Sexologie et psychanalyse une association sulfureuse
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Sexologie et psychanalyse une association sulfureuse

De grands paradoxes et malentendus émaillent l’histoire des liens entre psychanalyse et sexologie. La psychanalyse est présente tout au long de l’histoire de la sexologie et les premiers sexologues seront des proches et des amis de Freud. La grande majorité des sexologues de la première moitié du 20è siècle seront naturellement des psychanalystes. En France, c’est Angelo Hesnard, le président de la Société Française de Psychanalyse, qui publia, en 1933, le grand Manuel de sexologie normale et pathologique qui restera l’ouvrage fondamental de cette discipline pendant des décennies. Plus près de nous, c’est Serge Lebovici qui créa et dirigea l’enseignement de sexologie à l’université Paris XIII et Pierre Fedida, opposant actif à la sexologie dans les années 1970, qui avait accepté, dans un esprit consensuel, d’être l’un des cinq directeurs d’enseignement du Diplôme Universitaire de sexologie à l’université Paris V. Je suis en cela honoré de lui succéder.

“On peut considérer la psychanalyse comme modèle d’un savoir sexologique”, soulignait Georges Abraham dans Psychanalyse et thérapies sexologiques, en 1978. C’est en effet Freud, le premier qui formula une théorie cohérente du fonctionnement de l’appareil psychique autour de l’énergie libidinale organisatrice du développement psycho-affectif. La révolution de 1905, avec les Trois Essais, a réveillé l’Occident en faisant prendre conscience de la réalité du monde sexué. La théorie psychanalytique a ensuite permis de comprendre les origines infantiles de la sexualité, de distinguer au plan symbolique sexualité et activité reproductrice, et d’estimer combien les valeurs psycho-affectives de la sexualité déterminaient les conflits intra-psychiques.

L’une des pierres d’achoppement entre la psychanalyse et les approches qui s’intéressent aux symptômes est le dogme – pour certains intangible – du déplacement des symptômes somatiques. Avec les Études sur l’hystérie (1893), Freud et Breuer montrent que les symptômes ont un sens, mais que cette conversion énergétique du conflit dans le corps ne peut que se déplacer si le conflit n’est pas résolu. La pratique ne confirme pas cette position théorique, on sait combien la guérison symptomatique n’entraîne pas obligatoirement le déplacement du symptôme (Eysenck, 1965 ; Rognant, 1974), et que le remaniement créé par cette disparition est souvent favorable à l’évolution de la relation interpersonnelle (Watzlawick, Weakland et Fisch, 1975). C’est ici que le symptôme sexuel apparaît avec une dimension particulière. En dehors de l’expression symptomatique d’une personnalité hystérique, le symptôme sexuel est toujours un symptôme relationnel (car il fait sens dans la relation à deux, souvent en écho avec un symptôme du partenaire). En ce sens il ne se déplace pas. Nous savons au contraire combien sa résolution peut être un facteur positif d’évolution du couple, lorsque celui-ci est pris en charge.

Changement de paradigme

Nous sommes ici devant un réel changement de paradigme, avec le passage de la prise en charge individuelle (modèle de la cure type et des thérapies analytiques) à la prise en charge du couple (modèle des thérapies familiales et systémiques), dans la mesure où le couple est la dimension vraie du symptôme sexuel. Qu’il soit initialement l’expression d’une problématique personnelle ou qu’il soit d’emblée un symptôme relationnel, le symptôme sexuel doit être envisagé au sein du couple qui lui donne un sens. Cette nouvelle approche se heurte cependant aux interdits classiques de la rencontre avec le conjoint, et doit donc reposer sur un modèle théorique différent (qui n’est pas réellement abouti aujourd’hui) et sur des approches stratégiques qui ne relèvent pas directement de la psychologie individuelle.

Un autre facteur de cette évolution et de ces malentendus a été l’échec relatif des prises en charge psychanalytiques de symptômes sexuels, la résolution du conflit inconscient ne les faisant pas obligatoirement disparaître. “Si cela s’avère exact en ce qui concerne les symptômes hystériques et phobiques, il n’en va pas de même pour les problèmes sexuels que présentent nos patients. C’est que le symptôme sexuel (même s’il est sous-tendu par une problématique névrotique) est d’une autre nature : il fait intervenir la relation à l’autre” (R. Gellman, 1991). C’est, encore une fois, dans la relation à deux que ce symptôme, initial ou secondaire, prend tout son sens. La résolution symptomatique est alors un élément de l’évolution du couple et non directement de la problématique individuelle. Autre pierre d’achoppement et de malentendu : le corps et le symptôme corporel. Classiquement le corps n’est, pour une psychanalyse orthodoxe, qu’un niveau fonctionnel de l’appareil psychique (Schilder, 1950 ; Dolto, 1984). Groddeck, dans un premier temps (1913), puis Reich (1942) et enfin Lowen redonneront une importance et une légitimité à l’expression corporelle des pulsions. Mais certaines positions psychanalytiques traditionnelles opposent toujours des réserves, des critiques, parfois même une hostilité à l’abord corporel en thérapie et au travail sur l’émotion. La sexologie utilise largement ces méthodes et les approches psycho-corporelles.

