Mondrian figuratif. Une histoire inconnue
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Mondrian figuratif. Une histoire inconnue

Mondrian figuratif. Une histoire inconnue. Musée Marmottan Monet, Paris Jusqu’au 26 janvier 2020

Pour celui qui connaît essentiellement Mondrian par ses tableaux géométriques, faits de lignes perpendiculaires noires et de carrés de couleur primaire, qui l’ont rendu célèbre, cette exposition sera une découverte. Mondrian a donc peint pendant de nombreux années des tableaux figuratifs. Et, plus étonnant encore, il n’a jamais cessé d’en peindre, même pendant sa période abstraite, peignant des aquarelles de fleurs, de manière quasi-clandestine, pour gagner de l’argent dit-on, mais aussi pour le plaisir de peindre des objets concrets. « Mondrian, tous les jours de sa vie jusqu’à sa mort, le matin quand il se levait, de la même manière qu’un musicien qui fait ses gammes, peignait une rose ».

L’exposition de Marmottan traite donc du rapport entre le figuratif et l’abstraction chez l’un des grands artistes du XXe siècle. Le musée a amené à Paris, ville où il est venu s’installer après la guerre et qu’il considérait comme la ville où il pourrait réaliser son projet artistique, la collection de Salomon Slijper, que celui-ci a léguée au musée de La Haye. Exclusivement dédiée aux œuvres figuratives, que ce collectionneur et ami de Mondrian, fils d’un diamantaire d’Amsterdam, aimait particulièrement, au détriment des œuvres tardives. Et c’est un ensemble magnifique, dont certains tableaux sont véritablement éblouissants. Mondrian était un artiste virtuose, et on peut se demander si cette pulsionnalité ne l’a pas conduit à vouloir canaliser ses débordements, dans l’esprit de ses origines protestantes. D’ailleurs Mondrian était une personne austère, mais qui aimait écouter du jazz, danser, boire et manger.

En réalité, l’intitulé de l’exposition-« Mondrian figuratif. Une histoire inconnue » est trompeuse (est-ce la tendance actuelle des commissaires d’exposition de dramatiser les titres afin d’être plus attractif pour un large public… ?), car l’histoire n’est pas inconnue.

Si la moitié des 67 œuvres exposées n’a jamais été montrée en France, le spectateur français a déjà pris connaissance de l’autre moitié lors de deux expositions parisiennes, l’une à Beaubourg en 2002, « Mondrian et De Stijl », l’autre à Orsay en 2012, « Mondrian, 1892-1914, les chemins de l’abstraction », qui étudiait le passage des tableaux figuratifs vers l’abstraction. Ici, à Marmottan, on donne l’impression qu’il y aurait deux Mondrian, l’un cachant l’autre et que le Mondrian figuratif serait une révélation, alors qu’à bien regarder les œuvres et à écouter ce que Mondrian en disait lui-même, il y a une continuité qui se déroule selon un processus à la fois stylistique et psychologique. La première étape de cette évolution commence en 1907. Il a alors changé son nom de Pieter Mondriaan en Piet Mondrian, a abandonné sa fiancée, s’est coupé la barbe et a adhéré à la société de théosophie qui va beaucoup le marquer et influencer son œuvre.

Avant il y a une première période de portraits et surtout de paysages hollandais plutôt ocres et gris, les couleurs du cubisme que Mondrian découvrait alors. Ces paysages, dont on a dit qu’ils doivent beaucoup à la Hollande, pays de polders plats, découpés par des canaux d’irrigation, qui dessinent des lignes droites sur des surfaces planes, sont néanmoins déjà composés par des verticales et des horizontales. Des moulins, des phares, des églises, des clochers se dressent à la verticale, sur des horizons qui les croisent. Les couleurs deviennent de plus en plus vives et lumineuses, avec les magnifiques moulins aux ciels incandescents. Dans l’esprit de la théosophie, tous ces éléments ont un sens symbolique. L’entité verticale est masculine, l’entité horizontale est féminine, dit Mondrian lui-même, et le tableau est la recherche d’un équilibre entre ces forces contraires qu’il faut ordonner. Puis le passage radical et final vers les couleurs primaires, rouge, bleu et jaune, des tableaux géométriques réalise l’idéal théosophique de pureté et de détachement bouddhique.

Emblématique de cette période charnière : l’autoportrait de 1918, représentant le peintre de manière figurative devant un fond abstrait, composé de feuilles découpées, selon une méthode, le néoplasticisme, inventée par l’artiste, et qu’il allait appliquer à la conception de son atelier, véritable œuvre d’art abstraite.

L’exposition de Marmottan montre les commencements de cette suite de métamorphoses qui combine des éléments contraires sans trancher définitivement entre figuration et abstraction.