Introduction
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Introduction

C’est évidemment un immense plaisir que de pouvoir offrir aux lecteurs du Carnet PSY les actes du deuxième congrès Bébés-Adosorganisé conjointement par le groupe WAIMH-Francophone que je préside, et par le groupe ISAPP-Francophone présidé par Alain Braconnier, avec le soutien amical et efficace de Manuelle Missonnier et de son équipe de la revue Le Carnet PSY. Le premier congrès de ce type s’était tenu à la Maison de la Chimie en 2004, celui-ci s’est tenu en 2006 à la Maison de la Mutualité, et l’un comme l’autre ont connu un vif succès dont nous nous réjouissons bien évidemment, mais qui demande néanmoins à être interrogé.

Il me semble tout d’abord que cette problématique du rapprochement entre le bébé et l’adolescent était en fait, depuis quelques années déjà, dans… l’air du temps ! Certes, Alice Doumic-Girard, merveilleuse clinicienne du tout-petit, avait, dès les années soixantedix, demandé à Pierre Male, grand clinicien de l’adolescent, de l’aider à mettre en forme une théorie de sa pratique des psychothérapies du premier âge, mais l’idée de possibles zones de rencontre entre la dynamique psychique des bébés et celle des adolescents était alors, néanmoins, restée quelque peu en jachère.

Il aura donc fallu tout l’essor plus récent de la psychiatrie du bébé et de la psychologie du développement précoce pour que cet axe de réflexion prenne, enfin, tout son sens, les acquis de ces nouvelles disciplines permettant désormais, effectivement, une relecture des processus psychiques de l’adolescence, tandis que les progrès de la psychiatrie de l’adolescence ouvraient, de leur côté, sur une analyse revisitée des conditions de l’accès des adolescents à leur parentalité future.

C’est donc seulement depuis peu que les conditions se sont trouvées véritablement réunies pour l’avènement d’une réflexion officielle sur les points de convergence possibles entre le fonctionnent des bébés et celui des adolescents, ce qui, à n’en pas douter, a trouvé, alors, un réel écho auprès de nombreuses équipes confrontées à ces deux champs de la réflexion et de la pratique. Par ailleurs, il importe de noter que les liens d’amitié exceptionnels qui existent depuis longtemps entre Manuelle Missonnier, Alain Braconnier et moi-même et qui ont, bien entendu, permis l’organisation même de ces deux congrès, leur ont aussi permis de se dérouler dans une atmosphère de simplicité, de convivialité, d’enthousiasme et de profondeur qui a, me semble-t-il, pu être notée par tous, et qui a, certainement, beaucoup contribué à l’impact de ces deux manifestations.

Quoi qu’il en soit, et quelles que soient les circonstances qui ont permis à ces deux congrès de voir le jour et de se tenir avec le succès que l’on sait, leur thématique commune reconnaît désormais une légitimité certaine, et nous prenons acte des nombreuses réunions qui ont eu lieu, ici ou là, sur ce thème depuis 2004, constatation qui nous incite à penser que notre initiative avait sa raison d’être, et qu’elle répondait bien aux attentes de nombre de nos collègues. Mais, ceci suffit dans doute pour les satisfecit, et l’important est maintenant d’aller plus loin dans la réflexion. Si l’on veut schématiser les choses dans l’après-coup, ce qui risque toujours d’être un peu artificiel ou simplificateur, il est tout de même peut-être possible de dire que le congrès de 2004 – A corps et cri – s’était principalement centré sur les mécanismes de l’ontogenèse psychique susceptibles d’éclairer la dynamique de l’adolescence, en tenant compte de leur réactivation à cette époque si particulière de la vie (l’accès à l’intersubjectivité, les destins de l’originaire …), tandis que ce congrès de 2006 – Crise(s) et chuchotements – aura eu plutôt pour centre de gravité la question de l’agressivité et de la destructivité à l’œuvre, on ne le sait que trop, tant chez les bébés que chez les adolescents. Ceci ne signifie certes pas que l’agressivité est seconde, loin s’en faut ! D.W. Winnicott, comme S. Freud lui-même, nous ont bien appris, en effet, que l’agressivité est bel et bien première, mais peut-être fallait-il d’abord que la dynamique de ces premiers congrès qui, nous l’espérons, inaugureront une série de manifestations régulières une fois tous les deux ans, se voit d’abord narcissiquement établie de manière suffisamment solide, en se consacrant aux processus de liaison avant que de pouvoir se pencher sur les processus de déliaison, les déliaisons s’avérant tout de même toujours aussi dangereuses que les liaisons, au risque de contredire sur ce point, avec Raymond Cahn, le fameux Pierre Choderlos de Laclos…

Autrement dit, sans doute faut-il d’abord que les processus et les phénomènes existent suffisamment, avant qu’on puisse se pencher sur les forces internes qui les menacent. Personnellement, je verrais volontiers, là, une autre clef pour la compréhension du succès de ces deux premiers congrès, en ce sens que les choses nous touchent et nous parlent d’autant plus que les contenants et les contenus se trouvent en écho structural réciproque. C’est ce que nous a appris Didier Anzieu dans sa réflexion sur l’auto-analyse de S. Freud en soulignant, au-delà des liens qui unissent l’œuvre de S. Freud aux différentes étapes de sa vie, le parallèle qui existe, plus profondément, entre la dynamique de la découverte freudienne en tant que telle et l’objet même de son étude, à savoir l’instauration et le développement du fonctionnement de la psyché, le déploiement chronologique de la découverte reflétant quelque chose du mouvement d’instauration de la psyché, ou bien, autre exemple, le travail d’analyse du rêve valant lui-même comme figuration symbolique d’appropriation oedipienne du contenu du corps maternel.

C’est ce que nous a aussi appris Paul Ricœur quand il montrait la nécessaire dialectique entre le “temps du récit” et le “temps de l’action” et c’est ce que l’incroyable et planétaire célébrité du Petit Prince de A. de Saint-Exupery exemplarise à merveille, puisque le récit du Petit Prince demande sept jours pour raconter son voyage en sept étapes, de planète en planète … Saisissant effet de redoublement entre contenant et contenu !

C’est donc, peut-être, cette même dialectique entre contenant et contenu qu’on retrouve aujourd’hui dans le mouvement de ces deux premiers congrès, et qu’il faudra que nous analysions davantage encore pour préparer et organiser le troisième qui aura lieu en 2008. Pour l’instant, le lecteur retrouvera ici les apports des principaux intervenants de 2006, au sein des diverses tables rondes qui avaient été organisées sur différents thèmes (la destructivité, les clivages, l’esthétique de la cruauté, la narrativité du traumatisme …), avec le souci de faire toujours dialoguer un spécialiste des bébés et un spécialiste des adolescents ou des jeunes adultes.

Un certain nombre d’images de quelques-unes de ces tables rondes seront également bientôt disponibles sur le site <www. psynem. necker. fr>, et nous sommes heureux de pouvoir ainsi restituer, par l’écrit et par l’image, une part de l’ambiance de pensée qui avait imprégné ces journées et qui demeure pour nous un souvenir extraordinairement vivant et émouvant.
Merci à tous les intervenants pour la qualité de leurs apports, merci au public pour la qualité de son écoute qui avait largement contribué à la créativité de ce congrès, et merci encore à Manuelle Missonnier de nous avoir tant aidés, Alain Braconnier et moi-même, à concrétiser quelque chose d’un rêve qui aurait pu, sans elle, rester un ineffable et intangible projet … de bébé ou d’adolescent !