Les figures de l’Autre

Les figures de l'Autre

Olivier Douville

Editions Dunod, 2014

Bloc-notes

Les figures de l’Autre

Comment penser aujourd’hui le soin psychique avec des patients marqués par le bouleversement de leurs repères sociaux et culturels ? Tel est le fil rouge qui traverse le dernier ouvrage d’Oliver Douville, Figures de l’Autre, pour une anthropologie clinique. Ce livre se présente au lecteur avec, au moins, deux figures : l’une didac-tique, retrace l’histoire, l’autre, pragmatique, éclaire et détaille la pratique clinique. De sorte qu’il s’adresse autant aux étudiants et chercheurs qu’aux professionnels de terrain, débutants ou confirmés. Olivier Douville est psychanalyste. Maître de conférences en psychologie clinique à l’Université Paris-Diderot. Il est également membre de l’Association Française des Anthropologues et travaille à l’EPS de Ville-Evrard dans le 93. C’est sa longue expérience d’accueil, d’accompagnement et de soin avec des sujets en exil et leurs enfants, et son engagement en Afrique de l’Ouest auprès des mineurs en errance et en danger dans les rues qui sont les principales sources d’inspiration de son livre. Il fallait raconter aujourd’hui les incidences subjectives liées à différentes situations d’exil qu’on ne pourrait toutes réduire à des situations d’immigration. Aujourd’hui les consultations à destination des migrants se sont multipliées. La plupart d’entre elles accueillent des hommes et des femmes marquées par une accumulation de violences subies et de ruptures culturelles telles qu’on ne saurait les réduire à un seul profil typique de migration. Quitter des sols inhospitaliers, irrespectueux des droits de la personne, et violents sont des conduites qui se  généralisent et le fait que les migrations actuelles vers l’Europe ou le Nouveau Monde soit le fait de femmes va dans ce sens là. Aussi toute lecture univoque de l’exil qui réduit cette expérience à un trauma ou à une perte sèche n’est maintenant rien d’autre qu’une dramatisation obsolète. Le migrant, certes, mais aussi le réfugié, celui qui porte encore en lui la dignité d’un monde culturel quitté, et celui qui souffre de la débâcle que les violences politiques ont infligé à ses cohérences sociales et culturelles, la femme donnant naissance en terre d’exil, l’adolescent et l’enfant de migrants refusant qu’on le considère comme un sujet « tra-ditionnel » : voilà tout un ensemble de personnes, de destins et de subjectivités qui ont rencontré le psychanalyste Olivier Douville.

Ce livre a pour lui une ambition vaste. En lisant son programme on peut le décrire comme étagé sur trois plans. D’abord, nous lisons une analyse très aboutie des rencontres et des malentendus entre la psychanalyse et l’anthropologie reposant sur quatre temps  forts. L’histoire des noces et des divorces entre l’anthropologie et la clinique entremêle quatre récits : Freud et les anthropologues de son temps, Devereux et les retombées de son ethnopsychiatrie envisagées dans leurs diversités et leurs hétérogénéités, les amours et désamours entre structuralisme anthropologique et structuralisme psychanalytique, enfin les nouvelles opportunités de dialogues que peuvent nouer des cliniciens avec des théoriciens et des praticiens de l’anthropologie des mondes contemporains.  Viennent ensuite des relations détaillées de rencontres cliniques qui se sont déroulées à l’E.P.S de Ville-Evrard ou encore à Dakar ou à Bamako, et des fragments de cure analytique aussi permettent d’entendre les façons qu’à l’auteur d’entendre les articulations possibles entre blessure psychique singulière et trauma historique. D’où un retour aux dites cliniques de l’exil, et, tout particulièrement une longue relation de cure où a flambé la dimension des héritages actuels de la traite Atlantique. Ni l’anthropologie, ni la psychanalyse ne fonctionnent dans cette pratique comme des machines d’imposition du sens ou d’interprétation « culturaliste » close, et se trament dans le transfert, les possibilités pour chacun de dépasser les clivages et les amnésies prescrites pour un devenir en ouverture qui lit et fait usage de la culture, au singulier. La patiente et rigoureuse déconstruction de la catégorie d’ « enfant-ancêtre » auquel se livre l’auteur étant sur ce point à conseiller pour sa rigueur et son probant.

Ce livre est bienvenu. Qui pourrait redouter qu’à un certain folkorisme ethnopsychiatrique succède un retour à l’orthodoxie psychanalytique misant trop aisément sur les invariants de la théorie freudienne et ne repensant pas, alors, ses dispositifs va vite se trouver rassuré et stimulé à la lecture de Figures de l’Autre. En effet, par de discrètes mais constantes notations, le psycha-nalyste qu’est Olivier Douville, sollicite et accueille les représentations culturelles, les étiologies coutumières, la place des objets parfois amenés en séance, les diverses logiques des interprétations des rêves. Mais jamais il ne clive, faisant du migrant un sujet inaccessible au dispositif de la cure. En cela il nous aide à comprendre qu’il ne suffit guère d’écouter les représen-tations traditionnelles de la maladie et du soin et d’entamer à ce propos un dialogue avec le patient pour obtenir la moindre efficacité thérapeutique que ce soit. Là encore ne suffit-il pas de faire surgir en parlant avec les patients les représentations communautaires à propos de l’enfant-ancêtre et de l’enfant-sorcier, pour situer la place que prend cet enfant dans le fantasme  parental, et aider à la traversée de ce fantasme. 

L’exemple de la petite Coumba au chapitre 7 de ce livre est ici très probant. Sur ces points, l’auteur rejoint la rigueur clinique des anthropologues et psychanalystes Jaak le Roy, fortement impliqué avec la pédopsychiatrie en République démocratique du Congo et Jacques le Roux, un des spécialistes des peuples Algonquins au Québec. Il indique aussi comment il s’est laissé enseigné par la psychopathologie africaine, relatant ses premiers pas à Dakar il y a une trentaine d’années de cela et exposant avec malice et minutie le dispositif thérapeutique Kotéba auquel il a participé à de nombreuses reprises, sorte de psychodrame traditionnel employé à l’hôpital de Bamako par Adama Bagoyoko dans le service de psychiatrie que dirige le Prof. Baba Koumaré. 

Enfin, un programme se tisse, en conclusion (que nous estimons provisoire) concernant les champs de recherches qui pourraient conjointement importer à l’anthropologue et au clinicien, chacun œuvrant dans sa cohérence de doctrine et de méthode : bouleversement des filiations, nouvelles configurations de la santé et de la maladie, nouveaux dispositifs thérapeu-tiques en lien avec l’évolution des modes d’accès au soin. 

Ecrit de façon vivante et claire,  une insolence joyeuse parfois, ce livre novateur repose sur une réelle culture et témoigne continûment d’un engagement net dans la recherche et le soin. Recommandé à tous et en premier lieu aux lecteurs qui attendaient que le dialogue entre la clinique et l’anthropologie soit provoqué et renoué en phase avec les logiques contemporaines des subjecti-vations. Dédié par Douville à ses étudiants, ce livre est un acte de transmission également pour les jeunes collègues.