Louise Bourgeois : Moi, Eugénie Grandet
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Louise Bourgeois : Moi, Eugénie Grandet

Louise Bourgeois : Moi, Eugénie GrandetExposition à la Maison de Balzac, du 3 novembre 2010 au 6 février 2011

C’est une rencontre émouvante, celle de la grande Louise Bourgeois avec la petite Eugénie Grandet, l’une artiste de notoriété internationale, l’autre une humble provinciale. Emouvant aussi de voir ces œuvres de fin de vie, œuvres d’intimité, exposées dans la maison de Balzac, modeste elle aussi, où, dans une pièce toute petite, il écrivit l’œuvre immense de la Comédie humaine.

Combien émouvant en effet, qu’à presque cent ans, Louise Bourgeois revienne au personnage d’Eugénie Grandet, en qui elle continue de se reconnaître, toutes deux petites filles maltraitées par leur père. On n’en a donc jamais fini avec les traumatismes de l’enfance… Pourtant son parcours n’a vraiment pas été le même. Si Louise Bourgeois a beaucoup évoqué les traumatismes de son enfance, et en particulier d’avoir été cruellement dévalorisée en tant que fille par un père pervers qui hébergeait chez lui sa maîtresse comme gouvernante des enfants, elle a pu néanmoins s’éloigner de sa famille et de la France et ainsi échapper au destin qui aurait été, dit-elle, d’être la bonne de son père, comme Eugénie était la domestique du père Grandet. Quoi de commun entre cette femme reconnue comme une artiste majeure à New York et le destin de la pauvre Eugénie Grandet demeurant jusqu’à la fin de ses jours à raccommoder le linge dans la maison sombre et froide de Saumur ? C’est ce que révèle l’exposition : entrée dans le grand âge, ignorant sa célébrité, Louise Bourgeois retrouve la petite fille qui restaurait les tapisseries dans l’entreprise familiale, ainsi que l’intimité entre les femmes, la mère et la fille, soumises toutes deux aux humiliations du père, dont la mère va mourir. Louise Bourgeois a été rechercher dans ses tiroirs les tissus de son enfance. Elle s’est mise au travail comme une raccommodeuse : les mouchoirs et les torchons sont brodés, ornés de perles et de fleurs, inscrits de quelques mots ou chiffres. Identifiée à une humble couturière, elle réalise des ouvrages de dame, sans prétention aucune, mais qui transmettent néanmoins la sensation forte de la fragilité des matières et de l’existence. Ces bouts de tissu affirment la permanence de quelques valeurs fondamentales, comme « la félicité de dire non. La félicité de la liberté, de la création », que l’artiste affirme avec ces seize petites pièces qu’elle a réalisées spécifiquement pour cette exposition.