Le cas clinique qui va suivre illustre d’un point de vue quelque peu particulier la question du devenir à long terme de la dépression à l’adolescence. Sa particularité est la suivante. Le patient dont l’histoire sera brièvement évoquée a fait état, au moment de notre rencontre et par la suite, d’un état dépressif sévère au moment de l’adolescence, qu’il a décrit de façon tout à fait classique au plan clinique. Notre travail de consultation thérapeutique sur une période d’environ quatre ans a donc intégré cet élément comme une donnée à la fois non contestable au plan anamnestique, et pertinente du point de vue de notre élaboration commune. Cependant, peu avant notre séparation, d’autres éléments sont apparus, montrant que l’épisode présenté par le patient à l’adolescence n’était absolument pas un état dépressif. C’est son état clinique au moment du début de la consultation, tel que celui-ci est compris à partir d’un épisode initial supposé dépressif, ainsi que le décalage entre son souvenir et ce qui avait réellement eu lieu à l’adolescence d’un point de vue médical, qui feront l’objet du présent texte.
Cet homme se présente à la consultation de psychiatrie de son secteur alors qu’il est âgé de 56 ans. Il est fils unique, et ses parents sont décédés depuis plusieurs années. Il a divorcé depuis peu, vient d’aménager à Paris, ville qu’il ne connaissait pas en dehors de son travail, et il vit seul. Depuis de nombreuses années, il occupe un emploi de gardien dans une administration publique. Il n’a pas de formation particulière et n’a pas eu le baccalauréat. Il consulte parce qu’il dit craindre le choc de cette nouvelle vie, d’autant plus qu’il éprouve un certain nombre de vagues troubles : anxiété, ou plutôt “stress”, insomnie, il est aussi “peut-être, un peu déprimé”. On a évidemment tendance à établir un lien entre ce début de mouvement dépressif et la récente séparation, mais il le récuse : au contraire, dit-il, cela faisait plusieurs années que sa vie avec sa femme ne lui apportait rien, la séparation a été, pour lui, un soulagement. La seule chose qui l’étonne quelque peu dans ce divorce est que c’est sa belle-sœur, la sœur de sa femme, qui le lui a annoncé. Il ne comprend pas pourquoi sa femme ne lui a pas dit ellemême qu’elle voulait qu’ils se séparent, “mais, ajoute-t-il, il est vrai que nous ne nous parlions pas beaucoup”. Le couple a eu un fils, qui au moment de leur séparation termine ses études secondaires. Il est resté vivre avec sa mère, le patient dit que, “bien sûr”, il est en contact avec lui, mais que leurs rapports n’ont jamais été très proches. “Peut-être un peu au début, précise-t-il, mais je crois que mon ex-femme l’a accaparé très vite, et puis peut-être je n’ai pas beaucoup insisté de mon côté…”. Il trouve son travail très ennuyeux et il attend la retraite avec impatience. En revanche, il a une passion : la musique pop et rock classique (les Beatles, les Stones, les Pink Floyd…), c’est-à-dire la musique de son adolescence, et il pratique en amateur la guitare et joue de temps en temps avec un ou deux amis. En été, il lui arrive d’utiliser ses vacances pour faire avec eux une tournée des villes balnéaires sur la Côte atlantique ou, plus rarement, sur la Côte d’Azur. Ils vont jouer pendant deux ou trois soirées dans des petits bars ou cafés, “cela nous permet d’avoir l’hébergement et un peu d’argent de poche ; de toute façon, ce n’est pas avec mon salaire que j’irais en vacances à la mer”.
