Hyperréalisme. Ceci n’est pas un corps
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Hyperréalisme. Ceci n’est pas un corps

Musée Maillol – Jusqu’au 5 mars 2023

Cette exposition est une découverte. On y découvre la sculpture hyperréaliste qu’on avait déjà vue, mais de manière dispersée. Le Musée Maillol propose une véritable réflexion philosophique, sur la question : « Qu’est-ce qu’un corps ? » L’intitulé de l’exposition « Ceci n’est pas un corps » fait référence à l’œuvre célèbre de Magritte « Ceci n’est pas une pipe ». 

Les sculptures hyperréalistes exposées dans le Musée Maillol provoquent un choc chez le spectateur, à la fois fasciné et effrayé. L’ambiance est inquiétante. Au détour d’un couloir, il peut se trouver nez à nez avec un personnage qui semble être présent réellement dans la salle. Il peut se demander si c’est bien une sculpture ou un être vivant. On remarquera que les spectateurs veulent toucher les sculptures. Est-ce pour entrer en contact avec elles ? Pour savoir de quoi elles sont faites ? Ou pour vérifier si elles sont vivantes ou inanimées ?

L’hyperréalisme est un courant artistique créé dans les années 1960 aux États-Unis par des artistes qui voulaient rompre avec la domination de la peinture abstraite et réintroduire la dimension humaine, par une représentation minutieuse du corps humain. Ils expérimentent des techniques diverses pour rendre au plus près la musculature, la texture, le grain de la peau, les rides et les plis. La plupart des œuvres exposées représentent une personne bien reconnaissable qui existe ou a existé. Mais la fabrication artificielle en fait aussi des prototypes. L’hyperréalisme conjugue l’individualisme et l’universalité. On a l’impression d’être face à un être humain tout en sachant que ce n’est pas vraiment un être humain. D’où vient le malaise ? On se rapproche du transhumain et en ce sens — là les œuvres s’inscrivent dans une philosophie très contemporaine.

Au troisième étage, où débute l’exposition, quelques œuvres hyperréalistes côtoient les dessins de Maillol de la collection permanente. Cette mise en perspective est révélatrice de l’enjeu de l’exposition. Des sculptures hyperréalistes, en effet, on peut dire que « Ceci n’est pas un corps ». Mais des dessins de Maillol, on dira « Ceci est un corps ». Il n’y a pas d’ambiguïté. Ce sont des corps, de très beaux corps, dans la tradition classique. 

L’artiste américain Duane Hanson (1925-1996) est l’un des pionniers de l’hyperréalisme. On s’arrêtera à son œuvre Two Workers. Duane Hanson, qui s’intéresse à la classe moyenne, a pris comme modèle deux employés d’un musée de Bonn, en Allemagne, le concierge et un ouvrier croate. Il a moulé leurs corps et les modèles lui ont fourni leurs propres vêtements ainsi que des cheveux et des poils leur appartenant.

Ce premier temps du mouvement hyperréaliste dénonce la représentation idéalisée du corps parfait que véhiculent la publicité et la société de consommation. « Ce ne sont pas des corps idéalisés, les personnages peuvent être âgés, obèses, ils peuvent être des marginaux, des représentants des classes ouvrières », dit Léa Rangé, responsable de l’exposition au Musée Maillol. Ces œuvres ne sont pas des mannequins de cire de chez Madame Tusseau ou du Musée Grevin, même si on a pu faire cette comparaison, qui est un amalgame qui nie le sens des œuvres. D’ailleurs, il y a un rapport évident entre hyperréalisme et surréalisme, qui évoque une autre réalité, au-delà du sens commun.

L’une des plus belles œuvres de l’exposition est peut-être Woman and Child de Sam Jink. Une dame âgée, ridée, les yeux fermés, tient dans ses bras un nouveau-né, qui doit avoir à peine quelques jours. Faite de soie, de silicone et de cheveux humains, la sculpture est fascinante. 

Pour Sam Jinks, c’est le cycle de la vie. De la naissance à la vieillesse. Cette femme tient dans ses bras sa propre naissance. Il se dégage de cette sculpture une douce affection, un sentiment d’intimité. L’artiste raconte que cette femme est une amie de la famille et que pour le nourrisson il s’est inspiré de ses propres enfants.

On admire la virtuosité technique de ces artistes ; on se demande d’où vient ce souci extrême du détail. Pourquoi ces artistes s’obstinent-ils à créer un corps le plus réaliste possible ? Il y a chez eux une exacerbation de la perception. Les artistes hyperréalistes sont des hyperperceptifs. Pour réaliser ces personnages « plus vrais que nature », les techniques sont très variées : silicone, résine, bronze, plâtre, marbre ou en latex, nues ou vêtues. Certaines sont réalisées à partir d’un moulage, pour rendre au plus près tous les détails du corps. Quelques artistes ont fait des moulages de leur propre corps, réalisant un autoportrait.

Les nombreuses vidéos qui accompagnent les œuvres sont très éclairantes. On voit chaque artiste travaillant à une sculpture et qui parle de ses recherches. Il faut voir Sam Jinks implanter avec une incroyable minutie à l’aide d’une petite pince à épiler les cheveux de la dame qui tient le bébé.

En sortant de l’exposition, on lit une affiche qui propose une visite nue aux visiteurs qui le souhaitent, les 10, 11 et 17 novembre 2022, en collaboration avec la Fédération Française de Naturisme.