Ce petit livre prend place dans une belle collection encyclopédique lancée par les éditions de la Boétie. Résumer Freud, sa vie et son œuvre en 100 questions relève de la gageure et qui mieux qu’Alain de Mijolla pour répondre au défi « Tout ce que vous avez voulu savoir sur Freud et vous n’avez jamais eu le courage d’aller chercher dans ses biographies, les archives, ses correspondances ou encore entre les lignes de ses livres et articles ». Voilà qui est fait. Un livre qui peut se lire d’un bout à l’autre en suivant le fil rouge chronologique, tout comme il peut être savouré question par question, étant ouvert au petit bonheur de la chance, au goût du jour ou d’une envie de savoir si Freud aimait l’argent ou avait été franc-maçon.
Quelques questions sont consa-crées à l’enfance, aux parents, aux premiers intérêts scientifiques et aux premières opinions sur un enfant qui impressionnait ses professeurs avec son style d’écriture, dès les années du lycée. Puis on découvre le jeune étudiant qui devient chercheur en anatomopathologie, disséquant des anguilles, cédant la place à l’expérimentateur de nouvelles substances, avant de pénétrer les mystères du fonctionnement psychique. Passionné, amoureux, père de famille, Freud était surtout un homme qui avait des habitudes immuables, un rythme de vie qui ne supportait la moindre interruption dans l’étude quotidienne des rêves qu’il a érigée en paradigme scientifique de l’étude de l’âme. Voilà des aspects d’une personnalité complexe que cet ouvrage permet de découvrir. Freud chercheur solitaire et homme de rencontres multiples et d’importance. Il a su évoluer en profitant des interrogations de l’esprit du temps sur la compréhension clinique et thérapeutique de la maladie en vogue, la « grande névrose » de Charcot, l’hystérie, sans rester dans les descriptions fines du maître de la Salpêtrière, évitant les succès éphémères de l’hypnose théra-peutique de Bernheim. Il est allé plus loin qu’un Pierre Janet, qui, lui, restait dans le domaine du pathologique, en proposant une psychologie scientifique qui pouvait donner les clefs du fonctionnement mental normal aussi. Il a su faire preuve de courage en affrontant l’aventure du transfert qu’un Breuer découvre mais évite.
Freud a eu le bonheur d’avoir été entouré par des jeunes médecins et étudiants en sciences humaines qui ont formé les troupes de la « horde sauvage » et s’est transformée en Association scientifique Internationale (l’API) dès 1910. Un vaste mouvement d’idées, riche des contributions, des interactions, des amitiés passionnées et des inévitables ruptures, aussi bien scientifiques que personnelles. Alain de Mijolla trace ces histoires avec précision et concision. Quelques traits de plume condensent en une page ou deux telle période de recherche, tel personnage, tel patient ou une curiosité fortuite (« aimait-il la musique » ?). Reconstruire et personnaliser l’ambiance de recherche de cette fin du 19ème si particulière, celle qui essayait de déterminer les vérités invisibles des mécanismes de fonctionnement de la société (lutte des classes), de la matière (les molécules), des espèces (génétique), de l’âme (appareil psychique) est l’objectif invisible de l’auteur. Car c’est toujours une personne qui porte le projet d’une recherche avec l’inscription dans une trajectoire qui s’appelle histoire : histoire d’une famille, histoire d’un mouvement. Histoire parsemée d’histoires, d’anecdotes et de détails que l’auteur a réussi à épingler pour offrir une narration qui tient le lecteur en haleine. Alain de Mijolla est certes un écrivain mais avant tout il reste un « conteur d’histoires », qualité qui de nos jours devient rare et précieuse. En fin connaisseur de la méthode et du dispositif psychanalytiques, l’auteur dépeint le déroulement de la cure et l’évolution de la technique de Freud en consacrant une dizaine de questions aux cas cliniques.
Le Freud de ce livre est un Freud scientifique tel que les lecteurs le connaissent ou l’imaginent, un chercheur, amoureux d’une quête de vérité et en même temps un Freud humain, plutôt insolite, voire secret et aimant l’humour ou des sauces différentes avec ses plats préférés. Freud et son enfant spirituel sont très vivants dans les cent petits tableaux de cette fresque. Les curieux découvrent le Freud vacancier, héros de ses fils, l’analyste de sa fille Anna, l’amateur de Shakespeare et le passionné de « Moïse ». C’est cette vivacité qui permet à l’auteur de conclure tranquillement que la psychanalyse, cette aventure de l’âme, a toujours un avenir devant elle.