La première impression est assez indéterminée. On a le sentiment d’être face à quelqu’un d’un peu étranger à soi-même, comme privé de communication avec son monde interne. Bien que plusieurs éléments soient évocateurs d’un état dépressif (la récente séparation, le déménagement, l’isolement, et bien sûr, quelques éléments cliniques), son état semble plus ancien, et peut-être plus “constitutionnel”, en quelque sorte. On pense à une “dépression essentielle”, au sens psychosomatique, idée renforcée par le fait qu’il rapporte quelques troubles thyroïdiens récents -mais, a contrario, la vivacité mimique et psychique dont il fait montre en parlant de son amour pour la musique rock contrarie cette hypothèse. En définitive, c’est la première impression qui l’emporte : voilà quelqu’un d’“étranger à lui-même”, terme qui, s’il ne constitue pas de diagnostic, semble le plus adéquat pour permettre de réfléchir et de dialoguer avec lui.
Dans les consultations qui vont suivre, l’état clinique va prendre une allure plus franchement dépressive, au point de justifier un léger traitement antidépresseur, qui aura des effets bénéfiques. Le patient dit : “Je ne peux pas dire que je vais mal, je n’ai pas de quoi me plaindre en dehors de l’argent qui manque toujours et de mon travail qui m’ennuie, mais enfin, tout cela n’est pas nouveau. Je suis un peu comme un mort-vivant. Je ne fais plus de musique, ça ne me dit rien. Je rentre du travail, je reste à la maison sans rien faire, et puis, tout est cher à Paris, on ne peut pas sortir quand on a un petit salaire et une pension alimentaire à payer”.
C’est alors qu’il commence à parler de façon plus détaillée, et toujours en réponse aux questions posées, de la “dépression” qu’il avait présentée lorsqu’il était jeune, entre 17 et 22 ans, et qu’il avait déjà signalée au premier entretien. Au fil des consultations, ce premier épisode dépressif prend une ampleur considérable, au fur et à mesure que son état actuel et le travail psychique partagé convoquent son souvenir. L’épisode aurait commencé vers la fin de l’adolescence et pourrait expliquer, du moins en partie, l’échec de ses études secondaires. La vie qu’il décrit avant cette période semble assez ordinaire. Son père, cadre d’entreprise, est présenté comme un homme “dur”, distant, n’ayant que mépris pour les goûts musicaux de son fils et pour ses mauvaises performances scolaires ; “de toute façon, dit-il, mon père n’aimait pas les gosses, lui-même avait été élevé dans l’assistance publique”. En revanche, le patient avait une relation très proche avec sa mère, qui était au foyer. “Cela, dit-il, venait du fait qu’elle avait perdu un premier garçon, mort à l’âge de deux ans d’une méchante grippe, c’était quelques mois avant ma naissance”. La dépression de son adolescence semble commencer avec la maladie de la mère, qui va souffrir d’un cancer pendant trois ou quatre ans, avant d’en mourir, lorsque le patient avait 22 ans. C’est au cours de cette période qu’il connaîtra son unique hospitalisation psychiatrique, dont il ne garde aucun souvenir précis, si ce n’est la description de sa dépression. “Je me souviens que j’étais complètement bloqué… Rien ne m’intéressait, je ne pensais à rien… Mais j’étais très triste, la vie n’avait pas de sens pour moi. C’était une tristesse profonde”. Malgré l’évidente coïncidence entre cet état dépressif et la maladie, puis la mort de sa mère, il semble comme découvrir, au cours des entretiens, les liens entre les deux événements. “Ben oui, dit-il, ça doit être ça… En fait, je n’étais pas si bête que ça, quand j’étais plus jeune. Mais après ma dépression, et après la mort de ma mère, je n’avais ni diplôme ni rien, j’ai pris le premier boulot qui s’est présenté (celui qu’il exerce toujours, trente ans plus tard) et j’y suis encore”. Au cours de cette même période de son entrée dans la vie active, il a rompu tout lien avec son père et, quelques années plus tard, à l’âge de 30 ans, il a rencontré sur son lieu de travail celle qui allait devenir sa femme, dont il venait de se séparer.
