La langue est aveugle et le corps est parole. Aussi pour comprendre la parole d’un auteur faut-il laisser flotter son écoute, afin d’entendre quelque chose qui n’est pas inscrit dans la trame de ses lignes mais qui s’est frayé un chemin malgré lui au cœur de son style. C’est par là que le lecteur entre en contact avec les mouvements inconscients de l’auteur. Le corps du texte devient alors une surface d’inscription de l’inconscient qui avait guidé sa main.
Lorsque Yoann Loisel écrit sur Louis-Ferdinand Céline, c’est bien en analyste à l’écoute du corps qu’il opère, il s’écarte ainsi d’une démarche anamnestique et pathobiographique strictement linéaire afin d’exploiter le rythme célinien et d’excaver de ses replis l’archaïque et le corporel nichés dans la structure de sa langue. Car l’analyste n’est pas dupe, Céline ment dans l’écriture, c'est-à-dire qu’il tisse le recouvrement de ce qui le pousse à écrire. Un drame ? un abus ? un trauma ? C’est la logique du négatif qui vient ici se révéler dans sa dimension paradoxale emboîtant le pas de l’enfant traumatisé qu’est Céline : se taire est impossible, alors il vocifère, il vomit, parfois dans une oralité débordante, mais sa langue reste quant à elle liée par le secret. Et Céline recouvre de haine ce qui aurait pu être trop tendre, là aussi il ment dans sa demande d’amour, au risque de nous faire vivre l’insoutenable de son écriture, son insoutenable à lui probablement. Mais il aura laissé beaucoup de lecteurs sur la touche, les interrogeant sur leur désir de supporter son débordement de haine, qui, s’il est capable de nourrir sa création, la détruit tout autant. Difficile de l’aimer souvent…
Car la question se pose comment aimer Céline…