On peut enfin dire que cette opposition psychanalyse/sexologie relève de positions historiques qui sont aujourd’hui dépassées. Elles ont surtout été formulées dans les années 1970 à la suite du travail de Kinsey, puis de celui de Masters et Johnson, avancées majeures dans le domaine de la connaissance des réactions et des comportements sexuels, qui ont donné l’impression de vouloir réduire la sexualité au symptôme et au comportement. C’est Georges Lantéri-Laura qui dira : “Il n’existe pas plus de science du comportement sexuel que de métaphysique pour Kant : il existe bien des connaissances sérieusement établies et contrôlables, mais rien ne les unifie et elles ne forment pas un système” (Lecture des perversions, 1979). Ou Pierre Fédida : “Une sexologie peut être utile si elle n’est point normative et si elle reste descriptive de variantes fonctionnelles et comportementales : elle ne peut, en aucun cas, prétendre à être science de la sexualité et, à ce titre, justifier d’une théorie qui soutienne pouvoir se passer de l’inconscient.” (Nouvelle Revue de Psychanalyse, 1973). La sexologie ne prétend nullement pouvoir se passer de l’inconscient, car la théorie psychanalytique est l’une des sources naturelles de sa connaissance.

Ces malentendus qui existèrent dès l’origine, se sont accentués avec les années, de par l’approche différente qui était apparemment faite du domaine sexuel. La sexologie prend en compte le symptôme tandis que la psychanalyse s’intéresse aux conflits intra-psychiques dont le symptôme sexuel n’est qu’une composante. Cette divergence n’est en rien une opposition, à mon sens, car psychanalyse et sexologie ne se situent pas sur le même plan.

Il n’existe pas de sexologues !

La sexologie n’est en aucune manière une discipline, elle est un domaine de connaissances, elle est une compétence particulière pour des thérapeutes formés dans un champ clinique donné. En cela, je soutiens qu’il n’existe pas de sexologues, que ce terme ne peut en aucun cas être un substantif. Il n’est qu’adjectif et complément d’une qualification donnée. On peut ainsi être qualifié de médecin sexologue, gynéco-sexologue, psycho-sexologue, psychanalyste-sexologue (ce n’est pas incompatible !) dans la mesure où l’on tire notre compétence thérapeutique d’être médecin, gynécologue, psychologue, psychanalyste… La sexologie n’est qu’un corps de connaissances nécessaires à l’abord du symptôme sexuel qui nécessite aujourd’hui une lecture pluridisciplinaire obligatoire. Nos connaissances en matière de sexualité sont récentes et nous avons aujourd’hui un ensemble de moyens thérapeutiques, psychothérapiques, relationnels, médicamenteux, ne s’excluant pas les uns les autres, qui nous permettent d’aider la plupart des hommes, femmes ou couples, en difficulté relationnelle ou sexuelle.

Il est important de savoir que l’on ne peut pas prendre en charge un symptôme sexuel sans un bilan clinique, biologique, et relationnel, car l’on sait combien les symptômes purement psychogènes s’organicisent rapidement pour devenir des troubles somatiques. Cette approche peut être réalisée par le thérapeute lorsqu’il a une connaissance en sexologie, sinon en binôme avec un praticien spécialisé. Les psychothérapies sont pour une part spécifiques du trouble considéré, mais incluent tous les abords psychothérapiques, analytiques, comportementaux, cognitivistes et le domaine des approches psycho-corporelles.
Il y a quelques années, un grand hebdomadaire avait titré – tout le monde s’en souvient -“La fin des analystes, le matin des sexologues !” Cette opposition n’a pas de sens, elle ravive une guerre qui n’a pas de raison d’être, car tous, qui que nous soyons, nous aidons à l’équilibre tant psychique que somatique de nos patients. En cela le symptôme sexuel ne peut être ignoré.

Bibliographie

ABRAHAM, G., PORTO R. (1978). Psychanalyse et thérapies sexologiques. Paris, Payot.

BRENOT P. (1994). La sexologie. Paris : PUF, Que Sais-Je ?

BRENOT P. (1984). Dictionnaire de la sexualité humaine. Bordeaux, l’Esprit du temps.

DOLTO F. (1984). L’image inconsciente du corps, Paris, Seuil.

DURANDEAU A., SZTALRYD J.M., VASSEUR FAUCONNET C. (1998). Sexe et guérison. Paris, l’Harmattan.

GELLMAN R., GELLMAN-BARROUX C. (1991). Cahiers de sexologie clinique, 106.

HESNARD A. (1933). Manuel de sexologie normale et pathologique. Paris : Payot.

LANTÉRI-LAURA G. (1979). Lecture des perversions. Paris, Masson.

REICH, W. (1968). La révolution sexuelle, Paris, Plon.