Après environ deux ans de suivi, une certaine histoire psychopathologique prend progressivement forme au fil des entretiens. Elle pourrait, ou aurait pu, illustrer un aspect de la discussion concernant le destin des états dépressifs à l’adolescence. A l’évidence, dans son cas, ce destin a été des plus marquants car, d’une certaine façon, ce patient n’est jamais sorti de cette première dépression. Quelque chose était resté comme définitivement mort en lui : comme une identification à un frère mort, inconnu, sans visage, mais agissant dans la rivalité, capable d’attirer définitivement la mère vers lui. Ou encore comme une forme d’introjection de mère morte (Green), tardive, mais toujours présente en lui, et toujours silencieuse. Pas une identification narcissique au sens de la mélancolie ; ce patient n’a pas organisé de pathologie maniaco-dépressive, l’objet n’a pas pris possession du moi. Mais comme une sorte de déception permanente et anticipée face à l’objet, et donc face à tout nouvel objet, comme une certitude que l’objet ne peut qu’être décevant, ou se dérober, et qu’il convient donc de rester mesuré dans notre investissement de lui : point trop de joies, et point trop de peines. Un seul objet, rescapé de la catastrophe parce qu’ayant eu une existence antérieure, survit et est autorisé à recevoir un véritable investissement libidinal sans risque de perte : la musique rock. Et voilà comment cet homme d’âge désormais mûr, fondamentalement solitaire et globalement déçu par la vie, retrouve dans les morceaux de rock des années 1960 quelque chose d’une adolescence d’avant la déception, tout droit sortie de son musée personnel, tout comme le rock qu’il affectionne.
Ce genre de destin de l’épisode dépressif majeur de l’adolescence, lorsque “épisode dépressif majeur” a réellement eu lieu, est sans doute assez typique. Il semble que, généralement, il y a quelque chose dans l’adolescence qui s’oppose à la dépression. Non pas aux mouvements ou passages dépressifs, qui sont effectivement fréquents à cet âge, et qui sont en rapport avec la perte des objets de l’enfance que la transformation pubertaire impose à notre vie psychique. Mais, du fait même que ces mouvements dépressifs sont imposés par une dynamique pulsionnelle et évolutive, ils sont dans la majorité des cas empêchés de se constituer en syndrome clinique organisé et durable. Ils se manifestent en morosité, en opposition, en colère, en alternance d’agressivité et de culpabilité, en fluctuation thymique plus ou moins orageuse, en versatilité parfois déconcertante dans les investissements, en passages à l’acte : ils traduisent en permanence leur double nature de perte et de conquête, de disparition douloureuse de l’ordre ancien et d’attente pleine d’angoisse (et de secret espoir) de l’ordre nouveau. Tant et si bien que, lorsqu’un véritable état dépressif s’installe, sévère, durable et “unicolore” (c’est-à-dire, sans éléments autres que ceux de l’état dépressif lui-même), il connote plutôt un arrêt de cette dynamique propre à l’adolescence, et donc comporte sans doute le risque de laisser plus tard, chez les adolescents devenus adultes, ces zones de “nécrose” si caractéristiques chez ce patient, même lorsque ces sujets mènent une existence sans psychopathologie apparente majeure.
L’évolution du patient a confirmé cette façon de voir. Bien sûr, elle a été favorable, par les effets conjugués du traitement médicamenteux, de nos conversations et surtout sans doute de la valeur réparatrice du temps qui passe. Trois ans plus tard, il est proche de la retraite. Il a perdu le surpoids qu’il a acquis depuis sa séparation et se sent plus alerte et plus dynamique. Il a contrôlé une tendance à la surconsommation éthylique qui commençait à menacer son quotidien. Il a repris ses tournées estivales de rock. Quelques mois avant sa retraite, au premier entretien après les vacances, il annonce qu’il a une nouvelle amie, une femme qui partage ses goûts musicaux, et qui l’a accompagné pendant ses concerts d’été ; il en est content. Mais en même temps, quelque chose reste inchangé, et il l’exprime lui-même de façon très caractéristique : par exemple, en parlant de son amie, de son contentement d’être à nouveau avec une femme, il précise qu’il ne sait pas quel sera l’avenir de leur relation, puis ajoute la remarque suivante : “Je crois que je ne sais pas aimer, du moins les femmes… Je n’ai pas de sentiments à leur égard”. De même, il me dit qu’il voit assez rarement son fils, tout en pensant que celui-ci est content dans la formation d’artisan qu’il s’est choisie, et ajoute, sans émotion particulière : “Il n’était pas plus doué que moi pour les études”. A ce moment-là, la retraite est pour le début de l’année suivante ; il a déjà trouvé la petite ville de province où il va s’installer après la cessation de ses activités, loin de Paris et de sa vie chère, et près de la mer. Quelques mois plus tard, il quitte effectivement la région parisienne, content de sa nouvelle vie. Il ne donnera plus de ses nouvelles.
