Le robot sur le divan : introduction
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Le robot sur le divan : introduction

Avatar ultime de l’évolution technologique contemporaine, quelle place prétend occuper ce conquérant dans nos vies privées, professionnelles et sociales ?

Entre caricature idéalisée de l’humain et figure d’esclave, le Robot oscille au gré des technophobes et des technophiles. Au-delà de ces positionnements extrêmes, il s’impose comme un miroir fidèle et paradoxal du plus créatif au plus précaire de notre humanité. C’est dans l’intrication de cette familiarité et de cette étrangeté que le Robot puise son pouvoir d’attraction/répulsion saturé d’inquiétante étrangeté. Le Robot est déjà parmi nous, même si ses formes non androïdes prédominent et nous empêchent de le reconnaître comme tel. Du mot tchèque robota qui signifie « travail, besogne, corvée » ou encore « servage », ce terme a été employé pour la première fois en 1920 par l’écrivain Karel Capek dans sa pièce R.U.R. pour désigner un androïde capable d’exécuter des travaux à la place de l’homme1.

Le Robot à notre service, prêt à accomplir les corvées ménagères ou prendre le relais de l’homme dans les tâches répétitives sur la scène publique et privée, pourrait-il se rebeller ? Et si un jour le Robot dépasse son créateur et échappe à son contrôle ? D’ailleurs, les trois fameuses lois de la robotique proposées par Asimov2 reflètent ces craintes sous-jacentes de réalisation potentielle d’un scénario œdipien : 1) « Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger. » ; 2) « Un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la première loi. » ; 3) « Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la première ou la deuxième loi. »

En ouverture de ce dossier, Sylvain Missonnier tente justement de dégager un scénario fantasmatique insistant en ce domaine où le concepteur du robot désire et redoute à la fois la mutinerie des robots. Il déploie son argumentaire à partir d’illustrations littéraires et cinématographiques.

Florian Houssier, en prenant appui sur la figure d’Iron Man (super-héros Marvel), explore la relation homme – machine et propose l’hypothèse qu’ « au niveau subjectif, lorsque la création prend le pas sur son créateur, une rivalité primaire et persécutive s’instaure ».

Lise Haddouk met l’accent sur la question du corps et interroge les aspects narcissiques de notre relation aux Robots : « le robot dispose d’un corps, ce qui enrichit la palette des interactions sensorielles possibles, et donc probablement un sentiment de présence intersubjective, par rapport à une dimension plus spéculaire et narcissique des écrans-miroirs ».

Cristina Lindenmeyer se centre également sur la question du corps, mais dans une clinique particulière, celle de l’humain augmenté par prothèses. Elle soulève des questions cliniques que pose le trans-humanisme : « même s’il ne s’agit pas de méconnaître, ni de mésestimer, le gain de techniques offrant aux sujets un accès à des traitements qui leur restituent un espace d’autonomie, force est de constater que ces mêmes techniques les engagent simultanément dans un mouvement de “dépendance technologisée”. »

Carmen Lucia Florez Pulido et Laurent Danon-Boileau partagent leur expérience prometteuse de médiation thérapeutique auprès d’enfants autistes à l’aide des Robots, « dans l’organisation de ce dispositif interactif enfant-robot-adulte, c’est cependant l’enfant qui dispose du rôle principal. Et lorsqu’il en vient à modifier les réponses qu’il fournit au robot, l’enfant observe les règles de la communication. Comme si le robot incarnait alors une fixité autistique dont l’enfant parvenait alors à se détacher. »

Jean-Luc Rinaudo présente une expérience de Robots de télé-présence ayant pour vocation de représenter en cours des étudiants qui pour des raisons de santé sont dans l’incapacité de se déplacer. A partir de là, il ouvre vers de nombreuses questions que ces situations inédites posent : « Quels effets de cette présence-absence, de ce sentiment d’ubiquité, sur nos relations à l’espace et au temps ? Quels effets également sur la manière d’apprendre, sur le rapport au savoir ? »

Ce dossier spécial se propose ainsi de déconstruire le mythe du Robot dans une période sensible où sa multiplication concrète dans toutes les strates de notre quotidien interroge nos repères sociaux, éthiques, politiques, cliniques et, finalement, notre statut d’humain.

Notes

  1. Capek K. (1920), R.U.R. Rossum’s Universal Robots, Paris, Editions de la Différence, 2011.
  2. Asimov, I. (1942). « Runaround », Astounding Science Fiction, 29(1), 94-103.