Thierry Bokanowski : Clinique(s) du traumatisme – traumatisme, traumatique, trauma
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Thierry Bokanowski : Clinique(s) du traumatisme – traumatisme, traumatique, trauma

Thierry Bokanowski : Clinique(s) du traumatisme – traumatisme, traumatique, trauma

Thierry Bokanowski clôture le cycle des Conférences d’Introduction à la Psychanalyse (CIP) de la SPP par une conférence claire et rigoureuse : Clinique(s) du traumatisme – traumatisme, traumatique, trauma.

Il nous invite à un voyage dans le temps et les cliniques du traumatisme. S’appuyant sur l’évolution du concept de traumatisme chez S. Freud ainsi que sur les apports de S. Ferenczi, il nous propose de différencier dans un premier temps les trois termes énoncés, précisant ce que chacun caractérise du point de vue du fonctionnement psychique et de ses assises inconscientes.

Dans un second temps, il les décline en leur attribuant des valences différentes au regard de l’organisation psychique et des paramètres auxquels ils nous confrontent lors de la cure psychanalytique. Il tient cependant à préciser que le terme de traumatisme, qui en grec signifie « effraction » est à distinguer du stress qui se définit par une situation de vigilance psychique liée à une angoisse réveillée par un danger potentiel.

Mais venons-en au cœur de notre sujet. T. Bokanowsky réserve le terme de traumatisme pour désigner un niveau de désorganisation plutôt secondaire qui n’entame pas la relation d’objet ni l’intrication pulsionnelle et se réfère au traumatisme sexuel de la théorie freudienne de la « séduction ». En revanche, la notion de trauma définit la logique traumatique à un niveau plus précoce, plus archaïque, qui compromet les investissements narcissiques et par conséquent la constitution du moi.

S’y ajoute le troisième terme de traumatique qui décrit un fonctionnement psychique commun aux deux autres variétés traumatiques et engage la compulsion de répétition. Dans ses premières théorisations (1890-1897), S. Freud rapporte l’étiologie des névroses des patients à leurs expériences traumatiques passées. Dès lors, l’idée du traumatisme et celle de l’événement traumatique feront partie de ses ”fils rouges” et le resteront jusqu’au terme de son parcours théorique. Ainsi, dans le cadre de la première topique, le traumatisme se réfère au fantasme sexuel et est intimement lié à la  « théorie de la séduction ».

En 1905, il développe les théories sexuelles infantiles et postule que tous les traumatismes et les conflits psychiques sont à référer aux fantasmes inconscients et aux fantasmes originaires : séduction, castration, scène primitive, pour ne citer que les plus connus. Les angoisses qui s’y rapportent tissent ainsi la réalité psychique interne et rendent possible l’organisation œdipienne, articulée au narcissisme, à la bi-sexualité psychique et à l’identification.

A partir de 1920, dans l’élaboration de la seconde théorie des pulsions, le concept de traumatisme devient la métaphore des apories économiques de l’appareil psychique. Il se représente en terme « d’effraction du pare-excitation » et la « détresse du nourrisson » qu’il entraîne devient le fondement de l’angoisse par débordement. Ainsi, le signal d’angoisse ne permet plus au moi de se protéger de l’effraction quantitative, externe ou interne ; il est remplacé par la paralysie, l’effroi du sujet face à un excès d’excitation.

En 1926, dans sa nouvelle théorie de l’angoisse (Inhibition, Symptôme, Angoisse), S. Freud met l’accent sur le lien entre le traumatisme et la perte d’objet. Mais c’est à la fin de son œuvre, en 1939 (L’homme Moïse et la religion monothéiste), qu’il précise que les expériences traumatiques peuvent entraîner des atteintes précoces du moi, une blessure narcissique, dont l’inscription psychique a valeur de trauma.

Ainsi, il envisage deux destins possibles du traumatisme : positif et organisateur, il permet « répétition, remémoration, élaboration » ; négatif et désorganisateur, il entraîne un clivage qui empêche toute transformation processuelle. S. Freud passe de la notion de traumatisme, inhérent à l’organisation psychique et au développement du complexe d’Œdipe, à celle de trauma. Explorons à présent les apports cliniques de Ferenczi dans ses écrits techniques et théoriques publiés entre 1927-1928 et 1933.

Sa contribution majeure s’attache à la théorie du trauma. Il précise que son origine n’est pas seulement liée aux conséquences d’un fantasme de séduction mais aux avatars d’un certain type de destin libidinal lié aux expériences primaires du sujet avec l’objet.

Ainsi, la « confusion des langues » entre le langage de la tendresse de l’enfant et le langage de la passion de l’adulte, prend valeur d’excitation sexuelle prématurée. Tout comme les réponses inadaptées de l’objet face à la situation de détresse de l’enfant, en « trop », présent ou absent, viennent empiéter sur son psychisme naissant compromettant la constitution de sa psyché, mutilant à jamais le moi. L’expérience avec l’objet qui « n’a pas pu avoir lieu », entraîne une « auto-déchirure », un clivage auto-narcissique. La partie du moi laissée vide est remplacée et réorganisée en une « identification à l’agresseur ». Le sujet clive sa « propre personne en une partie endolorie, brutalement détruite et en une partie omnisciente, insensible ». L’intériorisation de l’objet primaire défaillant entrave le processus de liaison pulsionnelle, crée des défaillances narcissiques et d’importantes carences représentatives. T. Bokanowski poursuit sa réflexion dans le contexte de la situation analytique.

Le traumatisme, secondarisable et secondarisé, est spécifique d’un fonctionnement de type « névrotique » et est régi essentiellement par l’après-coup. Lors de la cure, le noyau traumatique de la névrose infantile devient le moteur du conflit psychique et du déploiement de la « névrose de transfert ». Cependant, le traumatisme peut s’avérer désorganisateur lorsque la réalisation interne des fantasmes inconscients et la réalisation externe du désir se « télescopent ». Le sujet ne peut plus distinguer le fantasme de l’événement, conduisant à ce que C. Janin nomme « collapsus topique ». Le traumatique désigne quant à lui un aspect plus spécifiquement économique, en relation avec l’impréparation, ainsi qu’un défaut de pare-excitant.

On retrouve le traumatique dans le champ qui va des « névroses de guerre », aux pathologies consécutives aux catastrophes sociales ou naturelles. Le trauma, très présent dans la clinique actuelle, confronte le psychanalyste à des souffrances identitaires : les zones psychiques de fragilité structurelle, dissociées, douloureuses, soumettent le fonctionnement psychique à d’importants clivages. L’échange analytique peut alors être dominé par des modes de relation allant de la persécution au désespoir. Le processus interprétatif ne peut plus veiller au contenu fantasmatique porteur de sens et moteur des processus associatifs, mais doit, en premier lieu rétablir, voire établir, un objet contenant et pare-excitant.

Le psychanalyste, dans son travail de contre-transfert, se devra d’être particulièrement vigilant à maintenir la continuité psychique, garante d’une contenance qui a autrefois tant fait défaut.

Carole Serna
Psychothérapeute, Psychanalyste à l’Institut de Psychanalyse de Paris