On pourrait terminer ici l’exposé sur ces quelques réflexions concernant le devenir de la dépression à l’adolescence, et avec évidemment toutes les précisions nécessaires, à savoir qu’il n’est pas question des “mouvements dépressifs” fréquents et caractéristiques de cet âge de la vie, mais bien des épisodes dépressifs graves et durables. Cependant, c’est à peu près à cette époque-là, quelques mois avant la fin de son suivi, qu’aura lieu la révélation signalée au début de ce texte. Le patient prépare ses affaires pour son déménagement, il ouvre des vieux cartons qu’il a entreposés tels quels dans sa cave après sa séparation, il retrouve des vieux papiers. Il tombe alors sur le compte-rendu de son hospitalisation lorsqu’il était adolescent, que sa mère avait tenu à récupérer après sa sortie. Il se souvient que nous avions beaucoup évoqué cette période de sa vie, au début de son suivi, deux – trois ans auparavant, et il l’amène à sa séance : “Tenez, ça parle de mon hospitalisation quand j’étais jeune… Je ne comprends pas tout, je vous l’ai apporté, je me suis dit que ça pourrait vous intéresser, moi, je n’en ai pas besoin”. Le document est issu d’un grand hôpital universitaire parisien. On y apprend que le patient y avait séjourné pendant pas moins de dix mois, le diagnostic étant celui d’une schizophrénie hébéphréno-catatonique, évoluant à bas bruit depuis le milieu de l’adolescence, avec quelques éléments paranoïdes pauvres et mal systématisés. Les traitements neuroleptiques de l’époque s’étant avérés assez peu efficaces ou assez longs à agir, la question de la sismothérapie avait été posée, mais finalement le patient a quitté le service partiellement amélioré, et avec une recommandation de suivi qui apparemment n’avait pas été respectée. Nous n’en parlerons pas, et nous n’y reviendrons plus jusqu’à notre séparation.
On peut évidemment discuter indéfiniment la question de savoir si ce patient avait effectivement présenté une schizophrénie à l’adolescence. Toutefois, ceux qui connaissent la schizophrénie, ce qui implique d’avoir suivi les jeunes patients qui en sont affectés sur des périodes allant de deux à trois décennies, voire plus, ne seraient pas trop surpris par cette évolution.
Le plus souvent, on connaît la schizophrénie par bribes. En psychiatrie d’adolescents ou de jeunes adultes, on assiste à la catastrophe qu’elle représente, à l’évolution mouvementée et chaotique de ses premières années, à son déferlement de destructivité et à ses tentatives de suicide, parfois fatales. En psychiatrie d’adultes et de secteur, on accompagne plutôt ses dégâts et ses situations les plus incurables, on console à défaut de guérir. Le suivi sur trente ans permet de constater qu’il existe un nombre non négligeable d’évolutions favorables, avec ou sans traitement, aboutissant à des existences de types divers, passant de plus en plus inaperçues dans des sociétés étant devenues elles-mêmes plus diverses qu’autrefois. On sait aussi que si, pour les nouvelles générations, le diagnostic de schizophrénie est quasi synonyme de chômage, avec ce que cela implique de désinsertion sociale et d’isolement, la situation se présente bien différemment, y compris pour les schizophrènes, dans une société de plein emploi : celle de mon patient quand il était jeune.
