L’ouvrage collectif dirigé par Yoram Mouchenik et Marie-Rose Moro, Pratiques transculturelles, les nouveaux champs de la clinique (In Press, 2021), aborde de manière stimulante des questions de clinique et d’éthique thérapeutique. Travailler auprès d’individus issus de différentes cultures semble sous-tendu par le souhait, bien agréable, de partager ces nouveaux repères avec d’autres praticiens.
Approche culturelle et transculturelle, un incontournable face aux migrations actuelles
Si le style des dix-sept articles diffère, chacun énonce, dans des contextes institutionnels spécifiques, l’importance de tenir compte de la dimension culturelle et transculturelle de la psychologie, surtout dans des contextes de migration récents. Des anthropologues, des psychologues, des pédopsychiatres abordent des situations pour lesquelles ils cherchent moins une impossible exhaustivité dans leurs arguments, qu’à mettre en avant des questions présentées comme nécessaires.
Ainsi, l’anthropologue François Laplantine, brosse un tableau authentique de Devereux, le fondateur de « l’épistémologie de la complémentarité ». Cécile Rousseau aborde quant à elle l’évolution des engagements politiques provoquée par la pratique clinique confrontée aux « enfants réfugiés et immigrants ». Riche de son expérience canadienne, elle (d)énonce les effets contre-productifs de procédures administratives destinées à accueillir des personnes traumatisées, car elles aggravent bien souvent leurs traumatismes.
Des articles, souvent collectifs, montrent de quelle manière la pratique transculturelle doit investir certaines institutions, pour répondre aux besoins des populations qui les sollicitent. Les praticiens sont riches d’une longue expérience et recourent à de nombreuses situations cliniques pour la partager avec le lecteur. Par exemple, concernant la périnatalité, Muriel Bossuroy et Hawa Camara détaillent avec minutie ce qui, dans une pratique de soins pourtant bien effectués, peut être perçu comme intrusif, violent, et finalement amener une femme à se sentir encore plus mal après en avoir bénéficié. Elles démontrent comment les éléments culturels gagnent à être pris en compte de part et d’autre pour permettre un échange respectueux entre une jeune mère et une équipe soignante. « Le cercle des poètes éphémères » (Silvina Testa et al.) restitue quant à lui un travail thérapeutique effectué au sein d’un groupe plurilingue, où l’enjeu est d’aider un enfant à circuler parmi les langues. De sa langue natale, de la langue de ses parents à celle de l’école, à celle du pays dans lequel il vit, l’objectif est d’insuffler du jeu en s’appropriant pleinement, c’est-à-dire avec poésie, le va-et-vient de la pensée qui cherche à entrer en communication. Un article sur les « mineurs non accompagnés » (Sevan Minassian et al.) situe d’importantes problématiques sociales, sociétales, psychologiques concernant ces jeunes dans l’errance.
Quelle adaptation pour les outils des cliniciens ?
Certains articles présentent différents tests d’évaluation. L’ELAL (« Évaluation Langagière pour Allophones et primo-arrivants ») notamment, montre l’importance d’adapter les tests dont l’objectif est d’évaluer des éléments qui peuvent mettre en jeu une origine culturelle différente — ce qui est plus souvent le cas qu’on ne l’imagine. Sa description illustre l’utilité de ces modifications et de ces adaptations à la première langue de l’enfant, puisqu’il décrit les différents repères qui pourraient mener à des diagnostiques erronés, ou à expliquer de manière inappropriée des difficultés d’acquisitions du français, au lieu d’aider à les résoudre. Après ces lectures, il devient difficile de ne pas souhaiter tenir compte des précisions que l’on obtient grâce à ces nouvelles approches.
Viennent ensuite des articles sur des pratiques thérapeutiques groupales et individuelles, qui rendent compte d’une actualité des questionnements en lien avec le transculturel sur le continent africain cette fois (Tchad et Cameroun). L’article d’Awa Camara sur « L’excision : une coupure au pluriel », présente l’accompagnement psychologique mené dans des « unités pluridisciplinaires de prises en charge de femmes mutilées sexuellement », en particulier dans le service de gynécologie-obstétrique de Montreuil où elle exerce. Elle aborde ces pratiques ancestrales, répandues dans plusieurs sous-continents et montre comment, grâce à de nouvelles pratiques chirurgicales, leur dimension traumatique en lien avec la perte du sentiment d’intégrité physique, la terreur d’une expérience dont on ne parle pas et dont on souffre dans la solitude, peut évoluer.
Penser le transculturel, intégrer les métissages
Ce livre insiste en filigrane sur l’importance de trouver tous les leviers possibles, afin de mieux se comprendre et communiquer. Pour éviter les malentendus qui risquent d’accentuer le sentiment d’isolement et d’incompréhension tant chez les patients que chez les praticiens, il importe de se doter de repères culturels sine qua non.
Le transculturel constitue aujourd’hui un important vecteur de réintégration de l’échange et du temps nécessaire à la compréhension de l’autre, dans les milieux hospitaliers ainsi que dans les institutions sanitaires et sociales. Une réflexion sur les multiples aspects du « métissage » y est déclinée, et chaque article appelle de ses vœux un dialogue interdisciplinaires et le projet d’enrichir les questionnements, les outils et les repères du clinicien (ou du futur clinicien) concernant sa propre clinique, quel que soit l’institution ou le lieu dans lesquelles il exerce.