L’oxymore poétique du titre en rappellera évidemment une autre au lecteur averti, à savoir celle du Moi-peau de Didier Anzieu, publié en 1985, livre fondateur auquel Guy Lavallée paye ici sa dette. La filiation était déjà évidente en 1999, avec la publication de L’Enveloppe visuelle du moi, ouvrage aujourd’hui épuisé, et contribution majeure de l’auteur à la métapsychologie. Après s’être éloigné de la peau pour penser la perception externe, il plonge en profondeur pour envisager le Moi-matière, les somesthésies et les perceptions de l’intérieur du corps. Ces deux mouvements antagonistes ne le sont qu’en apparence seulement. La colonne vertébrale théorique de ce Moi-matière est solide et puise dans les mêmes sources que son précédent travail : des années d’expérience clinique, une connaissance fine du corpus psychanalytique, un ancrage dans le corps/le sensible/la figurabilité.
Un style sensible
Quand l’auteur tente d’expliciter l’articulation nécessaire entre les deux concepts, le Moi-peau et le Moi-matière, il le fait avec une des innombrables ruptures de ton qui parsèment l’ouvrage, en nous racontant une scène intime. En salle de réveil après une anesthésie, il perçoit des sensations opposées entre sa peau, ressentant la chaleur, et l’intérieur de son corps qui avait gardé les traces de la froideur de la salle d’opération. En quelques lignes, nous voilà plongés dans le style de Guy Lavallée : implication dans l’observation clinique, perception du sensible, facilité à tisser des liens avec les autres auteurs, émerveillement, engagement du chercheur, nécessité de ne pas perdre de vue la clinique comme lieu où va s’éprouver le concept, dialogue complice avec le lecteur. Et, comme il l’énonce lui-même dès l’introduction : la simplicité comme support de la complexité.
Mode mineur et mode majeur s’entremêlent dans ce…