Sous le vent de l’art brut
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Sous le vent de l’art brut

Sous le vent de l’art brut. Collection Charlotte Zander. Halle Saint-Pierre, 17 janvier – 26 août 2011

Art brut, art singulier, art naïf, art irrégulier, Outsider Art : on n’en finit pas de tenter de définir ce que serait l’art brut. Ces artistes ont en commun de n’être pas inscrits dans les circuits traditionnels des milieux artistiques, d’enseignement, des lieux d’exposition et de vente. Vivant pour beaucoup dans les lieux asilaires, marqués par la solitude, souvent une maladie ou un handicap, une marginalité imposée ou voulue, voire l’exclusion, ils sont néanmoins à l’heure actuelle l’objet d’un intérêt grandissant. La Halle Saint-Pierre, qui se consacre depuis longtemps à faire connaître ces artistes singuliers, expose jusqu’à l’été une impressionnante collection qui vient du musée de Bönnigheim en Allemagne.

L’exposition nous fait voyager dans des mondes multiples et étranges. On ose à peine avouer que si certaines expositions d’art contemporain inspirent ennui, impression de vide, voire désespoir, ici on est saisi par des imaginations débordantes, des poésies fulgurantes, des images d’une force inouïe. Au-delà de l’anecdotique chez certains, la dimension tragique est toujours présente. On sent qu’il ne s’agit pas de se faire connaître dans le monde de l’art, ni de vendre, ni d’exprimer une image de soi, mais que c’est une question de vie ou de mort.

De salle en salle, chaque artiste nous entraîne dans un univers puissant et personnel, affirmant très fort sa singularité, loin des impératifs de la mode. Il est presque difficile de passer de l’un à l’autre, tant chacun a construit un monde à part entière. On est saisi par la force du fantasme. Qui a dit que la personne handicapée ou psychotique n’aurait pas de fantasmes ?

En voyant ces œuvres, on se dit qu’il faut vraiment cesser de dire que l’art brut est un art naïf, car elles sont très complexes quant à leur contenu et très sophistiquées dans leur facture, proposant chacune une manière d’occuper l’espace, d’utiliser les couleurs, de mélanger écriture et images.

Il y a des choses familières traitées de manière étrangement inquiétante ; il y a de l’inquiétante étrangeté traitée de manière familière, ou apparemment familière. Derrière l’apparence, il y a d’autres mondes, derrière chaque chose réelle, il y a une chose rêvée.

Ces artistes posent la vieille et antique question, inaugurée par Aristote avec son fameux texte sur le génie et la mélancolie, de l’articulation entre folie et création, et de manière plus actuelle, dans le monde médico-psycho-social, de la différence entre le handicap mental et le handicap psychique, qui donne lieu à bien des confusions, voire des amalgames. Ils montrent que cette question – folie ? handicap ? – n’est pas pertinente en regard des processus de création, dont ils font apparaître l’universalité. La psychose, le handicap ne sont ni créateur, ni anti-créateur. Il n’y a pas un art du schizophrène ou un style artistique spécifique du handicap.

Il faut reformuler le problème, à la lumière des travaux de la psychanalyse contemporaine, qui envisage le fonctionnement psychique comme multiple : parties psychotiques et non psychotiques de Bion, le trou noir de la psyché de Tustin qui postule qu’il y a des enclaves artistiques même dans les personnalités névrotiques. Pour Michel Thévoz, spécialiste de l’art brut, ce qui caractérise l’artiste, tout artiste, c’est qu’il est capable d’exploiter toutes les potentialités psychiques, y compris les potentialités psychotiques. Folie, handicap, déficience … Les artistes exposés à la Halle Saint-Pierre, montrent qu’ils constituent une force positive et précieuse, au service de la création artistique.