“La peste, venue d’Orient, entra en Allemagne par la Bohème. Elle voyageait sans se presser, au bruit des cloches, comme une impératrice. Penchée sur le verre du buveur, soufflant la chandelle du savant assis parmi ses livres, servant la messe du prêtre, cachée comme une puce dans la chemise des filles de joie, la peste apportait à la vie de tous un élément d’insolente égalité, un âcre et dangereux ferment d’aventure. Le glas répandait dans l’air une insistante rumeur de fête noire : les badauds rassemblés au pied des clochers ne se lassaient pas de regarder, tout en haut, la silhouette du sonneur tantôt accroupi, tantôt suspendu, pesant de tout son poids sur son grand bourdon. Les églises ne chômaient pas, les tavernes non plus.”
Le monde ne nous apporte que rarement de bonnes nouvelles. Et ces nouvelles, aussi défendus que nous puissions l’être, pourraient de manière souterraine, nous rappeler la fragilité des choses qui sont : l’expérience intime de leurs possibilités incessantes de disparition ; cette litanie nous confronte sans cesse à ce « cela ne sera plus jamais comme avant », et, avec l’arrivée du Covid19, c’est d’autant plus criant ; nous sommes plus que jamais face à l’épreuve collective de ce « ça ne sera plus jamais comme avant ».
L’entrée dans ce siècle avec le 11 septembre avait, si l’on force le trait, partagé le monde en 2 ; puis la crise écologique nous ramenait à ce risque de destruction planétaire, « oublié » depuis la fin de la guerre froide ; et dans cet entre-deux, une crise économique, des replis identitaires, la montée des nationalismes, des extrémismes, et si cela ne suffisait pas, j’oserai dire, pour couronner le tout, l’apparition inopinée de ce virus, fruit de…