J’ai rencontré Michel Soulé en 1994 dans le centre de diagnostic anténatal de l’Institut de Puériculture de Paris (IPP) dirigé alors par le docteur Fernand Daffos . Une rencontre exceptionnelle qui allait me faire découvrir tout un monde nouveau, celui de la psychiatrie fœtale. A cette époque l’échographie et les techniques d’investigation du fœtus étaient en plein essor. Le fœtus n’appartenait plus seulement à la mère. Il était devenu le petit patient d’une équipe qui allait le soigner ou l’éliminer selon la gravité de son état.
En parfait visionnaire qu’il était, Michel Soulé a vite compris que ce qui se passait dans ces services allait soulever des questions éthiques fondamentales et que les psychiatres et psychologues allaient occuper une place importante dans la construction de cette nouvelle discipline. Comme toujours, Michel Soulé savait échanger avec les somaticiens et après quelques mois d’apprivoisement mutuel, Fernand Daffos l’a accueilli dans son service. Il y venait tous les jeudis matin au staff du 4ème étage, là où je l’ai rencontré mais aussi en salle d’échographie où il prenait beaucoup de plaisir et de malice à se présenter aux futurs parents comme « stagiaire » du Dr Jacquemard. Grâce à son humour salvateur il pouvait manier avec une aisance déconcertante des concepts explosifs comme la haine! Il avait bien compris que les membres de l’équipe devaient maîtriser leurs fantasmes violents de destruction au même titre qu’ils avaient à le faire quand, enfants, ils avaient appris la grossesse de leur mère.Un jour il s’était même risqué à parler de la méchanceté des échographistes et m’avait sollicité pour écrire avec lui sur ce thème. J’osais à peine revenir dans le service de crainte de représailles et pourtant tout se passa au mieux! Avec son talent habituel, il avait juste su susciter la curiosité de l’équipe sur ce sujet sans qu’elle ne se sente menacée et jugée. Un vrai magicien !
A cette époque les réflexions sur cette nouvelle clinique commençaient dans le groupe pluridisciplinaire intermaternités de St Vincent de Paul. Michel Soulé y a donné un grand élan en nous proposant à Luc Gourand, Sylvain Missonnier, et moi-même de nous associer à la réalisation d’un projet multimédia sur les aspects psychologiques de l’échographie de la grossesse. Ce fut une aventure passionnante de 2 ans même si ce n’était pas toujours facile d’être la seule femme parmi ces fortes personnalités masculines qui prétendaient en savoir plus sur le vécu des femmes enceintes que les femmes elles-mêmes. Nul n’est prophète en son pays ! Mais j’ai beaucoup appris de ces vives discussions et je me suis faite de vrais amis que je retrouve toujours avec beaucoup de plaisir. Sans doute que l’accueil de Michel Soulé, son humour, le fidèle gâteau au chocolat et le jardin place du Panthéon y ont bien contribué ! Un grand regret pour Michel Soulé, c’est de ne pas avoir pu dialoguer avec Freud autour de l’inquiétante étrangeté car selon lui l’échographie de la grossesse en était le paradigme.
Puis ce fut l’aventure du Que-Sais-Je sur la Psychiatrie fœtale qui débuta au Mas du Soleil dans sa maison du midi. Travailleur infatigable, il me proposait de commencer la rédaction dès le matin mais souvent le soir après dîner nous y étions encore. Afin de m’encourager il me racontait ses journées de travail interminables avec Serge Lebovici au moment de la rédaction douloureuse de leur livre La connaissance de l’enfant par la psychanalyse. Je garde un excellent souvenir de ce moment car c’était un vrai travail d’échange, d’écriture et de réflexion commune, souvent entrecoupé d’anecdotes truculentes et toujours agrémenté de collations des plus savoureuses.
Ce Que-Sais-Je rédigé ensemble a eu pour moi valeur de rituel initiatique et peu de temps après j’ai écrit mon propre livre Le berceau vide dans lequel je relatais mon travail de psychanalyste dans les situations de deuil périnatal. Michel Soulé en a fait la volte-face. Il était alors très affecté par la fermeture du service du Dr Daffos.
Il a continué à m’encourager à écrire et à publier. Tout récemment encore alors que je lui rendais visite à Broca, il s’intéressait à mes recherches sur le deuil périnatal et me proposait d’en discuter avec lui « Revenez quand vous voulez, je peux avoir encore quelques idées » m’a t-il lancé quand je suis partie. Des idées oui il en avait, plusieurs à la fois, sur tout sujet, amusant ou sérieux ! Des idées pour le plaisir de communiquer, d’échanger, de réconforter et de rire .
Merci monsieur le Professeur pour m’avoir permise de vivre cette belle aventure intellectuelle, drôle et humaine que j’ai envie de poursuivre avec mes compagne et compagnons de route.
Merci pour tout ce que vous m’avez appris et que j’ai envie de transmettre à mon tour .
Merci pour votre affection bienveillante, votre humour en toute circonstance et votre amour de la vie qui faisait de chaque rencontre un moment de grâce.