Les textes réunis dans cet ouvrage témoignent du travail psychothérapique psychana-lytique de trois psychiatres, psychanalystes auprès d’enfants. Les auteurs nous proposent d’explorer les sources du maillage psychique dans lequel enfants et parents s’inscrivent, révélant bien souvent un rapport passionnel. La clinique, les références théoriques et litté-raires sont spécifiques à chacun des auteurs. L’écriture est élégante, très travaillée, et réellement au service du lecteur. Ainsi l’espace scénique de la consultation, où le voir est solli-cité en même temps que l’écoute, est très bien rendu. Le lecteur se trouve, comme l’analyste, face à des énigmes familiales et des douleurs d’enfants, dont les lois sont encore inconnues et les clés ne se révèlent que petit à petit. Patience et lenteur s’imposent pour retrouver derrière la confu-sion des signes et les parcours tortueux, ce qui vient entraver la compréhension, car ce sont souvent des fantômes qui hantent la vie psychique de l’enfant. L’écoute du transfert des parents et de l’enfant est une prise de position théorico-clinique des auteurs de ce livre. « Elle permet aux transferts de se déposer à l’insu de tous, puis de s’actualiser par des agirs en attente de mots ».
Le chapitre Que disent les traces ? ouvre l’écrit de Jean-Yves Tamet. Les parents se plaignent de l’enfant et méconnaissent que celui-ci est le lieu d’une inscrip-tion secrète. Le symptôme vient révéler l’effet de cette inscription, dans des formes et des expressions, des traces, très éloignées de ce qu’ils souhaitent pour lui. L’enfant est pris comme otage d’une histoire dont il ignore le sens. L’auteur nous décrit Claude, 12 ans, enfant hurlant, dont la mère ne viendra en consultation que huit mois après le début du traitement, levant partiellement un interdit et permettant à Claude d’organiser le hurlement en plainte, de se saisir de son passé avec des mots.
L’enfant qui se dégage de cette position d’otage peut devenir progressivement messager de ce qu’il porte, se sait investi d’une mission, même si le contenu ne lui est pas connu. Il peut refuser ce poids dans le trouble du comportement, l’inhibition, le refus d’habiter un lieu où il ne se reconnaît pas, mais peut aussi s’accaparer la mission et la détourner à ses fins.
Le chapitre La joie maligne explore les sources de l’hostilité sourde entre mère et enfant, lorsque l’enfant déçoit à combler les espérances de son parent, et de guérir une privation. Erigé en fétiche, il peut incarner la haine et l’horreur de la castration. L’ironie et la moquerie créent chez l’en-fant repli et attaque contre soi. « Il dessinait des monstres » est le récit d’une cure d’un enfant de quatre ans qui dessine à longueur de séance des monstres cruels se tuant sauvagement. L’accès à la parole advient petit à petit quand la figure d’un grand-père maternel violent est évoquée par la mère de l’enfant, passager clandestin. Ce n’est qu’en fin de cure que la mère révèle à l’ana-lyste un événement grave montrant qu’elle a confié à la psychothérapie de son fils le soin de porter son propre temps d’attente. L’énurésie et le silence de la potière traite de l’énurésie du garçon, telle qu’elle se pré-sente en consultation, mère anxieuse et volubile, enfant silencieux, père tenu à distance. L’auteur décrit le trouble de la petite fille devenue mère confron-tée à l’anatomie de son fils.
A la recherche de l’âme enfantine est le titre de la contribution de Nicole Oury. Elle défend l’écoute des parents en consultation, comme lieu où s’expriment les difficultés psychiques qui se répercutent dans la psyché enfan-tine. S’appuyant sur les travaux de J. Laplanche, elle décrit que le travail du consultant est de distinguer ce qui revient aux messages énigmatiques des parents de ce qui est propre à la problématique oedipienne de l’enfant. Dans certaines deman-des, l’enfant fait peur, objet phobique des parents, il va mal. Les parents ne parlent de rien d’autre. La passion est transfor-mée en silence hostile et froid. Le consultant devient persécuteur, car il est celui dont il faut dépendre. Ce sont souvent des parents pour lesquels l’histoire infantile est chargée d’effractions. Le plus difficile, nous dit l’auteur, est de respecter le temps psychique de chacun, de mettre en lien, quand c’est opportun, ce qui du passé se répète dans le présent, malgré les pressions scolaires ou des symptômes bruyants. Supporter le déplace-ment du transfert négatif sur l’analyste est aussi pénible, condition néanmoins pour que l’enfant en soit soulagé.
