Bernard Bensidoun : Le sentiment continu d’exister à l’épreuve de l’adolescence
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Bernard Bensidoun : Le sentiment continu d’exister à l’épreuve de l’adolescence

Conférence de Bernard Bensidoun : Le sentiment continu d’exister à l’épreuve de l’adolescence

C’est à un voyage dans le temps que nous a conviés Bernard Bensidoun qui inaugurait la nouvelle saison du cycle 2020-2021 des Conférences d’Introduction à la Psychanalyse organisées par la SPP et rassemblant un large public français et international grâce à zoom.

Dans une langue accessible, Bernard Bensidoun nous a rendu sensible le parcours du bébé à l’adolescence justifiant son titre : « le sentiment continu d’exister à l’épreuve de l’adolescence ». Il nous a d’abord rappelé que c’est par l’expérience de l’absence de la mère que l’activité représentative du bébé se met en route et que se constitue l’objet. A l’aide de ses auto-érotismes et de l’objet transitionnel, qui possède à la fois les qualités d’être objectivement perçu et subjectivement conçu, le petit humain se crée un monde interne à partir de l’expérience de la perte et des retrouvailles, dans une succession d’après-coup qui constitue la trame narrative d’une vie. La perte et la capacité créative de représentation sont donc les conditions du sentiment continu d’exister qui permettent de faire face aux grandes angoisses et à la finitude. L’importance de la représentation est telle qu’elle dépasse la perception dans le sentiment continu d’exister. Ce sentiment peut être mis à mal par les transformations de la puberté qui produisent parfois une déchirure dans la trame des représentations.

L’exemple d’un patient adolescent « aquaboniste », selon l’expression de Serge Gainsbourg, a illustré cette impasse d’un impossible présent et d’un futur impensable. Pour cet adolescent comme pour un autre aquaboniste célèbre, le poète du texte freudien de 1915, Ephémère destinée, la vie ne valait pas la peine d’être vécue. Seule comptait la réalité dans sa cruelle finitude, suscitant la révolte ou le désespoir. Comme le poète qui, anticipant déjà l’hiver, ne pouvait apprécier la beauté d’un paysage d’été, le patient décrivait un douloureux dégoût du monde. Héros de la passivité, soumis à la réalité, il ne pouvait plus investir la vie de façon créative. Il nous faut investir cette vie coûte que coûte, telle qu’elle est, même si la lucidité s’approche de la mélancolie s’il en croit Freud dans Deuil et mélancolie également écrit en 1915. L’aquaboniste semble avoir perdu la capacité de s’illusionner, d’investir le futur comme espace de projection de ses rêves, à la différence des adolescents ordinaires décrits par Freud dans La psychologie du lycéen, petit texte empli de nostalgie écrit dans la même période.

Comment supporter une vie promise à la finitude sans trop de mécanismes de défense tel que le déni, s’interrogeait Bernard Bensidoun. Notamment pendant cette période d’adolescence qui confronte à une succession de deuils : celui du corps d’enfant omnipotent remplacé par un corps qui contraint à des choix sexués, celui des figures parentales, passage obligatoire vers d’autres objets. Bernard Bensidoun a illustré l’idée d’une créativité comme issue à l’écueil mélancolique par quelques anecdotes de la vie de Donald Winnicott. Envoyé sur l’initiative de son père à 13 ans en pension, le célèbre psychanalyste se souvient du trajet en train et de la traversée d’un tunnel : le chagrin de la perte de l’environnement enfantin et maternel avant la traversée, le plaisir de la découverte après. Avec cette métaphore du tunnel, riche d’associations pour tout un chacun, s’associent là aussi un vécu de perte et l’investissement créatif d’un futur. C’est encore à partir d’une expérience d’adolescence que Winnicott comprend sa vocation de médecin motivée par une peur de la dépendance ressentie lors d’une blessure de rugby. L’investissement créatif de la pratique analytique comme traitement de l’aquabonisme ou du sentiment de soumission à la réalité extérieure ?
Certains adolescents cherchent à échapper à ce vécu de perte, quitte à abandonner le contact avec une réalité vécue comme menaçante, à l’image de Peter Pan qui ne voulait vivre qu’au pays du never never. D’autres semblent s’y plier sans contestation et renoncent à exister ou bien se soumettent à la créativité d’une machine (les écrans) ou d’un autre (l’environnement précoce).

L’enjeu de séparation convoqué par l’adolescence engage la survie de l’objet par rapport à la destructivité : créer c’est détruire d’abord comme l’indique Winnicott dans son texte sur l’utilisation de l’objet. C’est en survivant aux attaques que l’objet acquiert un statut d’extériorité. Comme les acteurs de l’environnement précoce de l’enfant, le thérapeute doit survivre, rester vivant dans son activité de pensée face à la destructivité de ses patients. Ce que Bernard Bensidoun a illustré par le cas d’un adolescent de 17 ans, immobilisé par une somatisation invalidante et pour qui la psychothérapie a permis l’acquisition d’une extériorité par rapport à un environnement familial où l’altérité était impossible tant il était dangereux de se séparer. Pris dans une enveloppe familiale commune, que l’adolescence avec son impératif d’exogamie n’avait pas rompue, l’adolescent restait l’objet de ses parents. Pour Bernard Bensidoun, éduquer serait laisser développer l’altérité de l’enfant et cela dès la naissance. A l’image du sommeil qui nous fait perdre l’objet perçu pour le retrouver dans le monde des représentations, le psychisme est bien cette première terre d’altérité !

Ce n’est pas un hasard si, après la conférence de Bernard Bensidoun, les questions posées ont conduit à évoquer la notion de censure de l’amante, censure qui en mettant l’enfant en contact avec la limite de la vie fantasmatique de sa mère l’amène à se tourner vers sa propre intériorité. Le temps d’une soirée, Bernard Bensidoun nous a fait partager la capacité humaine d’investir le monde des représentations laissant de côté pour un temps une réalité pénible !

Caroline Lebrun
Psychologue, Psychanalyste