Picasso. Bleu et rose
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Picasso. Bleu et rose

Décidément, Picasso n’arrête pas de nous surprendre. Une fois de plus, il nous fait découvrir – ou re-découvrir – des aspects de son œuvre. On croyait pourtant connaître cette période bleue, puis rose, dont certains tableaux sont très connus et ont été abondamment reproduits. Mais on a l’impression de les voir pour la première fois, ce qui est vrai pour un certain nombre d’entre eux, venus de musées lointains ou issus de collections particulières. D’autres, plus connus, prennent ici, dans l’ensemble impressionnant et magnifique de cette exposition, une nouvelle dimension.

L’exposition se centre sur quelques années, de 1900 à 1906. C’est en 1900, à dix-huit ans, que Picasso débarque à la gare d’Orsay, jeune peintre plein d’ardeur et d’ambition, qui cherche à Paris l’émulation artistique qui lui manque à Barcelone. Il veut se mesurer aux grands et en faire partie. Le Musée d’Orsay accueille, plus d’un siècle plus tard, les toiles réalisées pendant ces années de formation.

On y découvre un jeune Picasso, qui s’intéresse à tout, très réceptif aux courants novateurs de l’époque, Degas, Renoir, Monet, Van Gogh, Toulouse-Lautrec, mais aussi aux œuvres anciennes vues au Louvre, ou à l’art primitif découvert au musée du Trocadéro. Pendant ces quelques années, on voit un Picasso qui cherche en tâtonnant, mais trouve très vite à constituer son univers artistique, dont il déploiera les infinies facettes au cours de sa longue vie. Un Picasso très observateur de la vie parisienne, surtout la bohême montmartroise, dont il peint les figures poignantes, les déshérités, les marginaux. Un Picasso très éloigné de l’image qu’on se fera de lui ultérieurement, pas du tout mondain, mais au contraire très sensible à la misère, la tristesse, la solitude. Il avait visité l’hôpital Saint-Lazare où étaient internées les prostituées atteintes de maladies vénériennes. Ces œuvres de jeunesse sont très humanistes, exprimant toute la palette des émotions humaines. C’est un Picasso mélancolique aussi, ce qui n’empêche pas, comme chez tous les mélancoliques, vitalité, érotisme, pulsionnalité, humour. Mais ce qui frappe et retient le spectateur, c’est le regard mélancolique, sur des personnages qui sont étonnamment présents, malgré leur regard souvent absent. Le Repas de l’aveugle, les Pierreuses au bar, La Miséreuse accroupie, et surtout La Vie, réflexion énigmatique sur des thèmes chers à l’artiste, et qu’il développera largement : l’amour, le couple, l’enfant, la maternité, la mort. Et puis il y a ce bleu, extraordinaire, qui domine et envahit tout l’espace dans les premières salles, créant une ambiance grave et tragique. La magnifique Femme assise au fichu de 1902 baigne dans des camaïeux de bleus, qui l’enveloppent dans « une peinture mouillée, bleue comme le fond humide de l’abîme et pitoyable », comme l’écrit Apollinaire.

Ce n’est ni le bleu – mystique et cosmique – de Miro, ni celui – saturé et puissant – de Yves Klein, c’est un bleu avec lequel l’artiste explore la vie psychique dans ses moindres nuances. Pour Picasso, ce bleu correspond à « une nécessité intérieure de peindre ainsi ». C’est à la suite du suicide de son ami Carles Casamegas, personnage complexe aux comportements outranciers qui s’est tiré une balle dans la tête après une déception amoureuse, que Picasso, très obsédé par l’idée de la mort, ayant été confronté quelques années auparavant à la mort de sa petite sœur Concepcion, a commencé cette « période bleue », nommée ainsi par Apollinaire, son ami. « C’est en pensant que Casamegas était mort que je me suis mis à peindre en bleu ».

Puis il y a le passage du bleu au rose. Amoureux de Fernande, il s’éloigne des personnages tragiques qui cèdent la place aux figures de cirque et c’est avec les tendres saltimbanques au doux regard absent, que s’achève cette période. La Mort d’Arlequin, son double, est emblématique de cette fin, qui laisse place à une nouvelle période, avec les Demoiselles d’Avignon de 1917, pour s’ouvrir sur le cubisme, dont on peut voir actuellement les débuts et les développements, au Centre Pompidou (jusqu’au 25 février).