« Pourquoi les choses de ce monde se trouvent si mal arrangées ? », dit Gribouille à l’heure de son suicide. Gribouille, écrit par Pierre-Jean Jouve, contient une observation clinique aiguisée de ses parents meurtriers, et leur dénonciation. Vestiges d’un amour endeuillé est le récit clinique tendu du traitement d’un garçon de sept ans. L’auteur décrit les différents temps de l’accueil de cet enfant et de sa mère, accueil sans faille malgré les rebondissements, l’opacité et l’intensité des symptômes.
Errance du féminin développe la difficulté pour certaines femmes d’articuler féminin et maternel, difficulté qui affleure dans les symptômes de leur enfant, ou qui peut conduire certaines, devenues mères, au suicide. La précarité du sentiment d’existence tourmente les femmes des romans de V. Woolf, Mrs Dalloway, et de M. Cunningham, Les heures. L’auteur rapporte comment « pour toutes ces héroïnes, homosexualité, idées morbides et état mélancolique viennent en lieu et place d’une identification impossible à cette femme qui a été leur mère ».
Michel Villand intitule son propos Entre parents et enfants : l’excès de passion. Son premier chapitre s’intitule Impitoyable amour. L’enfant est confronté à des messages énigmatiques venant du sexuel de ses deux parents. Les messages sont souvent passion-nels sans considération pour l’objet enfant, de telle sorte qu’ils hantent la psyché de l’enfant, en une présence persécutrice qui ne permet pas la construction de soi. « Un amour tempéré » au contraire permettrait à l’enfant d’habiter sa maison psychique, de se nourrir de l’étranger pour construire une intériorité.
Dans la psychose, la maison est hantée par ce qui est en mal de symbolisation. Parfois c’est la séparation qui ne peut être symbolisée : un objet perdu dont le deuil n’est pas fait vient hanter la psyché et peut revenir sous forme hallucinatoire. Hamlet en est un exemple littéraire célèbre.
L’auteur souligne l’extrême dépendance de la construction psychique de l’enfant à son parent, dépendance dont plusieurs textes de Freud témoignent, tel Le moi et le ça, plus particulièrement le chapitre Les relations de dépen-dance du moi. Ce qui n’a pu être lié par le fonctionnement pré-conscient de la psyché parentale vient hanter la relation entre parents et enfants.
Le cas clinique du traitement d’un enfant de deux ans illustre cet héritage non symbolisé par excès de perceptions traumatiques. Une belle découverte, titre du chapitre suivant, est ce que ce que nous promet Proust lorsque « notre esprit créateur » nous permet d’aller assez loin dans la souffrance. L’auteur nous décrit la souffrance de l’écoute de l’analyste, déformé par la réception auditive mais aussi sensorielle du corps du patient qui lui parle. « Il y a avant le plaisir de la pensée, une souffrance de l’écoute » et il faut un temps de retrait, de retour sur soi, du dialogue avec d’autres, pour donner forme à la transformation que le patient a fait subir à l’analyste, et ce d’autant que les pathologies sont loin du langage. Il arrive que l’analyste se sente envahi et dans la confusion, lorsque l’excès de passion entre parents et enfants empêche la différenciation des places de chacun. Un travail long et patient ouvrira un espace psychique, une intériorité, dont l’enfant témoigne par sa capacité à jouer et à être seul.
Gageons qu’une élaboration longue et patiente a soutenu l’écriture de cet ouvrage, puisée au travail effectué dans le séminaire dirigé par Jean-Claude Rolland au CMPP Rockefeller à Lyon. Le lecteur referme l’ouvrage convaincu de l’authenticité de l’engagement de ses auteurs, touché par le soin particulier porté à la transmission de leur expérience, par l’harmonie dans le choix de leurs références théoriques et culturelles, troublé pourtant, moins tant par « l’in-quiétude des amours enfantines » que par l’intensité des tourments.