Ce n’est donc pas tant son évolution ultérieure, à la lumière de ce que nous apprenons de ses antécédents, qui retiendra notre attention, mais le décalage entre son discours et le compte-rendu médical d’il y a presque quarante ans. Mais y a-t-il, en fait, un décalage si important que cela ? Il est vrai que, lors de nos premiers entretiens, l’historique de sévère dépression à l’adolescence avait été accepté comme une donnée d’anamnèse médicale, et le travail s’était engagé à partir de ce fait, sans chercher à reconstituer -pour autant qu’une telle opération eût été possible- la symptomatologie de l’époque. En reprenant les notes des entretiens, les formulations dans lesquelles avait été consigné, lors des premières consultations, son témoignage de sa pathologie passée, peuvent prendre une double signification : “Je me souviens que j’étais complètement bloqué… Rien ne m’intéressait, je ne pensais à rien… Mais j’étais très triste, la vie n’avait pas de sens pour moi. C’était une tristesse profonde”. Il est question d’une inhibition manifestement motrice (“j’étais bloqué”), compatible avec une catatonie ; d’un arrêt de la pensée (“je ne pensais à rien…”) et d’une perte du sens de la vie, compatibles également avec un début de schizophrénie.
Donc, en définitive, si décalage il y a, celui-ci ne tient pas tant à la différence entre le discours médical du compte-rendu et celui anamnestique de mon patient, mais bien entre le verdict médical et son souvenir affectif : là où la médecine diagnostique une hébéphréno-catatonie, le patient, pour autant qu’il en sort, garde le souvenir d’une “tristesse profonde”. On a ici l’impression qu’un épisode psychopathologique grave de l’adolescence, fût-il psychotique, pour autant que le sujet échappe à la pathologie sur laquelle celui-ci aurait pu déboucher, est vécu a posteriori dans les termes et dans les tonalités affectives de la dépression, quand bien même l’épisode n’était pas du tout un état dépressif au sens nosographique du terme. Autrement dit : dans le souvenir que les sujets en gardent, quelque chose de la perte, et éventuellement de la perte irrémédiable, semble bien entrer en jeu dans la psychopathologie grave de l’adolescence, toutes figures cliniques confondues. Idée qui est également corroborée par la façon dont plusieurs patients psychotiques parlent des débuts de leur maladie, vingt ou trente ans plus tard, où la notion de dépression et les affects de tristesse occupent dans le récit de leur souvenir une place bien plus importante que ce que leur clinique de l’époque n’aurait laissé supposer.
Il semblerait donc que, avec le temps, on parle souvent en termes de dépression et de perte pour toute rupture psychopathologique grave de l’adolescence, quel qu’en soit la nature d’un point de vue diagnostique. Mais perte de quoi ? Si l’adolescence se caractérise en général par ce moment de perte du monde ancien et d’accouchement douloureux d’un monde nouveau, la perte dont il est question ici ne peut pas être celle de l’enfance révolue : la perte donc du passé. De cette perte témoignent déjà abondamment, et parfois bruyamment, les autres manifestations cliniques de l’adolescence, celles qui précisément ne sont ni épisodes dépressifs majeurs, ni pathologies psychotiques, et même les nombreuses manifestations non cliniques de cet âge de la vie. Il semblerait donc que cet arrière-goût douloureux de dépression et de perte que laissent derrière eux, a posteriori, certaines ruptures psychopathologiques majeures de l’adolescence, indiquerait la perte, non pas d’un passé, mais d’un avenir : la perte, par exemple, de ce qui aurait permis à ce patient de savoir aimer les femmes, ou de savoir être inquiet, ému ou intéressé par son fils. La perte, non pas de ce qu’on a eu, mais de ce qu’on n’aura jamais. Et que donc, d’une certaine façon, le destin de la dépression à l’adolescence apparaît comme le “destin dépressif” de toute rupture grave à cet âge de la vie, figure générique de l’après-coup de toute fracture de l’adolescence qui a fini par en dévier le cours normal.