Les maîtres du désordres
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Les maîtres du désordres

Musée du Quai Branly, du 11 avril au 29 juillet 2012

Les expositions du musée du Quai Branly – lieu magnifique – sont parfois de niveau inégal, lorsqu’elles répondent à des contraintes « politiquement correctes » pour faire connaître les cultures de pays amis. Mais cette fois-ci, le musée relève le défi qui est de proposer une vraie réflexion transculturelle. Les « maîtres du désordre », titre emprunté à l’ouvrage de l’anthropologue

Bertrand Hell, qui a beaucoup inspiré cette exposition, sont, dans différentes cultures, les intercesseurs entre le monde d’ici et le monde surnaturel, et permettent de communiquer avec les ancêtres, les divinités et les démons. Ils bousculent l’univers rationnel pour montrer d’autres voies de connaissance. Au-delà de la réalité objective quantifiable, que nous percevons avec nos sens, il y a un autre monde, celui de l’intuition et des esprits.

Beaucoup d’objets, venus de musées du monde entier, dégagent une très forte impression d’étrangeté et de magie. On voit des objets qui ne sont pas là pour leur beauté, mais pour leur puissance magique et leur pouvoir d’exorcisme. Ainsi, le chaman-artiste Azé Kokovivina est venu d’Afrique pour réaliser dans le musée parisien un autel vaudou fait de boue et de sang, qu’il a « activé » au moyen du sacrifice d’un poulet qui a été mangé par les spectateurs lors de la cérémonie.
Rituels, transes, masques, statuettes cérémonielles, reliquaires, le spectateur est plongé dans un univers animiste. L’exposition montre que le besoin du sacré apparaît comme un phénomène universel, présent dans toutes les cultures, ce que Freud avait noté avec la persistance de la pensée magique, même si dans nos sociétés occidentales, cette dimension est aujourd’hui peu présente, voire négligée. S’il y a à l’heure actuelle un regain d’intérêt pour ce type de création, qui bouscule l’identité individuelle afin de situer l’individu dans son groupe social et le relier au cosmos, n’est-ce pas en rapport avec le mouvement sociétal contemporain de désaffiliation ?

Si cette exposition donne beaucoup à voir, elle demanderait à être plus pensée. Car encore faut-il s’entendre sur le mot désordre, qui apparaît ici sous des formes très diverses qui vont du mal et de la mort jusqu’à des expressions plus naïves et plus anecdotiques. Mais elle incite aussi à réfléchir sur les enjeux de ces pratiques religieuses et les personnages chamaniques, qui sont la croyance et le pouvoir. Car si ces « maîtres » sont des guérisseurs ou des intermédiaires, ils peuvent aussi exercer un pouvoir tendant à la soumission de l’autre. On en connaît des exemples. Et on aurait envie de relire le Discours de la servitude volontaire de La Boétie ou L’Avenir d’une illusion de Freud…