L’art de survivre
Éditorial

L’art de survivre

« Je ne sais pas si j’étais ici sur la scène tout à l’heure, si je vous ai parlé de moi. J’ai la maladie d’Alzheimer. » Ainsi parle Lucie, qui participe, fragile et courageuse, au spectacle  « Théâtre et mémoire » mis sur pied par Anne-Marie Ergis, Professeur de psychologie à l’Université Paris Descartes, et Shuli Cohen, metteur en scène.

Vieillir aujourd’hui, c’est courir le risque de rencontrer la maladie d’Alzheimer, celle qui touche un parent, un ami, un aimé, ou soi-même. Figure de proue du vieillissement malmené, dévasté même, traînant avec elle des appellations disqualifiantes (« les déments ») et de sombres histoires de maltraitance, la maladie d’Alzheimer aggrave la défiance contemporaine vis-à-vis de l’expérience humaine, existentielle, tout à la fois belle et scandaleuse, du temps qui passe et qui nous mène là où nous ne voudrions pas aller. Pourtant, comme le dit Elsa, qui participe aussi au spectacle : « Nous ne sommes pas nés vieux, nos cheveux n’ont pas toujours été blancs. Alors là-dedans bat un cœur de jeune fille de 17 ans qui veut vivre, aimer et être aimée, avec des rêves, et du chagrin et de la douleur, tout comme vous. »

Grandir, mûrir, vieillir, les mots disent des réalités différentes, mais il est bon de ne pas oublier combien vieillir s’inscrit dans l’expérience continue de la vie. « Ce qui importe, conclut Lucie, c’est cet instant, et notre échange maintenant. Et les gens qui m’entourent, je vois leur sourire et l’assurance qu’ils m’insufflent, cela m’apaise et me redonne confiance. Merci de m’avoir écoutée ». Là est l’exigence éthique de l’humanité, lorsque celui qui peine à se penser peut faire l’expérience que d’autres le pensent et lui rendent cette dignité dont il ne cesse de douter.