Le « chat » au masculin : la quête du narcissisme
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Le « chat » au masculin : la quête du narcissisme

L’Internet Relay Chat (ou chat) est un moyen de discuter en temps réel avec d’autres personnes du monde entier par le biais d’Internet. Quelles sont les caractéristiques, les spécificités des relations via le chat ? Qu’entraînent ces relations virtuelles dans la vie du chatteur ? Sur le chat, l’espace est annulé par la téléprésence : le chatteur peut être dans plusieurs salons à la fois. Freud (1908) a établi un parallèle entre la création littéraire et le rêve éveillé. L’adulte délaisse le jeu et s’adonne à sa fantaisie, aux rêves éveillés. Les rêves éveillés et les récits littéraires sont marqués par les prouesses et l’invulnérabilité du héros. On peut y reconnaître, selon Freud, Sa Majesté le moi. Les personnages se divisent souvent en bons et en méchants. Nous pouvons rapprocher le chat du rêve éveillé. Il offre un espace où “l’ego peut fonctionner librement et le moi idéal se satisfaire des prouesses exécutées dans un monde de toute-puissance où domine le réel et échappe à l’espace et au temps” (Faure-Pragier, 2003, p. 58).

Le chatteur et la quête du narcissisme

Par l’intermédiaire du chat, chacun choisit un pseudonyme. Le chatteur peut revêtir une autre identité. Mais qui est cet autre Je ? Il semblerait que l’anonymat, le pseudonyme, permettent de jouer avec son identité, de construire un soi plus proche de son idéal du moi. Le chat permettrait une valorisation narcissique. À travers les relations d’objet partiel, l’autre pourrait renvoyer une image bonne à introjecter. Il pourrait s’agir de relation en miroir où l’autre n’est pas reconnu dans sa spécificité de personne, mais à travers la fonction qu’il remplit. Les autres apparaîtraient comme des objets-soi, mi-moi, mi-autre. J. McDougall, dans Théâtres du Je, parle de “théâtre transitionnel ou de la quête des personnages. (…) J’appelle cet autre le tenant lieu d’un objet transitionnel, objet à mi-chemin entre la perception de l’autre comme totalement créé par le sujet et l’autre reconnu comme ayant une existence indépendante, des attributs et des désirs propres. L’objet est hors du contrôle magique, mais peut être manipulé” (McDougall, 1982, p. 63). Dans ce théâtre, le metteur en scène est le Je lui-même. Il doit faire en sorte que d’autres Je jouent les rôles qu’il leur destine. L’Internet permettrait la manifestation de ce que toute relation objectale a de plus narcissique.

La ficelle virtuelle

Le chatteur peut expérimenter toutes les manières de se présenter au monde en toute sécurité. Il peut dissimuler son âge, sa condition sociale… Il peut jouer à séduire l’autre, s’approprier les traits d’un autre imaginaire… Le chat offre une aire de liberté que l’on peut rapprocher du jeu, entre soi et l’autre, entre dedans et dehors, entre la réalité intérieure et la réalité extérieure. “Le virtuel est par excellence un mode d’apprentissage de situations nouvelles ou angoissantes. Les simuler pour les apprivoiser, en perdre la crainte dans l’imaginaire avant de les affronter. Les individus hésitant dans leurs réalisations sexuelles, inhibés ou agressifs peuvent s’abandonner à des réalisations virtuelles plus aisées, et y trouver un plaisir qui leur suffira d’abord, puis permettra souvent une rencontre.” (Faure-Pragier, 2003, p. 55.) Le chat pourrait ainsi représenter un espace transitionnel où le chatteur apprendrait à apprivoiser l’objet total, à rencontrer l’autre par des relations d’objet partiel.

Mais, comme le souligne M. Civin (2000), le chat n’est pas un espace potentiel par définition, d’emblée. Il constituerait plutôt un espace virtuellement transitionnel, un espace transitionnel en puissance, tout dépendrait de l’utilisateur derrière l’écran. Jean-François Vezina, dans La ficelle virtuelle, utilise le cas d’un enfant de sept ans que Winnicott décrit dans Jeu et réalité (1971) pour articuler la transitionnalité et le virtuel : “La fonction de la ficelle évolue. La ficelle passe d’une fonction de communication au déni de la séparation. C’est précisément l’un des enjeux d’Internet et de la virtualité actuellement” (Vezina, non daté). Le chat, quels que soient le lieu et l’heure, peut constituer dans certains cas un refus de séparation d’avec l’autre. L’étude du chat nous renvoie finalement à l’éloge du cas par cas.