Je reçois Monsieur D. en 2015, dans un centre d’addictologie ambulatoire, il est orienté pour une consommation d’alcool qui dure depuis 20 ans mais qui s’est aggravée au cours des dernières années par la spécialiste qui le suit pour sa maladie de Charcot-Marie-Tooth (CMT en abrégé : neuropathie sensitivomotrice héréditaire). C’est un homme d’une quarantaine d’années, qui a de grandes difficultés pour marcher. Son handicap dénote avec son agitation visible : il est rapide et dispersé, se touche le visage nerveusement et est toujours en mouvement. L’angoisse apparente et sa fuite du silence se manifestent aussi par une tonalité farceuse et légèrement exaltée, il se montre souriant, sympathique et cherche la connivence.
Monsieur D. a grandi dans une cité avec ses parents, cadet d’une fratrie de 5. Sa petite enfance a été marquée par des violences graves de la part de son père dépendant à l’alcool. Un homme craint. Enfant, il fût le témoin d’une bagarre entre son père et un homme, et ce dernier serait « tombé mort » accidentellement. Il fut placé dans une famille d’accueil avec sa grande sœur, séjour écourté par le déploiement maternel. Adulte, il a pu mener ses projets professionnels et construire une vie de famille. Après avoir travaillé une vingtaine d’années, la maladie de Charcot-Marie-Tooth est diagnostiquée sur le tard bien qu’handicapé depuis son plus jeune âge et il bénéficiera alors d’un suivi adapté.
Contrairement à la maladie de Charcot, la Marie-Tooth n’est pas mortelle, mais en entraînant une dégénérescence musculaire et neuronale, elle a enfermé Monsieur D. dans un corps qui se déforme, fragile, un corps difficile à mouvoir sans risquer les chutes. Il subira alors 17 interventions chirurgicales la même année et après plusieurs mois hospitalisé, sa femme le quitte…