EXPOSITION, Chagall, Entre guerre et paix, Musée du Luxembourg, Sénat, Paris. 21 février – 21 juillet 2013
De la peinture, Chagall dit qu’elle est comme une fenêtre ouverte sur le monde par laquelle il a envie de s’envoler. Envolons-nous avec lui, ailés comme le sont ses ânes, ses poètes et ses mariées, survolant les villages de la Biélorussie, flottant au-dessus de Vitebsk, sa ville natale. Il est poète autant que peintre. Plus poète peut-être, puisqu’il manie le vocabulaire pictural très symbolique qui caractérise ses œuvres, comme le poète manie les mots du langage. C’est comme un imagier pour enfants, qui décompose le monde en petites images, bien reconnaissables, mais qu’il dispose dans un joyeux désordre. On peut soit regarder les images, une à une, chacune ayant son charme, sa beauté, avec le plaisir enfantin de retrouver le même. Ou alors avoir une vision plus intégratrice qui établit des liens entre ces différents éléments, recomposés à chaque fois dans un nouvel ensemble.
Les toiles exposées ici correspondent à la période nostalgique d’un Chagall peintre de mémoire, qui décline les symboles, de manière parfois répétitive. Au Musée du Luxembourg, les œuvres de Chagall sont un peu à l’étroit. Il faut peut-être les voir comme une étape dans l’élaboration de sa thématique symbolique. Figurative, narrative, autobiographique, religieuse, la peinture de Chagall est en décalage avec la Modernité. Les œuvres ici présentées rendent compte de ces tensions entre des mouvements contradictoires : son intérêt pour le cubisme mais son attachement à une peinture figurative, l’écart entre ses origines juives et russes et sa rencontre avec la peinture d’avant-garde. Du coup, ses toiles sont chargées, parfois surchargées, d’éléments multiples qui semblent se battre pour trouver leurs places respectives. Pour rendre compte de l’importance de Chagall, il faut avoir à l’esprit les grandes commandes de sa deuxième période artistique à partir de 1948, le peintre étant âgé de soixante ans, et explorant alors des techniques nouvelles. Le plafond du Palais Garnier, les magnifiques vitraux pour les cathédrales de Metz, de Reims, de Mayence, pour la synagogue du centre médical Hadassah à Jérusalem, pour l’église de Fraumünster de Zürich. Dans ces œuvres tardives, après l’épreuve de la guerre et de l’exil, on dirait qu’il s’affranchit d’un désir de retrouver le monde de son enfance, habité par les images-souvenir, pour les mettre au service d’un projet beaucoup plus vaste, où la dimension sentimentale et sacrée, qui l’a toujours animé, se déploie en des représentations bibliques, immenses et lumineuses. C’est là où il prend réellement son envol.
Néanmoins, l’exposition du Luxembourg, si elle ne donne qu’une vision partielle de l’œuvre de Chagall (mort à presque cent ans !), elle nous plonge dans son univers onirique et foisonnant, d’où on ressort la tête pleine de belles images, comme celle de l’âne, double de Chagall, animal doux et paisible, dont émane une infinie tendresse mélancolique.