Banditi dell’arte
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Banditi dell’arte

Halle Saint-Pierre, Paris
Jusqu’au 6 janvier 2013.

Il est de bon ton, dans les milieux de l’art et de la psychanalyse, de dire que l’art brut, cela n’existe pas (ou plus), car un artiste d’art brut est un artiste contemporain comme un autre. Pourquoi, alors, un tel engouement pour l’art brut à l’heure actuelle ? D’où vient cette impression, à voir les œuvres exposées ici, d’une richesse d’expression, d’une sollicitation émotionnelle, d’un foisonnement de l’imagination, que le spectateur, il faut bien le dire, ne trouve pas toujours dans des expositions d’art contemporain ?

Les œuvres des Banditi ont été rassemblées par Martine Lussardi, directrice de la Halle Saint-Pierre, qui arpente tous les pays à la recherche d’artistes inconnus qu’elle expose dans ce très beau lieu qui, d’année en année, nous invite à des découvertes étonnantes. Cette fois-ci, elles viennent d’Italie, provenant de collections qui voulaient montrer les pathologies, comme celle de Lombroso à Turin qui recherchait des productions artistiques de personnes déviantes, afin d’étayer ses hypothèses sur la dégénérescence. En fait, elles montrent que la déviance produit des œuvres qui sont au cœur du processus créatif.

Ainsi Le Nouveau Monde de Francesco Toris, carabinier, est une construction cosmogonique, complexe et étrange, réalisée entièrement avec des os d’animaux finement ciselés avec des outils de sa propre fabrication. Versino G., qui était responsable du ménage à l’hospice, lavait chaque jour les serpillères, puis en tirait les fils avec lesquels il tissait d’immenses vêtements qui ressemblaient aux manteaux de chamans qu’on a pu voir récemment au musée Branly (Exposition Les maîtres du désordre). Il portait lui-même ce costume pesant 43 kilos. Franco Belluci noue des câbles, des tuyaux ou des chambres à air autour d’objets variés, essentiellement des jouets, réalisant d’étranges assemblages, évoquant une enfance inquiétante. A Volterra, Fernando Nannetti grave, pendant neuf années, dans les murs en pierre de la cour de l’hospice où il réside, avec la pointe de la boucle du gilet que portaient les patients, des écrits ponctués de dessins qui forment une œuvre monumentale mesurant 70 mètres de long. L’établissement ayant été abandonné, il n’en subsiste que des photographies.

Si l’art contemporain est souvent relié au monde socio-politique et témoigne de la prise de position de l’artiste, ici rien de tel. Ces artistes sont indifférents à la reconnaissance sociale et ignorants des enjeux financiers. Loin du narcissisme dominant (je renvoie ici au remarquable Que Sais-Je de Paul Denis sur Le narcissisme), loin de nos congrès et de nos carrières, leurs œuvres relient l’ordre cosmique au monde psychique, donnant accès au surnaturel et au spirituel, sollicitant notre ouverture à l’inconnu chère à Bion, suscitant une expérience émotionnelle et esthétique au sens de Meltzer. Je crois que là est la raison de la fascination qu’elles exercent.

Dans notre monde régi par l’économie, la performance, la visibilité, où les artistes sont soumis aux impératifs du marché, où les universitaires sont pressés par le Publish or Perish, où les psychanalystes sont confrontés à de nouveaux patients qui bousculent leurs modèles et les obligent à innover, n’est-il pas réconfortant de rencontrer ces artistes si singuliers ?