Le Web et l’ataxie de Friedreich
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Le Web et l’ataxie de Friedreich

Internet facilitateur de liens ?

Un de nos enfants, touché à l’adolescence par une maladie neurodégénérative rare, l’ataxie de Friedreich, s’isolait de plus en plus. Un ami suggéra de lui offrir un bon outil informatique et l’accès à Internet pour qu’il “s’ouvre de nouveau au monde”… Un an après, il créait un site sur la maladie et un forum d’échanges pour les malades et familles. S’il passait des heures devant son écran et dans sa bulle, son visage retrouvait expressions et vie ; les projets refaisaient surface ; il communiquait de nouveau plus facilement avec ses proches et avec d’autres. Il commença alors à voyager dans le monde entier, avec son fauteuil roulant, seul. Très réfractaire à l’outil informatique et pleine de préjugés sur l’apport d’Internet comme outil de communication, je décidai de plonger dans cet univers inconnu et en fis mon sujet de mémoire lors du DU Accompagnement de personnes atteintes de maladie génétique et de leur famille à l’Université Pierre et Marie Curie-La Pitié-Salpêtrière, en 2003 : Un Forum par Internet, pour des malades et familles touchés par l’ataxie de Friedreich : enjeux, représentations et perspectives – tuteur : Marcela Gargiulo (Dieusaert, 2003). Mes questionnements étaient nombreux, Internet et communiquer étant pour moi, a priori, antinomiques. Dans des pathologies comme les nôtres, qui isolent de par leur rareté et leur évolution, ces outils n’enferment-ils pas encore plus le jeune malade ?

  • Outil de connaissance, d’information sur la maladie ?
  • L’outil informatique et Internet permettent-ils vraiment de pouvoir s’exprimer et de communiquer ?
  • Si oui, de quels types de communication s’agit-il ?
  • S’ouvrir vraiment au monde ?

Il me fallait d’abord comprendre l’émergence de l’informatique et d’Internet et trouver des écrits traitant de la communication par Internet. La littérature était encore pauvre en 2003 sur ce sujet, mais je trouvais plusieurs auteurs traitant de ce sujet, sociologues et psychanalystes : Barthes, Basilico, Civin, Daignault, Flichy, Lévy, Missonnier, Rheingold, Ricœur, Virilio, Wolton. Leurs questionnements rejoignaient les miens.

Les écrits sur le “mythe Internet” donnent un discours bipolaire en raison de la peur engendrée par un outil peu ou mal contrôlé. Les technophobes et les technophiles s’opposent souvent, reflétant comme le dit Michael Civin dans Psychanalyse du Net (2000), les deux faces de Janus. Internet :

  • illusion, imaginaire, utopie ou réalité ?
  • virtuel ou actuel ?
  • absence ou présence ?
  • relation à l’autre désincarnée ou espace de communication ?
  • destruction ou aide à la construction identitaire ?
  • isolement, repli sur soi ou lien social ?
  • communautés réelles ou virtuelles ?
  • relation d’aide ?
  • langage écrit ou oral ?

Y a-t-il vraiment opposition entre tout cela ? Michael Civin écrit, dans le même ouvrage : “Internet est un lieu intermédiaire entre chair et pensée… Il se situe dans un espace entre la réalité psychique intérieure et la réalité extérieure, entre l’individu et l’environnement ; il se peut qu’Internet constitue un espace et un processus transitionnels.” L’individu ne se construit-il pas dans le réel avec son imaginaire, son utopie ? Le virtuel signifie “qui est en puissance”, rappelle Pierre Lévy (1998). Si on perçoit vite les limites de ce nouveau mode de communication, on en comprend aussi les apports potentiels. Je pouvais trouver des éléments concrets de réponses dans le forum d’échange des malades et familles que notre fils venait de créer. Il comptait 105 membres en 2003, touchés de loin ou de près par la maladie. Trente-cinq personnes ont répondu à mon questionnaire, via Internet.

Bref rappel sur l’ataxie de Friedreich

L’ataxie de Friedreich est une maladie neurodégénérative, évolutive, rare, d’origine génétique. Elle débute en général entre 5 et 15 ans, avec des troubles de l’équilibre, de la coordination, de l’élocution. L’évolution se fait sur 5 à 10 ans vers le fauteuil roulant et une dépendance de plus en plus importante. Les facultés intellectuelles sont intactes.

Elle “enferme” donc progressivement la personne en affectant les moyens de communication que sont la marche, la parole et l’écriture. Elle complique notamment la recherche identitaire de l’adolescent, cet adolescent souvent familier des nouveaux outils dits de “communication”.

Est-ce plus facile de communiquer par Internet ?

Quatre-vingts pour cent des personnes ataxiques trouvent plus facile de communiquer par Internet que face à face, contre 30 % chez les membres de leur famille.

Pourquoi ?

