Un anthropologue sur Mars

Un anthropologue sur Mars

Oliver Sacks

Editions Seuil, 2003

Bloc-notes

Un anthropologue sur Mars

L’auteur de  » L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau  » nous raconte, car il parle comme un conteur, sept nouvelles histoires « paradoxales », sept parcours individuels d’hommes ou de femmes atteints neurologiquement. 

Syndrome de Gilles de la Tourette, cécité totale aux couleurs, amnésie, autisme: autant de qualificatifs pour décrire les personnages de ce livre, qui sont aussi des « cas » cliniques. Mais la démarche de Sacks est celle d’un anthropologue qui tenterait d’explorer une civilisation inconnue, en s’immergeant dans son quotidien, de s’imprégner du vécu de ces hommes , de l’intérieur, en allant les regarder vivre et agir. Démarche d’empathie, désir d’une certaine innocence, qui conduisent O. Sacks, et le lecteur à sa suite, à  » prendre en compte la teneur et l’organisation de la vie tout entière » de ces patients. 

Sacks est un amoureux du cerveau humain. Il est fasciné par ses étonnantes possibilités de mutation, sa souplesse créative, sa plasticité adaptative. Quand une zone est lésée, quels mécanismes de suppléance se mettent en place pour permettre au malade, à chacun de nous, de se créer un « soi » intérieur en harmonie avec la réalité extérieure ? Oliver Sacks nous communique son admiration pour les « merveilleuses (encore que parfois dangereuses) capacités de reconstruction et d’adaptation que nous possédons tous ». 

Ces sept histoires que l’auteur nomme « paradoxales » le sont, non seulement parce qu’elles témoignent d’une extraordinaire richesse adaptative neuronale, mais aussi parce que ces hommes soit ont été atteints dans ce qui faisait l’essence de leur vie – le peintre coloriste, à la suite d’un accident, est atteint d’achromatopsie- soit ont choisi un métier qui semble radicalement incompatible avec la maladie – l’homme atteint du syndrome de Gilles de la Tourette est … chirurgien. 

Et c’est cela qui fascine Sacks : la superbe toile monochrome, l’opération magistralement réussie, l’autiste qui intervient dans des congrès internationaux, l’hypermnésique compulsif qui peint de magnifiques tableaux . Il y a quelque chose de séduisant dans la démarche de Sacks, ce quelque chose qui chercherait  » à voir le monde pathologique avec les yeux du malade lui-même » ( M. Foucault cité par O. Sacks ), mais il y a aussi quelque chose de séducteur, dans ce désir de voir, de partager, dans cette admiration communicative pour le génie humain. 

Oliver Sacks nous ravit, nous fait rire, nous convainc, mais nous convie à l’écoute d’histoires exceptionnelles qu’il rend charmantes grâce à son style léger, drôle, attachant et hautement visuel – et l’on comprend le désir de Peter Brook de mettre en scène une de ces histoires : « L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau« . 

Le lecteur est ainsi entrainé dans un monde étrange ou drôlatique, angoissant parfois, mais il est bien difficile de savoir s’il représente la vision propre du malade neurologique ou bien celle qu’en a Sacks, amoureux du cerveau.