Rochers de lettrés. Itinéraires de l’art en Chine
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Rochers de lettrés. Itinéraires de l’art en Chine

Musée Guimet. Jusqu’au 25 juin 2014

La Chine actuelle nous fascine et nous effraie. Croissance verti-gineuse, modernisation accélérée, immeubles qui surgissent à tout allure, vieux quartiers détruits sans scrupule, valorisation de l’argent, essor de l’art contemporain qui s’exporte partout. L’exposition du musée Guimet nous en montre un aspect totalement différent : une ambiance de beauté et de sérénité, propice à la méditation, (d’autant plus que les salles sont assez vides de spectateurs…).
Ici il n’y a pas la foule des grandes expositions, mais on y voit des choses merveilleuses et merveilleusement exposées. Que sont ces rochers que nous découvrons pour la première fois ?

C’étaient des pierres, ou encore des bois pétrifiés, issues de grottes ou fragments de montagne, que les lettrés posaient sur leur table. Chacune représente  la montagne et amène ainsi la nature entière sur la table du lettré, un macrocosme dans le microcosme, recréant dans le studio l’harmonie entre l’homme et l’univers. Simples pierres, dira-t-on, mais il se dégage d’elles une grande force évocatrice et des émotions esthétiques inattendues. On sent qu’elles viennent de loin, témoignant d’une temporalité infinie. Elles incitent à la contemplation.

Très recherchées par les collectionneurs, elles devaient avoir des caractéristiques qui leur donnaient un caractère unique et leur conféraient une valeur esthétique, morale et mystique : formes tourmentées, bizarres et insolites, aux textures ridées ou striées, avec des perforations et des ouvertures, jouant sur le dehors et le dedans, et le passage de la lumière. Formes en gestation. Entre la pierre et le bois, entre le rocher et l’arbre, car pour les anciens Chinois, les rochers furent un jour des arbres et les arbres sont peuplés d’esprits.

L’exposition confronte ces pièces très anciennes avec les œuvres d’artistes chinois modernes. Ainsi, les murs sont tapissés d’immenses peintures de Liu Dan et de Zeng Xiaojun qui proposent des répliques des formes minérales et végétales des objets exposés, révélant toutes les potentialités de la forme naturelle, organique, plongeant le spectateur dans un monde féérique.

Ces itinéraires de l’art en Chine empruntent les chemins de la rêverie. On imagine ces lettrés des temps anciens qui, bien que investis de fonctions officielles, s’offraient le luxe de s’adonner à la musique, la peinture, de longues conversations philosophiques, la poésie ou simplement la rêverie. Et on se prend à rêver à notre tour, d’un monde où nous serions moins envahis par le bombardement des images et des messages. Et de se dire que celui qui, juste avant de se coucher, fait ses mails en regardant un écran, et celui qui, outillé d’un pinceau et d’une pierre à encre, regarde sa pierre de montagne sur sa table, ne feront pas les mêmes rêves.