  • les difficultés d’élocution liées à la maladie ;
  • les difficultés d’écriture ;
  • les difficultés de déplacement ;
  • a lenteur et la maladresse des gestes ;
  • la peur du regard des autres ;
  • la peur de la rencontre avec l’autre, surtout en raison de “l’effet miroir” ;
  • la rareté de la maladie qui isole et en raison de l’outil plus facile d’accès, plus rapide, avec moins de contraintes physiques.

Vingt pour cent d’entre eux signalent le danger de l’illusion à vivre “caché derrière l’écran” et la difficulté d’exprimer par écrit certains sujets plus tabous comme les problèmes urologiques ou sexuels.

Quels sujets abordez-vous ?

  • le “vivre avec” au quotidien ; échanges d’expériences, d’ “astuces” ;
  • des questions médicales ou d’ordre social ;
  • des témoignages : partages sur l’acceptation du fauteuil, le regard des autres, etc.

Les thèmes d’expression plus difficile touchent à des aspects psychologiques à la peur de se livrer aux autres est plus forte : les difficultés relationnelles intrafamiliales, la dépression, la vie affective, etc.

À quoi sert ce forum ? (en ordre décroissant)

  • c’est souvent le seul moyen d’entrer en contact avec d’autres malades et familles ;
  • à se sentir moins seul face au ressenti ;
  • à mieux comprendre les réactions des autres et ainsi les siennes ;
  • à avoir des informations sur la maladie et des conseils au quotidien ;
  • à mieux vivre la maladie et parfois l’extérioriser au travers de témoignages ;

Écrire son ressenti, même si cet écrit est à la limite de l’oral par Internet, reste un des exercices les plus difficiles en littérature ! Paradoxalement, ce sont les parents qui ont le plus de difficultés à s’exprimer devant les personnes malades, en particulier leurs enfants, par pudeur ou sentiment de culpabilité, preuve que cette communauté virtuelle est bien réelle !

Suite à votre rencontre sur le forum, vous êtes-vous rencontrés “réellement” ?

Vingt-cinq sur les 28 personnes qui ont répondu à cette question se sont rencontrées par la suite ! Soit à l’assemblée générale de l’association, où ils se “re-connaissent”, soit chez eux parce qu’ils ont découvert qu’ils étaient proches géographiquement, soit en vacances dans la région de l’autre, sachant que leur maison a aussi les adaptations nécessaires au handicap lié à la maladie.

En résumé, pourquoi l’outil informatique, Internet et particulièrement le forum ont-ils une résonance si directe avec les besoins des malades ?

Il s’agit ici d’un réseau de personnes isolées géographiquement par la rareté de la maladie, qui elle-même affecte la marche, l’écriture, l’élocution, mais pas les capacités intellectuelles. Ces personnes ont donc un intérêt et des objectifs communs : sortir de l’isolement, s’informer, communiquer, s’entraider. L’outil informatique et Internet sont alors un outil privilégié, mais aussi un espace potentiel, virtuel de lien social, avec construction d’un sentiment de communauté, de “deuxième famille” comme disent les participants du forum. Cet outil est parfois le seul moyen de connaître d’autres malades, du monde entier, et de communiquer avec plusieurs, passant au-delà des difficultés de déplacement, d’écriture ou d’élocution, et laissant chaque malade s’exprimer dans ce langage semi-oral, semi-écrit, respectant son rythme !

Il permet aussi au malade de retrouver un espace d’autonomie et d’intimité précieux, et la distance comme l’absence du corps de l’autre, miroir redouté, facilitent dans un premier temps l’expression de soi.

Cette première rencontre “désincarnée” permet donc d’aller plus facilement à la rencontre de l’autre, au-delà de l’image, “entre la finitude de la chair et la légèreté de la pensée”… Rencontre certes virtuelle dans un premier temps, dans cet espace virtuel qui porte un potentiel de futures rencontres “réelles”. Il y a également, dans ces échanges, souvent une relation d’aide !

Il me parait important de rendre accessibles ces outils de communication que sont l’informatique, Internet et un forum à de nombreux malades chez qui les moyens de communication sont restreints. Sans doute faut-il d’abord sensibiliser à ces potentiels les malades eux-mêmes et leur famille, les associations, les soignants et les politiques. Internet est bien un outil de communication, parfois le seul pour des malades touchés par une maladie neurologique évolutive, et le forum un lieu d’expression de soi et de rencontre de l’autre. Il s’agit d’une réalité virtuelle aux potentiels d’une réelle actualité. L’accès à cet outil doit être une priorité citoyenne car elle peut rendre au malade sa place et sa dignité !

AFAF : Association française de l’ataxie de Friedreich

12, place Brisset, 02500 Hirson

Tél/fax : 03 23 58 61 65

afaf@ nordnet. fr
www. afaf. asso. fr