Le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris a mis des habits neufs pour le printemps. Pas si neufs que ça en réalité puisqu’il s’agit d’œuvres qui vont du début du 20e siècle à nos jours. Mais neufs parce que, pour beaucoup d’entre elles, nous ne les avions pas ou peu vues. Elles sont issues des collections permanentes du Musée, dont nous ignorions la richesse, faisant de ce musée l’un des plus importants dans le domaine de l’art moderne.
C’est une exposition magnifique, avec des œuvres phares, comme Bonnard, Matisse, Modigliani, Chagall, un bel ensemble de Dufy, peintre qu’on voit peu. Dans ces espaces bien éclairés et spacieux, de loin, on a le regard attiré par un tableau de Kupka, dont s’émanent des vibrations quasi-spirituelles, comme souvent chez ce peintre qui a été l’un des inventeurs de l’abstraction, et qui était aussi un médium, pratiquant la communication avec les esprits. Il n’y a pas que des œuvres isolées, mais des ensembles comme la confrontation très intéressante entre Picabia et De Chirico. Une salle entière est consacrée à l’intégralité des cent gravures de la Suite Vollard de Picasso, réalisées entre 1930 et 1937, méritant à elle seule la visite, comme disent les guides gastronomiques.
Le MAM montre des œuvres essentielles et connues qui ont déjà été présentées, mais aussi de nouvelles venues et surtout des œuvres qui constituent une partie restée longtemps peu visible ou invisible de la collection qui nous réserve de belles surprises comme les Herbin, par exemple.
Cette exposition du MAM fait un contre-point à l’exposition très médiatisée de la MoMA à la Fondation Vuitton, « Etre Moderne », qui est décevante malgré le battage médiatique dont elle fait l’objet : œuvres beaucoup moins nombreuses qu’on ne s’y attendait (rien à voir avec l’abondance de l’exposition Chtchoukine), un peu clairsemées dans les grandes salles de Gehry. Surtout, il y a une, maximum deux œuvres par artiste, ce qui fait qu’on voit des œuvres isolées, juxtaposées, qu’on a du mal à relier entre elles.
Il ne s’agit pas de faire une évaluation comparative de ces deux expositions, qui retracent chacune plus d’un siècle d’arts plastiques, mais le MAM vient montrer que, contrairement à l’idée dominante que la création artistique, à partir de 1945, se serait majoritairement et définitivement déplacée Outre-Atlantique, il y a eu une grande vitalité de l’art européen après la guerre.
Des courants artistiques variés, divers, innovants se sont déployés, à partir des avant-gardes de la première moitié du 20e siècle, en particulier le mouvement Dada. Le MAM montre ce parcours contemporain autour de deux axes : les avant-gardes des années 1960 (le Nouveau Réalisme, l’abstraction géométrique, l’art conceptuel) et la peinture à partir des années 80, qui présente les acquisitions récentes, dont un immense et impressionnant Baselitz.
Dans la partie contemporaine, certaines œuvres interpellent comme Conscious Vandalism d’Arman. Dans un geste iconoclaste violent, l’artiste attaque et détruit, hache en main, un intérieur bourgeois aménagé avec le mobilier ancien de son enfance à la John Gibson Gallery de New-York en 1975. Cette installation a été reconstituée par Julia Garimorth qui en a réalisé ici la plus belle présentation récente. On y voit cette pièce dévastée dont se dégage une étrange puissance émotionnelle. A l’opposé de cet art très pulsionnel et expressif, avec aussi des belles œuvres de Karel Appel, il y a l’abstraction géométrique avec Aurélie Nemours et François Morellet, qui était, rappelons-le, un des premiers à créer des œuvres avec des tubes au néon, précurseur de l’art cinétique.
On peut dire que ces deux expositions témoignent de ce qui caractérise l’art contemporain, à savoir sa très grande diversité, ce qui en rend la définition si difficile. Cette nouvelle présentation des collections du Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris nous fait traverser avec beaucoup de clarté et de bonheur ce parcours de plus d’un siècle.