décor, où le décor (nappe, tenture, rideau) prend la première place. Les éléments décoratifs se juxtaposent et se superposent, sans aucune hiérarchie des plans, comme dans le magnifique Intérieur aux aubergines.

Regardons la fameuse Blouse Roumaine. De quoi s’agit-il ? Une femme qui porte une blouse ? Non. Une blouse qui est portée par une femme. Il faut évoquer ici le rapport de Matisse aux textiles, lui qui est né à Cateau-Cambrésis, petite ville du Nord, qui est à cette époque un haut lieu de fabrication de cachemires. Toute sa vie, Matisse collectionne les tissus et les vêtements exotiques avec une fascination passionnée. Il vivait entouré de manteaux, robes et colifichets, qui apparaissent dans nombre de ses tableaux. On ne sait plus ce qui est premier : le vêtement ou le corps. On ne sait plus si le vêtement est destiné à la femme ou la femme au vêtement. Avec l’impression que le vêtement pourrait bien se passer de la femme, que celle-ci n’est qu’accessoire. Son visage d’ailleurs est secondaire : il peut être avec ou sans traits, peu importe. Il s’agit en quelque sorte de vêtements en quête d’un corps. Ces tissus, n’évoquent-ils pas la peau de la mère ?

Un autre thème récurrent chez Matisse est celui des fenêtres. Elles ont chez Matisse une fonction très particulière, le renversement du dedans/dehors dans ses tableaux, ce qui pour nous, psychanalystes, évoque l’articulation entre l’enveloppe et l’espace interne. Il y a un jeu avec la profondeur et l’aplatissement. La table n’empêche pas de voir ce qu’il y a derrière ou en dessous d’elle. Une porte n’empêche pas de voir ce qu’elle cache. Les rideaux sont ajourés laissant transparaître les fenêtres qui ouvrent sur le ciel méditerranéen, le ciel de Provence, ces paysages du Sud qui ont été un révélateur pour Matisse.

Puis, à la fin de sa vie, après une grave opération qui l’a laissé très diminué, il invente les papiers colorés découpés, qu’il réalise avec l’aide omniprésente de Lydia Délectorskaya, le modèle et fidèle assistante de ses dernières années.

L’exposition se termine avec les chefs-d’œuvre de la fin de cette longue vie, créatrice jusqu’au bout. Les découpages pour Jazz, la série des Nus Bleus et les projets de vitraux pour la Chapelle du Rosaire, destinés aux sœurs dominicaines de Vence, qu’il avait connues parce que l’une d’elles était son infirmière pendant sa maladie.

Ce qui reste de notre perception de ces tableaux, c’est surtout la magnificence des couleurs, car on sent dans ces œuvres la grande joie de Matisse à utiliser des couleurs qui irradient sur la toile, lui qui disait que chaque tableau était un « bloc lumineux ». Couleurs vives qui prennent forme dans les fleurs, les fruits, les oiseaux, les arabesques, les poissons, les formes volantes, les tissus et les papiers peints.